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Enquête

JE NE SUIS PAS MARIÉ AVEC MA BOÎTE

Enquête | publié le : 01.05.2003 | S. B., A. F.

Avec les 18-25 ans, c'est donnant-donnant : OK pour s'investir, si l'entreprise renvoie l'ascenseur. Sinon, ciao !

Nés à la fin des années 70, les jeunes actifs n'ont connu les Trente Glorieuses que dans les livres. Ils ont grandi dans une société en crise, marquée par le chômage de masse, les stages et les petits boulots. « On ne leur raconte plus que l'entreprise est une grande famille communautaire », prévient Nicolas Flamant, directeur d'études à Entreprise et Personnel. « Ils savent bien que l'emploi à vie c'est terminé », abonde Jacques Rojot, codirecteur du Ciffop. Le bon vieux contrat, qui troquait la fidélité absolue à l'entreprise contre une garantie statutaire et financière, est bel et bien mort. « On va de plus en plus vers un véritable rapport contractuel, donnant-donnant », renchérit un senior manager d'Ernst & Young. Aux oubliettes, le rapport de subordination jusqu'alors attaché au contrat de travail.

Leur engagement ne porte plus sur la longévité dans l'entreprise, mais sur le contenu du poste, les opportunités offertes, les évolutions proposées. Au point d'en faire de nouveaux mercenaires ? « Être individualiste ne signifie pas être asocial. Ces jeunes savent s'adapter et anticiper les risques. Quitte à ramer, parfois, plus vite que le courant », répond Nicolas Flamant. Très présent chez les jeunes cadres guidés par une stratégie de carrière, ce moindre attachement à l'entreprise se retrouve aussi chez les moins diplômés. L'absence de perspectives d'évolution, conjuguée à la relative abondance de petits boulots dans la restauration rapide, la grande distribution, en incite plus d'un à zapper. Comme Clément, qui a débuté avec un BEP d'hôtellerie-restauration. « Dans mon secteur, on trouve toujours du boulot, même si c'est mal payé », commente ce jeune de 25 ans qui a fait « le choix de la liberté » et se vante de n'avoir jamais eu un CDD de plus de douze mois en huit ans.

Une population de zappeurs

Ce choix de vie permet de multiplier les expériences et de faire ses valises à la moindre contrariété. Par exemple quand on ne supporte plus les contraintes ou les relations d'autorité. « Certains jeunes, marqués par le chômage de leurs parents, expriment ainsi une forme de rejet de l'entreprise », estime Daniel Courtois, du cabinet Prestaction, qui aide la maîtrise de PSA à comprendre les nouvelles générations. « Comme ils ne se sentent pas reconnus, ils manifestent leur identité par un refus de l'autorité ou des normes », souligne Clotilde Touvet, déléguée générale de l'association Jeunesse et Entreprises. Cette population de zappeurs, certes minoritaire, serait en progression constante. C'est ce qu'assurent les sociétés de travail temporaire, qui recensent un volant toujours plus nombreux de jeunes ayant choisi l'intérim comme mode de vie. « Ils arrêtent quand ils le souhaitent et reviennent travailler quand ils sont à court d'argent », commente Françoise Nauts, DRH d'Adia. Sans surprise, ces candidats se comptent parmi les plus qualifiés, des bac + 2 de soudeur ou d'électromécanicien qui peuvent monnayer leur bagage.

Mais le discours sur l'intégration en entreprise peut aussi porter, pour peu qu'il soit crédible. Chez l'imprimeur Maury, la majorité des 1200 salariés sont entrés sans bagage, entre 18 et 23 ans. « On passe un contrat moral avec eux, souligne Paul-Henri Martin, le DRH. On s'engage à les former aux métiers très techniques de l'imprimerie et à les faire progresser en jouant la promotion interne. En échange, on leur demande de respecter les horaires et la discipline. » « Notre message est simple : “Venez, nous vous formerons à un métier.” Nous proposons aux jeunes ouvriers un véritable plan de carrière et un management fondé sur la franchise. Ils se projettent assez loin », reprend Patrick Varinard, de Sobea Environnement, PME du BTP. Même démarche à la SNC, qui, après avoir privilégié le recrutement de bacheliers, recommence à embaucher des jeunes peu qualifiés en alternance. Idem pour le transporteur Connex. Confrontée à des pénuries de conducteurs, la filiale de Vivendi Environnement mise sur ses filières professionnelles internes pour attirer les candidats. Au programme, formation qualifiante en alternance et possibilités d'évolution interne via l'Institut de l'environnement urbain, créé en 1995 par le groupe.

Pas mariés avec EDF

Moins enclins à gober les discours tout prêts, les 18-25 ans veulent du concret. « Leurs questions sont très centrées sur ce que l'entreprise peut leur proposer en termes de missions, de formation continue, d'évolution professionnelle », témoigne Laurence Durand, responsable des carrières à KPMG. Une interpellation à laquelle les entreprises publiques n'échappent pas. « Avant, leur objectif était d'entrer à EDF, raconte Bernard Caron, directeur adjoint à la direction du personnel et des relations sociales. Aujourd'hui, ils nous interrogent surtout sur notre capacité à offrir des évolutions et des changements de métiers. Et, dans leur discours, ils n'hésitent plus à dire qu'ils ne sont pas mariés avec EDF, même si, au final, très peu nous quittent. » Même son de cloche à La Poste. « La maison attirait par sa sécurité de l'emploi, atteste Jean-Paul Camo, directeur de la réglementation des RH. Maintenant, les jeunes véhiculent l'image d'un grand groupe capable d'offrir une carrière diversifiée. »

De là à conclure que la génération montante a radicalement modifié son approche de l'entreprise, il y a un grand pas. « Je n'ai pas le sentiment que les besoins des jeunes diplômés aient évolué de façon importante. En revanche, ils les expriment d'emblée, très directement », indique Karine Fernet-Scherer, responsable du recrutement au Crédit lyonnais. Un juste retour des choses. Désireuses d'attirer les talents, les entreprises leur chantent toutes la même ritournelle : prise rapide de responsabilités, diversité des parcours, opportunités à l'international, importance de la formation continue, etc. Au risque de les voir partir très vite en cas de promesses non tenues. Géraldine, diplômée de l'ESC Tours fin 2001, a démissionné de ses deux premiers postes en marketing au bout de quelques mois. « Ces entreprises ne m'offraient pas l'encadrement, la formation de terrain dont j'avais besoin, alors même qu'on a tout à apprendre en sortant d'une école de commerce », justifie-t-elle.

Pour les employeurs, pas question cependant de céder à tous les caprices. « En arrivant, ils veulent tous faire des fusions-acquisitions, remarque Laurence Durand. Mais ce n'est pas réaliste pour un débutant. » Chez Unilever, la tendance est au ralentissement des débuts de carrière. « Les jeunes diplômés sont dans une optique de valorisation professionnelle à très court terme. Mais un an à un poste ne suffit pas », justifie Karen Rivoire, la campus manager. « Nous sommes parfois confrontés à des demandes d'évolution six mois à peine après l'embauche. C'est trop rapide pour s'approprier le métier, renchérit Françoise Nauts. La difficulté, c'est de gérer leur légitime envie de progresser sans céder à une demande qui se conclura par un échec. » Subissant un turnover de 15 à 20 %, la DRH d'Adia compte sur la mise en place d'un référentiel de compétences pour freiner les impatiences. Casino constate, pour sa part, une plus grande propension à discuter des évolutions de poste. « On a des soucis avec la mobilité, reprend Thierry Bourgeron, DRH groupe. Non pas que les jeunes cadres refusent a priori nos propositions. Mais ils nous assaillent de questions : pourquoi bouger ? En quoi cela va servir leur carrière ? »

Reste que les entreprises remettent l'accent sur la visibilité des parcours et des carrières. C'est le cas d'Air France, qui a recruté plus de 18 000 jeunes depuis 1998 (20 % des effectifs). Il a mis en place des « stages de retour d'expérience », un an après l'embauche. « Une façon de permettre des échanges sur le métier avec les managers et d'envisager la suite », note Olivier Kudlikowski, responsable de la politique de l'emploi. Au Crédit lyonnais, on envisage de systématiser un entretien sur les perspectives de carrière, trois ans après l'intégration, pour tous les nouveaux embauchés, les bac + 5 comme les conseillers de clientèle titulaires d'un bac + 2… déjà suivis par un chargé de recrutement ou un gestionnaire RH ! Quant à BNP Paribas, elle a créé une cellule chargée du suivi des jeunes diplômés.

Y'a plus d'respect pour la hiérarchie !

D'autres préfèrent le tutorat. Chez Boulanger, chaque jeune se voit flanqué d'un parrain, hors hiérarchie, qui va l'accompagner pendant le parcours initial de formation et de découverte de l'enseigne, puis rester en contact. « Cela permet de créer un tissu de relations plus résistant aux crises que n'importe quelle technique de management », indique Jacques Lérisson, directeur de l'École des métiers. Même démarche à EDF, qui a systématisé le tutorat pour ses jeunes diplômés en s'appuyant sur des salariés expérimentés. Quant à l'imprimeur Maury, il a opté pour une relation étroite entre le nouvel embauché et son contremaître. Avec, à la clé, une évaluation réciproque.

Des initiatives qui favorisent la mixité entre les générations et font tomber les a priori. Pas inutile, selon les spécialistes RH, qui insistent tous sur l'importance des relations interpersonnelles et le rôle clé des encadrants de terrain. Car, du côté des jeunes, l'acceptation du simple lien hiérarchique n'est plus de mise. « Aujourd'hui, c'est la compétence qui fonde la légitimité, pas le statut », souligne Dominique Languillat, directrice emploi du groupe Caisses d'épargne. « Les jeunes attendent de leur manager qu'il les fasse grandir. Les ruptures, quand elles se produisent, se font généralement sur la hiérarchie de contact », prévient Gérard Perroud, chargé des RH chez Caugant. Gare à ceux qui ne l'ont pas compris ! Car la génération montante n'hésite pas à dire ses quatre vérités, sans prendre de gants. Au risque de déclencher des tensions, voire des conflits, avec les anciens, prompts à entonner le refrain du « y'a plus d'respect pour la hiérarchie ! ». PSA ou Air France l'ont bien assimilé, qui ont demandé à des sociologues et autres spécialistes de former leur maîtrise aux comportements des jeunes recrues.

Clément, cuistot, de CDD en CDD

« Une baraque à frites ou un quatre-étoiles. » Clément, jeune cuistot de 25 ans, en est persuadé : un jour, il aura « quelque chose » à lui. Mais, pour l'instant, il préfère zapper d'une entreprise à l'autre, au gré des saisons et des opportunités, accumuler les expériences et les tranches de vie, « voir du pays » tout simplement.

Pas question, donc, d'avoir un fil à la patte, ni d'accepter un CDI. Il s'en targue même : en huit ans de boulot, depuis qu'il a décroché son BEP d'hôtellerie-restauration, il n'a jamais eu un CDD… de plus de douze mois ! Même pour passer en alternance son bac pro. « Il se fait normalement sur la base d'un contrat de qualification de deux ans. Mais comme j'ai changé de région, j'y ai échappé. À la place, j'ai fait deux CDD dans deux entreprises. »

Ce qui n'est pas pour lui déplaire. Une saison à Méribel, une croisière – derrière les fourneaux – avec le Club Med : il a fait le « choix de travailler sans contrainte ».

Mais il ne néglige pas l'avenir pour autant. En juin 2002, il a obtenu, en région parisienne, un BTS de gestion hôtelière. Un sésame qu'il utilisera bientôt « pour entrer dans un grand groupe, style Accor ». Évidemment pas pour y faire carrière. « Si j'entre dans une grosse boîte, c'est pour avoir des responsabilités, engranger, avant de me mettre à mon compte », reprend Clément, qui a rejoint depuis décembre un restaurant d'altitude, à 1 800 mètres, face au mont Blanc. Pour un autre CDD de quatre mois et demi. A. F.

Auteur

  • S. B., A. F.