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Politique sociale

L'Unedic préfère le cadre âgé au jeune qui galère

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.09.1999 | Valérie Devillechabrolle

Le régime d'indemnisation des chômeurs cocoone l'ex-salarié qui peut se targuer d'un bon revenu et d'une longue durée de cotisation, mais ne ménage guère le salarié précaire ou à temps partiel. Une inégalité de traitement que les gestionnaires de l'Unedic hésitent à résorber.

Pas de chance pour Nadège. Licenciée au bout de trois mois à la suite du dépôt de bilan de la revue qui l'employait, cette journaliste pigiste n'a pu obtenir la moindre allocation chômage : « Il me manquait deux jours pour faire valoir mes droits. Quant à mes quatre années de piges précédentes, ils n'en ont pas tenu compte. » De fait, l'Assedic ne calcule les droits que sur la base des « feuilles jaunes », qui attestent le licenciement et récapitulent les périodes travaillées. Sauf que, dans la presse, les employeurs se contentent de plus en plus de suspendre la collaboration des pigistes sans autre formalité. À l'instar de Nadège, plus de deux millions de demandeurs d'emploi sont aujourd'hui privés de toute indemnisation. En cinq ans, leur nombre s'est accru de 25 %. Pour les gestionnaires des régimes, l'Unedic ou le régime de solidarité, ces exclusions découlent, dans trois quarts des cas, d'une durée de travail insuffisante. Mais Marie-Thérèse Join-Lambert, auteur en février 1998 d'un rapport sur les minima sociaux commandé par Lionel Jospin en plein mouvement des chômeurs, avance une autre explication : « Loin de s'adapter aux nouveaux modes de fonctionnement du marché du travail, le système, tant paritaire que public, s'est rétracté sur le modèle de travail des années 60-70 : les salariés stables disposant de durées longues d'indemnisation », écrit-elle en préface de L'État face aux chômeurs.

Auteurs de la première rétrospective consacrée à l'indemnisation du chômage en France, Christine Daniel et Carole Tuchszirer, deux chercheuses en sciences sociales, confirment ce constat accablant : « Alors que la précarité de l'emploi s'est considérablement développée dans les années 80, elle n'a pas donné lieu à des formes particulières d'indemnisation. Bien au contraire, la création des filières d'indemnisation puis l'instauration de l'allocation unique dégressive ont conduit à moins bien indemniser les personnes en situation précaire, par le durcissement des critères d'activité exigés. » Alors que patronat et syndicats doivent, en fin d'année, renégocier les conditions de cotisation et d'indemnisation des chômeurs dans le cadre de la convention 2000-2002 de l'Unedic, ces travaux devraient leur donner à réfléchir…

Salariés âgés et cadres épargnés

Au fil de ses ajustements budgétaires, le régime d'assurance chômage est loin d'avoir traité tous les chômeurs de la même façon. L'Unedic a toujours épargné les droits des salariés âgés (voir tableau) : « Pour eux, le régime fonctionne comme une quasi-préretraite, du fait du mécanisme de dispense de recherche d'emploi et du maintien de leurs droits jusqu'à la retraite », écrivent les deux chercheuses. En dépit de leur coût élevé, des inévitables effets d'aubaine qu'elles engendrent et de leur aspect contradictoire avec l'allongement de la durée de cotisation aux régimes de retraite, l'allocation de remplacement pour l'emploi (Arpe) et l'allocation de chômeur âgé (Aca) ont été prorogées, à la fin de décembre 1998, par les partenaires sociaux. De la même façon, l'Unedic a épargné, et même amélioré, le sort des hauts salaires : les indemnités des salariés concernés sont, depuis 1992, calculées sur une base intégralement proportionnelle à leur ancien salaire de référence, jusqu'à épuisement des droits. A contrario, observent Christine Daniel et Carole Tuchszirer, « les réformes successives ont abouti à réduire de façon cumulative les droits des mêmes catégories de chômeurs : les demandeurs d'emploi plus jeunes, ayant eu une activité plus précaire, avec des salaires plus faibles ou encore travaillant à temps partiel sont ceux dont la situation s'est le plus dégradée en termes indemnitaires ». Le bilan est sans appel : deux jeunes de moins de 25 ans sur trois et une femme sur deux sont aujourd'hui dépourvus de tout revenu de remplacement.

C'est le grand paradoxe de ce régime dit d'assurance. Alors que la précarité en constitue le principal risque – loin devant les licenciements qui ne représentent plus que 40 % des motifs d'inscription au chômage –, ceux qui en sont victimes sont aussi les plus mal assurés. Mais il y a une autre anomalie, plus injuste encore : c'est lorsque ces salariés cotisent normalement sur leurs périodes travaillées, mais à fonds perdu, du fait des règles de calcul en vigueur. Exemple : les assistantes maternelles à domicile, une profession qui s'est développée depuis 1994. « Même lorsqu'elles ont travaillé de longues périodes chez le même employeur, plusieurs années parfois, ces nourrices atteignent rarement le seuil du mi-temps, à partir duquel elles pourraient prétendre à une allocation », constate Jocelyne, salariée d'une Assedic de la région parisienne.

Des indemnités au rabais

La durée moyenne des CDD (3,3 mois) et, a fortiori, celle des missions d'intérim (moins de deux semaines en 1998) ne permettent pas non plus d'atteindre les seuils minimaux d'activité exigibles. À savoir quatre mois dans les huit mois précédant l'inscription en filière 1, six mois dans l'année en filière 2. Sauf si l'on a la chance de voir son CDD reconduit ou transformé en CDI, les droits sont irrémédiablement perdus. Selon Tristan d'Avezac, directeur des affaires économiques du Syndicat des employeurs de travail temporaire, les intérimaires seraient toutefois avantagés : « Si les salariés en CDD sont globalement deux fois plus nombreux que ceux en intérim, les salariés en fin de CDD sont cinq fois plus nombreux à s'inscrire au chômage que les intérimaires en fin de mission. » Reste que seulement 30 % des travailleurs temporaires réussissent à tirer leur épingle du jeu en travaillant dix à douze mois dans l'année. Les autres doivent se contenter de contrats de moins de neuf mois, voire de moins de trois mois dans 30 % des cas.

Les salariés à temps partiel ne sont pas mieux lotis. Même s'ils disposent d'un CDI, la faiblesse de leur rémunération les empêche de prétendre à une indemnité décente en cas de licenciement. Déléguée syndicale CFDT chez Penauille, une grosse entreprise de nettoyage, Colette Vascon témoigne : « Comment voulez-vous que les femmes de ménage, souvent seules avec des enfants, qui gagnent en moyenne 3 000 francs par mois, puissent vivre décemment avec les 2 200 francs que leur allouent les Assedic. C'est impossible ! » Depuis 1992, les salariés à temps partiel ne sont plus indemnisés sur la base d'un temps plein mais au prorata de leur temps de travail ; 26 % des salariés indemnisés se contentent aujourd'hui d'une indemnité moyenne de 2 273 francs, de 30 % inférieure à l'allocation plancher (3 168 francs) de l'Unedic. « Mieux vaut accepter n'importe quel emploi bidon ! » s'exclame Keddy, 38 ans, qui, depuis l'âge de 16 ans se jette sur tous les emplois qu'elle trouve : femme de ménage, vendeuse, caissière, gardienne…

Christine Daniel et Carole Tuchszirer confirment : « Le caractère dégressif des prestations conduit de fait les demandeurs d'emploi à diminuer leurs prétentions salariales. Conséquence : la notion d'emploi convenable se déplace. » Si bien que, « loin de combattre les effets de la précarité, l'Unedic entretient ce processus en contribuant à l'éclatement de la norme salariale », concluent-elles. Le pire est que Keddy, après avoir cumulé trois emplois pour 8 000 francs par mois au total, n'a pas eu la reconnaissance de l'Unedic. « Si une personne a cumulé de faibles droits sur une longue période, dans le cadre d'un apprentissage, d'un temps partiel ou encore d'un contrat emploi solidarité, et qu'elle retrouve une activité plus courte mais mieux payée, celle-ci ne sera pas prise en compte lorsque la personne se trouvera de nouveau au chômage : elle restera indemnisée à son taux antérieur », explique une conseillère des Assedic.

Les salariés d'Astérix en butte aux Assedic

Dans bien d'autres cas, des salariés doivent abandonner tout espoir d'obtenir un revenu de remplacement. À l'instar des emplois jeunes, que l'Unedic a refusé d'affilier en raison d'un contentieux financier non réglé avec l'État sur les CES. Ou encore des salariés des associations intermédiaires, ces structures d'insertion qui engendrent 21 500 emplois en équivalent temps plein et occupent 200 000 personnes dans l'année. Spécialisées dans la mise à disposition de salariés auprès de particuliers, voire d'entreprises, pour réaliser des travaux ménagers, de jardinage ou de bricolage, leur activité n'est exonérée de charges sociales que jusqu'à concurrence de 750 heures de travail dans l'année par salarié… À comparer aux 1 014 heures requises pour prétendre à une indemnité chômage. « C'est d'autant plus rageant pour ceux de nos salariés en situation d'emploi quasi pérenne qu'ils n'ont aucune chance d'obtenir un emploi classique », fulmine Jean-Michel David, directeur des services et de l'animation du Coorace, l'instance qui fédère la majorité des associations intermédiaires.

Autres mal-aimés de l'assurance chômage : les salariés en CDI intermittent, formule qui tend à se développer. En période d'inactivité, de vacances ou en période creuse, ils sont dépourvus de toute rémunération sans pouvoir prétendre aux Assedic car leur contrat n'est pas rompu. Des femmes de chambre, mais aussi des enseignants d'établissements privés se retrouvent aujourd'hui dans cette position. Au Parc Astérix, la situation frôle l'ubuesque à chaque fin de saison. Au terme de leur contrat de quatre mois à temps plein, les saisonniers du parc vont s'inscrire aux Assedic. Toutefois, le parc étant encore ouvert trois jours par semaine pendant deux mois, ils courent le risque de voir leurs allocations suspendues. Motif invoqué : ils sont retournés chez leur ancien employeur. « Nous avons obtenu de l'Assedic de l'Oise qu'elle déroge à cette règle. Mais le problème resurgit quand l'un de nos saisonniers dépend d'une autre Assedic, car toutes n'appliquent pas les règles de la même façon », témoigne Odile Ulrich, chargée de la gestion des ressources humaines du parc.

Le régime de l'activité réduite sur la sellette

Du point de vue des gestionnaires, cette attitude s'explique : « L'Unedic n'a pas vocation à se substituer aux employeurs pour gérer leurs ressources humaines lorsqu'ils n'en ont temporairement plus l'utilité », explique Michel Mersenne, administrateur CFDT. « L'expérience du régime des intermittents du spectacle montre, reprend-il, que, lorsqu'on va trop loin dans l'amélioration des conditions d'indemnisation d'une profession, cela contribue à l'extension sans limites de la précarité du secteur (voir encadré). » « Nous sommes conscients que certaines professions sont tentées de s'organiser autour de l'assurance chômage. En même temps, nous avons atteint un seuil critique en matière de couverture des chômeurs. C'est devenu un vrai problème auquel les partenaires sociaux vont devoir s'attaquer », dit Jean-Louis Walter, administrateur CFE-CGC de l'Unedic.

Les choses commencent doucement à bouger. En 1997, l'Unedic a enfin accepté que les travailleurs saisonniers bénéficient d'une allocation minorée pendant leur période d'inactivité. Les industriels du tourisme, de l'agroalimentaire et autres producteurs en flux tendu ne seront ainsi plus obligés de se séparer de leurs saisonniers au bout de deux ans, sauf à les priver définitivement de droits à l'issue de la troisième saison. Les administrateurs du régime devront décider en fin d'année du sort de ce régime expérimental, qui n'a été prorogé que jusqu'en décembre 1999.

Quant au régime des activités réduites, il est aussi sur la sellette. Les chômeurs ont été autorisés à cumuler un revenu d'activité avec une allocation, réduite d'autant, pour les aider à se maintenir sur le marché du travail. Mais les garde-fous et les tracasseries administratives dissuadent les utilisateurs du système de s'y installer. En pure perte, puisqu'en sept ans le nombre de chômeurs en activité réduite a presque quadruplé (320 000 bénéficiaires recensés en 1998). Mais la règle de l'Unedic qui interdit ce cumul plus de dix-huit fois est insupportable pour ceux qui sont cantonnés dans cette situation.

Exemple, les cadres licenciés à 45 ans, sans beaucoup d'espoir de se faire embaucher ailleurs, qui tentent de s'en sortir avec le portage salarial : « Quand on est relativement doué, dix-huit mois sont un strict minimum pour se créer une activité stable dans le métier du conseil. Résultat, presque tous se retrouvent en fin de droits avec l'obligation de choisir entre arrêter leur activité ou renoncer à percevoir une allocation réduite sans autre possibilité de cumul », témoigne Jean-Loup Guibert, président du nouveau Syndicat des entreprises de portage salarial.

Le chantier de l'assurance chômage est donc ouvert pour les emplois précaires. Si elle est complexe, la question est devenue incontournable pour les partenaires sociaux. Martine Aubry, la ministre de l'Emploi, les pousse à s'y plonger, sinon elle menace d'une taxe supplémentaire les entreprises qui abusent de ce type d'emplois. Mais les administrateurs de l'Unedic traînent les pieds. Alors qu'ils devaient émettre des propositions précises en fin d'année, les discussions n'ont toujours pas commencé. Le Medef a d'ores et déjà opposé une fin de non-recevoir à Martine Aubry. Aussi Maurice Lamoot, administrateur CGT, qui préconise sans succès depuis vingt ans une taxation des entreprises qui licencient, ne se montre guère optimiste : « En 1996, nous sommes passés à côté d'une remise à niveau du régime en faveur des chômeurs, alors que nous étions en situation d'excédent. Le risque qu'il en soit de même cette année est d'autant plus grand que le patronat va surtout se préoccuper de réduire le déficit. » Au prix d'un nouveau tour de vis pour les précaires ?

Les intermittents du spectacle au régime sec

Plus de 3 milliards de francs de déficit en 1998 pour 60 000 bénéficiaires ! Le régime d'assurance chômage du spectacle est en sursis. Pressés par le Medef de réduire ce trou de moitié en trois ans, les partenaires sociaux du secteur sont en train de mettre les bouchées doubles pour moraliser la profession. De fait, ce régime avait généré toutes sortes d'abus, tant de la part des entreprises que de la part des salariés. Première conséquence des négociations en cours : les partenaires sociaux sont parvenus, à l'automne, non seulement à dresser la liste des emplois pour lesquels le CDD d'usage, en vigueur dans la profession, est légitime, mais aussi à obliger les employeurs à faire figurer l'« objet précis » de ce CDD.

« La monteuse de France 3 en congé de maternité devra désormais être remplacée par un CDD de droit commun », indique Jacques Peskine, président de la Fesac, qui regroupe vingt-deux syndicats professionnels du monde du spectacle.

Parallèlement, les partenaires sociaux ont demandé, en janvier, que l'indemnisation soit désormais calculée sur la base des salaires réels. Aujourd'hui, ils réfléchissent à de nouveaux mécanismes destinés, selon Jacques Peskine, « à inciter les intermittents à déclarer du travail plutôt qu'à masquer du travail au noir ». Leur principale proposition vise à plafonner le revenu d'indemnisation auquel un intermittent peut prétendre « de façon que celui-là ne puisse plus excéder le revenu tiré de son travail ». L'âge d'or du régime a vécu !

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle