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Vie des entreprises

Des commerciaux externalisés… en toute discrétion

Vie des entreprises | DECRYPTAGE | publié le : 01.09.1999 | Sandrine Foulon

S'inspirant de leurs homologues anglo-saxonnes, les sociétés françaises commencent à sous-traiter une partie de leur force de vente. Facteur de flexibilité, l'outsourcing commercial est en plein essor. Les postes sont pourvus par de jeunes commerciaux, recrutés en CDD ou à temps partiel annualisé.

Vincent de Bergh porte une casquette Ford, parle le langage Ford, ressemble à un vendeur Ford, mais n'est pas salarié chez Ford. Attaché commercial pour le compte du constructeur automobile, il est rémunéré par Maritz, une société prestataire de services. Avec huit autres commerciaux chapeautés par un manager, également employé par l'intermédiaire, il visite les « agents », les petits garages de son secteur géographique, le centre ouest. Sa mission : booster les ventes, mettre en place des procédures, former les agents. « Ford a décidé de faire appel à des commerciaux externalisés il y a quatre ans, explique ce jeune attaché commercial de 25 ans. L'entreprise a préféré concentrer sa force de vente interne sur les concessionnaires. Nous prenons en charge les secteurs qu'elle n'a plus le temps ni les moyens de couvrir. » Outsourcing commercial, forces de vente supplétives, complémentaires, tactiques, additionnelles, commandos… le vocabulaire est riche pour désigner une activité d'externalisation en croissance, selon les prestataires de services, de 10 % à 35 % par an.

L'industrie pharmaceutique et la grande consommation ne sont plus seules à « louer » des forces de vente. Tous les secteurs d'activité s'interrogent sur l'opportunité de déléguer de manière ponctuelle ou sur le long terme, de façon partielle ou complète, la gestion d'opérations commerciales. « Alcatel, IBM, Procter & Gamble, Nokia ou American Express ont tous recours à des forces de vente tactiques », énumère Renaud Guillemard, responsable de DMF, une entreprise de marketing terrain.

Recentrage sur les cœurs de métiers, diminution des coûts et flexibilité justifient cet engouement. « Depuis plus de trois ans, nous faisons appel à des prestataires pour des missions ponctuelles de plusieurs semaines réparties dans l'année. Nous avons soixante-neuf vendeurs et neuf chefs de vente en interne. Ce n'est pas forcément insuffisant mais, lorsqu'il s'agit de visiter 1 600 points de vente, lors du lancement d'un nouveau produit par exemple, nous avons besoin de renfort », souligne Sylviane Garcin, responsable du développement des ventes du groupe Gillette à Annecy.

Chez Boiron, seuls les conseillers en développement pharmacie sont salariés du laboratoire pharmaceutique. Le réseau de visiteurs médicaux et les délégués spécialités sont entièrement sous-traités. « Il y a neuf ans, nous avons fait le choix de promouvoir nos produits via la visite médicale. La société prenait un risque stratégique. Nous ne savions pas si cela allait marcher. Et, en cas d'échec, nous ne souhaitions pas nous trouver dans l'obligation de licencier des commerciaux », commente Bruno Rothurier, directeur de la visite médicale. Boiron a donc signé un accord d'exclusivité avec Sofip, un prestataire de services toulousain qui gère pour lui cinquante délégués médicaux dans toute la France.

Des temps partiels annualisés

Les intermédiaires, souvent spécialistes du marketing terrain (Promodip, SEP Promotion, DMF, Askell, B & W…), peuvent se frotter les mains. Un enthousiasme qui tranche avec la discrétion observée par les sociétés utilisatrices. Loquaces sur l'externalisation de l'informatique, de la comptabilité, du gardiennage ou des flottes automobiles, elles ne s'épanchent pas sur leurs forces de vente, ambassadrices de leur image de marque. « Nous sommes en France », rappelle Pascal Noireaut, directeur de Dip'Force, la filiale du groupe Promodip chargée des forces de vente, du merchandising et de la pose de PLV à Boulogne-Billancourt. « Culturellement, les entreprises craignent toujours de livrer des informations à la concurrence. L'externalisation représente une décision extrêmement longue à prendre, parfois délicate si elle correspond à une substitution de personnel. Une entreprise peut se retrouver en porte-à-faux avec sa propre force de vente. » Et avec les partenaires sociaux. Rares sont d'ailleurs les entreprises à se séparer brutalement de l'ensemble de leurs commerciaux. Elles saisissent l'occasion d'un nouveau produit, d'un nouveau secteur géographique à couvrir, d'un nouveau marché à conquérir pour faire appel à des extérieurs. Mais n'assument pas toujours leur politique au premier coup de grisou. « Nous sommes en train de vivre un plan social. Ce n'est vraiment pas le moment de parler des forces de vente supplétives », s'excuse-t-on chez 3M.

Autre réticence des entreprises à se livrer sur l'outsourcing : la phobie du délit de marchandage ou du prêt illicite de main-d'œuvre. Une crainte partagée par les intermédiaires. Tous les liens de subordination directe entre le client et le commercial sont donc soigneusement évités. Pas question de fournir des vendeurs amenés à travailler dans les locaux de l'entreprise. « Une grande complicité doit régner entre le client et nous, souligne Pascal Noireaut. Mais nous refusons parfois des opérations qui risqueraient de nous mettre en fâcheuse position. On intervient immédiatement si un client se met à faxer des ordres de mission à l'un de nos intervenants. » « Nous vendons un savoir-faire, une action de vente avec des résultats. C'est ce qui nous différencie de l'intérim, renchérit Renaud Guillemard. Cela étant, pour apporter cette fameuse flexibilité aux entreprises, nous travaillons avec des salariés à temps partiel annualisé. » Un statut dans le collimateur de Martine Aubry, qui entend y mettre bon ordre à l'occasion du vote de sa seconde loi. « Le malentendu provient de l'amalgame entre les commerciaux externalisés et les marchandiseurs, poursuit Renaud Guillemard. Ce type de contrat s'applique aux deux populations. Et, effectivement, des abus ont pu se produire dans le cas des marchandiseurs. » Dont on ne sait plus toujours qui sont les véritables employeurs. Dans une seule et même grande surface, ils travaillent pour différentes marques qu'ils sont chargés de mettre en rayon. Une heure pour des barres chocolatées, deux heures pour du café, quinze minutes pour de la lessive… Ces heures morcelées sont commanditées par les marques et financées par des prestataires différents, pour le plus grand bonheur des hypers qui voient leurs linéaires se remplir sans débourser un centime. Plusieurs grandes surfaces ont déjà été épinglées par la justice pour délit de marchandage.

Moins d'avantages

Faire le ménage dans les statuts des salariés externalisés (temps partiel annualisé, CDD…) va demander une bonne dose de patience. Quant aux rémunérations, elles découlent du contrat passé avec l'entreprise. « On paie comme on facture, souligne un prestataire. Au forfait, à la visite, à l'heure… » Embauché sur la base d'un temps partiel annualisé par Dip'Force, Christophe Durand représente un gros constructeur informatique. Une maîtrise en communication en poche, il est arrivé dans le commercial après une expérience dans l'édition et une autre dans une agence de communication. À la suite d'un licenciement économique, il s'est lancé dans la formation commerciale en indépendant. Pour compléter cette activité, il a rejoint l'équipe de Dip'Force. « Je suis rémunéré les mois où je travaille. Je ne perçois rien pendant les périodes d'inactivité », explique le jeune consultant commercial, dont le rôle consiste à former et à convaincre les chefs de rayon et autres responsables de vente de quatre-vingts magasins franciliens de mettre en avant telle nouvelle gamme d'ordinateurs déjà référencée. « Cette flexibilité me convient parfaitement dans la mesure où j'exerce par ailleurs mon métier de formateur. En revanche, l'externalisation ne me semble pas favorable pour le salarié qui dépend d'un seul employeur. Même si la rémunération, les remboursements de frais et la mutuelle peuvent être corrects, ils ne feront jamais la différence avec les avantages offerts par l'entreprise cliente. Nous ne bénéficions pas de la cantine, du comité d'entreprise, des réductions proposées aux employés pour l'achat de matériel. » Un autre vendeur abonde dans ce sens : « Le commercial de la boîte descend dans un hôtel Ibis, le vendeur externalisé s'arrête au Formule 1. » Oubliés, également, les treizièmes mois. Les parts variables sont réduites parce que le prestataire ne maîtrise pas tous les paramètres de la stratégie commerciale. Plus grave, pendant les périodes d'inactivité, les salariés externalisés ne peuvent prétendre aux allocations chômage, leur contrat n'étant pas rompu mais suspendu.

Aujourd'hui, les accords d'externalisation se décident directement avec les dirigeants et sont relayés par les directeurs commerciaux. Du coup, la dimension ressources humaines n'est pas au menu des personnels externalisés. Il y a peu de critères de motivation. La formation, dispensée par l'entreprise cliente, se limite souvent à un apprentissage des produits. « Nous devons veiller à ce que ces commerciaux ne se résument pas à une force de travail sans culture d'entreprise », avance François Maillet, le DRH de Canon France, qui s'est lancé dans l'outsourcing à titre expérimental. Chez Boiron, la politique est d'instituer un partenariat avec les délégués externalisés. « Bien sûr, l'herbe est toujours plus verte chez le voisin, souligne Bruno Rothurier. Mais on essaie d'avoir un management innovant, de donner aux collaborateurs les moyens de se perfectionner. »

Pas facile cependant de motiver une population hétérogène composée de jeunes débutants titulaires de BTS action commerciale, de salariés ayant plusieurs employeurs et de vieux routards du commerce laissés sur le carreau à la suite d'un plan social… Même si on trouve quelques heureux. Neuf ans commercial chez un lessivier, Francis Denis, 46 ans, est passé sans états d'âme chez BM Brokers, un spécialiste de l'outsourcing. « Rester monoproduit devient lassant », explique cet attaché commercial qui parcourt aujourd'hui près de 40 000 kilomètres par an. Recruté en CDI, mensualisé sur douze mois, il ne connaît pas les périodes creuses. « Entre les insecticides l'été ou la rentrée des classes à l'automne, il y a toujours de quoi faire. Travailler pour un prestataire ou pour une entreprise ne fait aucune différence. La rémunération et les avantages sont identiques… »

Même satisfaction pour Vincent de Bergh. « Je suis certainement le mieux rémunéré des anciens de ma promo, je roule dans une voiture de fonction confortable, pas un pot de yaourt, et j'ai des responsabilités que je n'aurais sans doute jamais eues dans un grand groupe. » Des témoignages qui restent exceptionnels. Chez Érudia, l'école de vente de Xerox, Michel Zylbermann, le directeur, a pu noter les motivations de commerciaux externalisés assis, en formation, sur les mêmes bancs que leurs homologues maison : « Tous, sans exception, rêvaient d'entrer chez le client. »

Un statut très flou

La plupart des vendeurs sont recrutés en temps partiel annualisé. En CDI, ils alternent les périodes travaillées et celles non travaillées puis ont un minimum d'heures à effectuer. En cas de surchauffe, le prestataire fait appel au commercial et ajoute un avenant au contrat. Les rémunérations peuvent être calculées sur la base d'heures réellement effectuées ou lissées sur l'ensemble de l'année. Un statut éminemment flexible qui devrait être retoqué par la seconde loi Aubry. « Le gouvernement souhaite encadrer le temps partiel annualisé et revenir aux anciens contrats de travail intermittent, souligne Joël Colbeaux, avocat, spécialiste de droit social au cabinet Vovan et Associés. Revers de la médaille : plus on crée de rigidités, plus on suscite de comportements délinquants. Si une entreprise soumise à une activité saisonnière rencontre trop de difficultés à recruter, elle se tournera de toute façon vers des prestataires, même si ceux-ci sont également gênés par la rigidité du contrat. Le risque est de doper l'externalisation. »

Pour limiter les dérives et les licenciements abusifs, Joël Colbeaux voit se profiler la notion d'une co-responsabilité des employeurs et des prestataires : « C'est la seule solution pour renforcer la protection des salariés. Surtout lorsque, à travail égal, les garanties ne sont pas les mêmes pour l'employé externalisé. Si l'on peut prouver une dépendance économique entre le prestataire et son client, on peut considérer qu'un employé n'est pas seulement salarié de l'entreprise de services, mais également du commanditaire. Cette notion de coemployeur a commencé avec une démonstratrice du BHV. » Le BHV avait demandé à l'employeur d'une démonstratrice, accusée d'avoir insulté une vendeuse, de prendre des mesures. Licenciée pour faute grave, la jeune femme a poursuivi ses employeurs. Et, en 1996, puis en 1998, à l'occasion d'un second pourvoi, la Cour de cassation a établi que le grand magasin et le prestataire avaient exercé conjointement leur autorité à l'égard de la démonstratrice. Elle a condamné les deux employeurs à lui verser diverses indemnités.

Auteur

  • Sandrine Foulon