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Enquête

JE TRAVAILLE QUAND ÇA ME CHANTE

Enquête | publié le : 01.05.2003 | S.B., A.F.

Au royaume de la RTT, contraintes et dépassements horaires ne sont plus de mise. Et l'absentéisme repart de plus belle.

« À 18 heures, j'éteins mon PC. Je ne suis pas prêt à travailler plus tard. » Olivier, 23 ans, qui quittera les bancs de l'Epita, une école informatique parisienne, dans quelques semaines, ne connaît pas encore le nom de son futur employeur. Mais il a des idées déjà bien arrêtées sur ses horaires de travail. Sa candidature, il la présentera en priorité à de grandes SSII. « Dans une grande société, tu signes pour 35 ou 39 heures. Tes journées sont bien optimisées. Alors que dans une petite entreprise, il faut travailler tard. » Ce futur ingénieur en informatique garde un souvenir mitigé de son expérience dans une start-up informatique. « Il fallait se battre pour tout. Pour sa feuille de paie comme pour sa carte Orange. » Même discours chez Julien, 22 ans, étudiant à l'EM Lyon : « Travailler dans l'audit ? Sûrement pas. Ça demande un énorme investissement en temps et en énergie. Et moi je veux pouvoir diriger ma vie. »

Que les jeunes diplômés aient une idée très précise du temps qu'ils investiront ou non dans leur carrière ne surprend plus Dominique Steiler : « Leurs exigences sont plus affirmées. Certains veulent d'emblée équilibrer vie au travail et hors travail. D'autres, plus classiquement, se donnent deux à cinq ans. Mais il y a une vraie prise de conscience. Le politiquement correct en la matière, c'est fini. Ils sont décomplexés », commente ce prof de Grenoble Management qui aide les futurs managers à construire leur projet professionnel. Mais, de la formulation d'un souhait à sa concrétisation, il y a un pas que la conjoncture et la concurrence ne permettent pas toujours de franchir à l'embauche. « Je ne suis pas sûr qu'ils revendiquent déjà sur ce sujet lors des premières négociations d'emploi, surtout dans le contexte économique actuel. »

Négocier pour faire changer un jour de RTT

Certains, pourtant, n'hésitent plus à tourner talons, une fois informés des sacrifices exigés. À la SNCF, par exemple, les contraintes horaires en rebutent plus d'un. « Quelques candidats renoncent quand on leur dit que chez nous on travaille tous les jours, week-end et jour de Noël compris », remarque Alain Cahen, directeur délégué à l'emploi. La toile de fond du chômage et l'émergence du débat sur la qualité de vie ont, en effet, changé le rapport au travail de la nouvelle génération. « L'entreprise n'est plus le lieu où ils s'imaginent construire leur identité », souligne Clotilde Touvet, déléguée générale de l'association Jeunesse et Entreprises. Une évolution qui n'épargnerait personne, du jeune cadre à l'opérateur.

Réticence accrue à accepter les dépassements horaires, négociation quasi systématique pour faire admettre le moindre changement dans les plannings : les employeurs ne peuvent que constater le souci croissant de leurs recrues à contenir tout débordement de leur vie professionnelle sur la sphère privée. « Quand un jeune cadre pose une journée de RTT, il est plus difficile de lui demander de la reporter. Il faut négocier. Même chose pour le personnel d'exécution, qui rechigne à modifier son planning au dernier moment », note Gérard Perroud, directeur de la production et des RH de Caugant, PME bretonne d'agroalimentaire. « Il y a dix ans, un jeune cadre serait venu spontanément rencontrer un client le samedi matin. Plus maintenant », abonde Paul-Henri Martin, DRH de l'imprimeur Maury.

C'est pire dans les entreprises de services. Chez McDo, les gérants s'arrachent les cheveux face aux exigences des équipiers à temps partiel. Des étudiants, âgés en majorité de 22 ans, qui font leurs premiers pas professionnels. « Il est plus difficile de les faire travailler le soir ou le week-end. Ils invoquent des activités associatives ou sportives, les copains, la famille… C'est à nous de nous glisser dans leurs plages horaires disponibles ! » déplore Hubert Mongon, DRH France. Un phénomène nouveau qui s'expliquerait par l'embellie 2000-2001 sur le front de l'emploi. « En dépit du retournement de conjoncture, ils sont encore dans cette logique. » Un casse-tête pour les managers qui tentent d'être plus sélectifs dans le recrutement.

Les jeunes seraient-ils donc devenus flemmards ? « Pas du tout, rétorque Pascale Levet, de Lab'ho, le laboratoire de recherche en organisation d'Adecco. Les études montrent que la valeur travail n'est pas aussi malmenée qu'on le dit. Le rapport au temps a simplement évolué. » Pour gagner leur vendredi en RTT, les jeunes cadres au forfait sont prêts à multiplier les heures les jours précédents. « Ils ne sont pas moins investis dans leur travail mais souhaitent organiser leur temps comme bon leur semble », analyse Bernard Lemée, DRH de BNP Paribas. Pour y répondre, la banque propose jusqu'à… 1 300 formules d'horaires individualisées ! Mais cette gestion très personnelle a des limites, imposées par le Code du travail. Pas question pour les jeunes cadres soumis aux horaires collectifs d'agir comme bon leur semble. « On est parfois obligé de leur écrire pour leur rappeler de respecter les horaires collectifs. C'est incompréhensible pour eux, car ils ne demandent pas à être payés en heures supplémentaires », confie le DRH. Autant dire que le présentéisme a du plomb dans l'aile. « Ils n'ont aucune indulgence avec ceux qui le pratiquent. Eux veulent être appréciés sur leurs résultats, pas sur les heures passées dans l'entreprise », reprend Bernard Caron, d'EDF.

Un guide de savoir-vivre

De quoi désarçonner les managers. Comme chez Boulanger, où les vendeurs débutants n'hésitent plus à interpeller les formateurs, lors des sessions d'intégration, pour savoir à quelle heure sonne la cloche. « Au début, c'est surprenant. Mais ils veulent juste qu'on leur pose le cadre pour pouvoir s'organiser », commente Jacques Lérisson, directeur de l'École des métiers. Chez KPMG, il arrive que de jeunes consultants demandent à écourter la session de formation pour pouvoir profiter de leur soirée dans la capitale. Ou prennent des libertés avec les horaires. Ce qui a conduit le cabinet à éditer un guide interne de la formation pour insister sur quelques principes de savoir-vivre. Chez Adia, c'est sur les règles de gestion des jours de RTT que la DRH a été obligée de refaire le point. « On a dû resserrer les boulons, rappeler qu'on ne pose pas un jour de RTT la veille pour le lendemain. Les 35 heures ont vraiment modifié les comportements, surtout chez les nouveaux venus qui n'ont pas vécu la transition », explique Françoise Nauts, la DRH.

Au-delà du rapport décomplexé de la génération montante à la gestion du temps, les entreprises constatent aussi une montée des retards et autres absences qui désorganisent le travail. C'est notamment le cas à la SNCF, qui a pourtant fait de la régularité de ses trains l'un de ses arguments de vente, ou à La Poste : « Certains ont besoin de s'adapter aux contraintes de la vie professionnelle telles que se lever tous les matins pour venir travailler », reconnaît Jean-Paul Camo, directeur de la réglementation des RH. Pour y remédier, La Poste a décidé d'être plus ferme sur les règles. Lors de l'intégration, les jeunes facteurs font dorénavant une « prestation de serment » (sic) dans laquelle ils s'engagent, devant leur directeur, à respecter les horaires de distribution du courrier ou la confidentialité.

Des sureffectifs pour pallier l'absentéisme

Dans l'automobile, la grande distribution et la restauration rapide, l'absentéisme est devenu un sujet de préoccupation majeure. Des secteurs qui, lors des fastes années 1997-2000, ont élargi leur spectre de recrutement à des jeunes considérés comme plus éloignés de l'emploi. « Dans l'absentéisme, il faut lire une crise de la transmission des valeurs, celle du travail, avec tout ce que cela signifie en matière de changement du rapport de subordination. Or le premier emploi, c'est l'apprentissage des contraintes, d'une certaine discipline », note le sociologue Henri Vacquin, qui anime un groupe de travail avec des DRH.

Il faut dire que la question en désarçonne plus d'un. Comme McDonald's France qui constate depuis 2001 une hausse de l'absentéisme, tant chez les étudiants que chez les permanents. « Les motifs invoqués, une invitation au ciné, du retard dans la révision des examens, en disent long sur leur motivation et leur rapport à l'entreprise. Ils se préoccupent assez peu des conséquences de leurs actes », explique Hubert Mongon, DRH France. Leurs managers, si. Et pour cause : ils réalisent 70 % de leur chiffre d'affaires quotidien en quatre heures. « Certains ont donc choisi la voie du sureffectif pour pourvoir à tout désistement imprévu ou les aident sur des sujets périphériques à l'emploi, comme les problèmes de logement », reprend Hubert Mongon. La formation au recrutement a été retravaillée « pour mieux identifier les profils appropriés à l'activité », celle à l'animation d'équipe, recentrée sur « l'écoute, la transparence et la communication au quotidien ».

En Seine-Saint-Denis, Alberto Leitao, superviseur de trois McDo franchisés, a joué sur tous ces leviers, avec la DRH récemment créée. « Avant l'embauche, le candidat rencontre dorénavant deux managers. Croiser les avis permet de renforcer la qualité du recrutement. Et nous avons fait des efforts sur l'intégration. Durant la période d'essai, l'équipier fait le point toutes les semaines avec son supérieur. Il n'est pas lâché dans la nature. » Mieux, une réunion mensuelle d'information avec le personnel a été instaurée et la motivation retravaillée grâce à un entretien d'évaluation à six mois assorti d'une prime ! Résultat en un an : « une chute de 50 % de l'absentéisme et une baisse de 20 % du turnover ».

Absentéisme en hausse de 10% à Casino

Au Parc Astérix, Odile Ulrich, la DRH, a aussi décidé d'employer les grands moyens face aux absences et à une forme de « désinvolture ». De fait, sur les premiers saisonniers, convoqués début mars, à un mois de l'ouverture, pour signer leur contrat et suivre la journée d'intégration, 18 % ne se sont pas présentés. « Beaucoup sans prévenir. » Nouveauté 2003, les plus assidus des 900 saisonniers, recrutés en CDD de six à huit mois, auront à la fin de leur contrat une « prime de présentéisme ou d'assiduité » de 100 euros maximum. Une mesure qui n'allait pas de soi : la DRH a dû batailler un an pour l'imposer à sa direction. « Récompenser un salarié pour qu'il soit là pose problème à beaucoup. Ils considèrent que le respect du contrat de travail, donc de la présence au poste, est un minimum. » Le Parc Astérix a décidé également de sanctionner plus fermement. « En 2002, nous avons eu pas mal de procédures disciplinaires. » McDo n'envisage pas d'en venir à de telles extrémités. « Une prime de présentéisme ne résout rien. Il faut s'attaquer aux causes du problème », reprend Hubert Mongon. Le numéro un français de la restauration rapide a préféré ouvrir un chantier de dix-huit mois sur « les motivations des jeunes » avec, pour ambition, de faire encore évoluer les méthodes managériales, voire les évolutions de carrières.

Les réactions ont beau être différentes d'une entreprise à l'autre, le constat semble partagé. Chez Casino, la DRH a enregistré une hausse de 10 % de l'absentéisme sur 2002. « Cela traverse toutes les catégories de personnel », commente Thierry Bourgeron, DRH France. Un chiffre inquiétant, selon Henri Vacquin. « Chaque fois qu'il y a crise de l'emploi, on observe une réduction de l'absentéisme. Or, aujourd'hui, on assiste à l'inverse. » Il n'y voit qu'une explication : un retrait par rapport au travail, dont l'absentéisme serait devenu le régulateur.

Job alimentaire dans une SSII pour Magali

Depuis qu'elle est sortie diplômée de l'École supérieure des sciences commerciales d'Angers (Essca) voilà bientôt trois ans, Magali cherche sa voie. « Je ne me sens pas encore très adulte par rapport à mon orientation professionnelle », reconnaît cette jeune femme de 24 ans qui a signé son premier contrat de travail à Hongkong pour un CDD de huit mois chez Hermès.

Seule certitude : elle ne fera pas de vieux os dans la SSII qu'elle a rejointe début 2002, après cinq mois de chômage. Actuellement en mission dans une grande banque française, elle regarde sa montre plus souvent qu'à son tour.

« Mon boulot est complètement alimentaire. Je ne sais absolument pas pour qui je travaille ni à quoi ça peut bien servir. Le seul avantage, c'est que c'est calme au niveau des horaires. » Un boulot « pépère » idéal pour sortir le soir ou préparer ses week-ends. Mais pas pour alimenter les conversations amicales : « Au bout de trois phrases, je n'ai plus rien à dire sur mon job. »

« Pas hypercarriériste », soucieuse de « ne pas mélanger boulot et amis », Magali ne se satisfait pas pour autant de sa situation professionnelle. Elle a d'ailleurs rempli plusieurs dossiers d'inscription en 3e cycle pour se spécialiser, à la rentrée prochaine, dans les métiers du luxe ou dans la gestion des affaires culturelles. En cas de refus, elle cherchera un poste ailleurs que dans l'informatique. Avec, comme objectif, de dénicher un travail « épanouissant », mais dans lequel elle n'ait pas à consacrer « sa vie entière ».

Histoire de pouvoir continuer à cultiver ses centres d'intérêt personnels : voyager, aller au théâtre ou à l'opéra.

Auteur

  • S.B., A.F.