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Des fortes personnalités appréciées

Dossier | publié le : 01.09.1999 | Sandrine Pouverreau

Les 130 000 jeunes qui sortent chaque année de l'université bénéficient d'une meilleure insertion professionnelle. Parce que les universités s'en préoccupent, mais aussi parce qu'elles s'investissent dans les cursus.

Autonomes », « sociables », « adaptables » : ce ne sont que quelques-uns des qualificatifs qui viennent immédiatement à l'esprit des DRH lorsqu'ils parlent des jeunes issus de l'université. De quoi battre en brèche les clichés qui mettent les grandes écoles de commerce et d'ingénieurs sur un piédestal et entretiennent le mythe de la mauvaise insertion des universitaires. Les chiffres du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq) parlent d'eux-mêmes : 12 % seulement des titulaires d'un diplôme de 2e cycle universitaire obtenu en 1994 (et 10 % des 3e cycles) étaient encore en recherche d'emploi au bout de trente mois (contre 7 % pour les diplômés d'écoles de commerce et 5 % pour les diplômés d'écoles d'ingénieurs). Même si ces chiffres, comme le souligne Daniel Martinelli, chercheur au Cereq, intègrent les diplômés de l'université entrés dans l'enseignement, ils mettent en évidence une nette amélioration de l'insertion professionnelle des universitaires.

On aura beau jeu d'y voir la simple conséquence de la reprise des recrutements. Certes, des secteurs comme l'informatique ou les télécommunications, confrontées à une pénurie de main-d'œuvre, font une véritable razzia dans les facultés. « Dans ces secteurs, le taux d'activité, le type d'emploi, voire souvent le salaire, sont identiques chez les diplômés universitaires et les ingénieurs », constate Mathieu Cotave, chargé d'études à l'Association pour l'emploi des cadres (Apec). Selon une enquête réalisée en 1998 sur l'insertion des jeunes diplômés deux ans après leur inscription à l'Apec, le taux d'activité des diplômés d'écoles d'ingénieurs dans des disciplines comme l'électronique et l'informatique est de 97 % contre… 91 % pour les diplômés de l'université. Séverine de Dreuille, responsable du recrutement chez Sopra, qui recrute 1 750 salariés en deux ans, dont la moitié d'universitaires, le confirme : « Nos besoins sont tels que nous ne pouvons pas compter uniquement sur les diplômés d'écoles d'ingénieurs. Nous intégrons aussi des Miage et des DESS en informatique. » Dans l'informatique, même les entreprises étrangères s'intéressent aux diplômés français. Ainsi, la filiale belge de Siemens est venue présenter ses activités sur les campus de Lille et de Valenciennes. Pourvu qu'ils soient passionnés d'informatique, les diplômés de 3e cycles universitaires en chimie, en mécanique ou en physique profitent de ce boom. « Un tiers de nos recrutements concerne des universitaires, dont certains ne sont pas du tout spécialisés en informatique », indique Laurent Schwarz, DRH d'Alten, une société d'ingénierie qui embauchera 850 personnes cette année.

Les écoles de commerce concurrencées

Les filières scientifiques ne sont pas les seules à recueillir les faveurs des entreprises. Les formations en gestion, en commerce, en marketing et en banque-finance ont également le vent en poupe. Et il s'agit moins d'une flambée du marché de l'emploi que d'une réelle volonté des entreprises de diversifier leurs recrutements. Toujours selon l'Apec, 86 % des universitaires de la filière commerce-marketing ont un emploi, contre 87 % des diplômés d'écoles ! « Cela pose un réel problème de concurrence aux écoles de commerce », insiste Daniel Martinelli. Même chez Ernst & Young, véritable terre d'accueil pour les diplômés des grandes écoles, pratiquement un tiers des jeunes embauchés en 1998 par la branche conseil sortaient de l'université avec un magistère, un DEA ou un DESS de gestion, un DESS logistique ou de ressources humaines, ou encore un Miage en poche.

À la Bred, les deux tiers des 180 jeunes recrutés en 1998 sont issus des bancs de la fac (de bac + 2 à bac + 5, dans des domaines aussi divers que la banque-finance, l'économie, la gestion de patrimoine…). « Nous avons appris à apprécier ces diplômés, assure Jean-Yves Plat, DRH de la Bred. Certaines filières universitaires sont aussi sélectives que des écoles de commerce. » Cette banque les aime tellement que, depuis 1994, elle en accueille en permanence 250 en stage, sur sa plate-forme téléphonique. « Nous avons signé une convention avec certaines universités de la région parisienne (Paris-XII-Val-de-Marne, Paris-I-Panthéon Sorbonne et Paris-II-Panthéon Assas, Paris-X-Nanterre). Les jeunes viennent chez nous en fonction de leur disponibilité, pour l'équivalent d'un quart de temps en moyenne. Ils sont indemnisés à l'heure. À l'issue de leurs études, s'ils nous conviennent, ils sont prioritaires pour les embauches en CDI. C'est une remarquable source de recrutements pour nous. »

D'autres secteurs d'activité utilisent les stages pour leurs recrutements. C'est le cas de la restauration rapide. McDonald's ou Pizza Hut comptent, parmi leurs effectifs, une majorité d'étudiants, dont certains évoluent, à l'issue de leurs études, vers des fonctions de management. « Ils connaissent parfaitement nos métiers car ils ont travaillé chez nous à temps partiel pendant leurs études. Parallèlement, ils acquièrent un niveau de formation suffisant pour tenir un poste de manager, explique Patrick Deshais, responsable du recrutement chez Pizza Hut. Puisqu'il n'existe pas véritablement de formations destinées à nos métiers, nous sommes ouverts à tous types de diplômes. » Comme les recruteurs recherchent de plus en plus souvent des candidats à forte personnalité, les jeunes issus de l'université semblent bien armés. « Ils ont appris à travailler de façon autonome et à se débrouiller », affirme Dirk Averinck, responsable carrières chez Fortis Assurances, qui recrute 115 jeunes pour des postes commerciaux en 1999, dont une moitié d'universitaires. « Ils ont également une certaine ouverture d'esprit et une culture générale appréciable. » Et Jean-Yves Plat d'ajouter : « Ces diplômés sont plus réactifs, possèdent de l'aisance et une rapidité de réflexion. » Ils sont également plus modestes… « Les diplômés d'écoles sont souvent imbus d'eux-mêmes, surtout en période de tension du marché du travail. Les universitaires sont, dans l'ensemble, moins fanfarons », déclare Marguerite Chevreul, responsable du recrutement conseils chez Ernst & Young.

Reste que, sur les campus, les entreprises savent où faire leur marché. « Les cursus universitaires qui recueillent les faveurs des recruteurs sont aussi ceux auxquels l'entreprise a participé », précise Jean-Jacques Briouze, secrétaire national de la CFE-CGC, chargé de l'insertion et de la formation professionnelles. En clair, il s'agit des formations professionnalisées (DESS, MST, MSG ou IUP), qui visent une insertion rapide dans des secteurs en prise directe avec les réalités du monde du travail (essentiellement la gestion, le commerce, l'informatique et l'électronique). Les formations plus générales (lettres, histoire, sciences humaines, certains 3e cycles scientifiques) rencontrent encore des difficultés d'insertion. « Une majorité d'étudiants en lettres, en langues et en sciences humaines se destinent à l'enseignement, observe Francis Gugenheim, directeur de l'Observatoire des formations et de l'insertion professionnelle, à l'université de Lille-I. Ceux qui échouent aux concours éprouvent ensuite des difficultés, car ils ne se sont jamais vraiment préparés à intégrer une entreprise. » Certes, ils peuvent postuler dans les secteurs de la communication, de l'édition, de l'art, dans les collectivités ou l'administration. Mais les postes sont rares… « Même problème pour les diplômés en sciences économiques, ajoute Daniel Martinelli. Ils sont concurrencés par les écoles de commerce et de gestion et par les diplômes universitaires professionnalisés. »

Des compétences utilisables par les entreprises

Certains 3e cycles scientifiques, notamment les sciences de la vie, forment encore trop d'étudiants pour le nombre de postes offerts. « Ces jeunes-là cumulent les petits boulots, postulent par défaut à un emploi intermédiaire dont le statut et le salaire ne sont pas à la hauteur de leurs attentes ou qui ne correspondent pas du tout à leur formation initiale », ajoute Daniel Martinelli. Fortis Assurances reçoit ainsi de nombreuses candidatures de maîtrises, de DESS ou de DEA… pour des postes de non-cadres, d'attachés commerciaux. « Depuis deux ans, nous sommes submergés de CV émanant de DEA en droit », remarque Muriel Le Louer, responsable carrières chez l'assureur. Ces jeunes, plus que les autres, doivent cumuler stages et petits boulots. Bref, montrer qu'ils connaissent les arcanes de l'entreprise, et surtout qu'ils sont passionnés par la vente. « Les non-informaticiens que nous recrutons nous demandent un investissement important en termes de formation et de suivi, estime Séverine de Dreuille, de Sopra. Or nous savons que bon nombre d'entre eux ne resteront pas. Ils continuent à rechercher des postes qui correspondent mieux à leur formation initiale. » La relation entre contenu des formations et besoins des entreprises est difficile à articuler. « Ils ont acquis des compétences et des qualités utilisables par les entreprises, assure André Legrand, vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU) et président de l'université Paris-X-Nanterre. Mais ils ne savent pas les mettre en valeur. »

Un « cabinet de recrutement » à Jussieu

Les responsables universitaires l'ont bien senti, qui se préoccupent de plus en plus de l'insertion professionnelle de leurs ouailles. « L'université a un rôle important à jouer dans l'insertion des jeunes, défend Francis Gugenheim. De nombreux progrès ont été réalisés, notamment dans les établissements à dominante littéraire. » Depuis le début des années 90, sans que la loi ne les y oblige, et sans financement particulier, la quasi-totalité des universités a mis en place des structures d'insertion. Certaines d'entre elles réalisent de véritables performances. Ainsi, l'université de Toulouse-III-Paul-Sabatier recense tous ses diplômés et édite un annuaire envoyé aux entreprises et aux cabinets de recrutement. À l'instar des grandes écoles, une association d'anciens a été créée. « Depuis sept ans, nous interrogeons chaque année tous les sortants à partir de bac + 4, ajoute Gilles Faÿsse, le responsable de l'Observatoire de l'emploi de Toulouse-III. Et nous les réinterrogeons tous les trois ou quatre ans. Cela nous a permis de constituer une base de données de plus de 20 000 diplômés. Quand nous récoltons des offres d'emploi, nous les leur communiquons. » Ce suivi permet aussi de dynamiser les processus de recherche d'emploi, et d'ajuster les formations.

À Jussieu, le service emploi fonctionne comme un véritable cabinet de recrutement. « Nous affichons les offres d'emploi « en aveugle », explique Geneviève Laviolette, responsable du service. Les étudiants intéressés sont ainsi obligés de passer par mon service. Je les aide à transposer, dans le langage de l'entreprise, leur cursus et leurs activités annexes. Ceux qui ont travaillé durant leurs études ont acquis une expérience du monde du travail à laquelle les recruteurs sont sensibles. Cela montre qu'ils savent gérer leur temps et qu'ils peuvent jongler d'une activité à une autre. »

Dans les universités qui ont pris le problème à bras le corps, l'insertion commence généralement bien en amont de l'obtention du diplôme. À Valenciennes, un module de formation intitulé « Projet professionnel et personnel » a été mis en place pour les étudiants de Deug. « Ce module a pour vocation de les inciter à définir ou à préciser leur projet professionnel », précise Ludovic Bernard, chargé de l'insertion au sein de l'université valenciennoise. Des ateliers de préparation au stage ou à la recherche d'emploi sont également organisés par le service. « Dans certaines filières, j'ai obtenu des responsables d'UFR ou de formation que ces modules ou ateliers soient obligatoires. » Ce qui n'est pas une mince affaire…

Accompagner les jeunes jusqu'à l'emploi

Toutes ces initiatives destinées à favoriser l'insertion professionnelle des étudiants rencontrent parfois des résistances dans le monde universitaire. « Nous sommes encore perçus par certains enseignants comme une sorte d'ANPE qui n'a pas sa place dans une fac, avoue Arlette Madic, responsable du service emplois-stages sur le campus de Saint-Maur (Paris-XII-Val-de-Marne). C'est révoltant ! On pourrait améliorer l'insertion professionnelle de nos étudiants si on équilibrait mieux formations théorique et formations pratique, notamment dans les filières non professionnalisées. Les étudiants sont conscients de plus en plus tôt des difficultés d'insertion. Et ils sont volontaires pour effectuer des stages. Malheureusement, un nombre encore trop important de professeurs ne sont pas prêts à faire des concessions et à aménager le planning des cours pour libérer du temps pour les stages. »

Ce n'est pas qu'une question de mauvaise volonté : l'évolution de carrière des enseignants dépend essentiellement de leurs travaux de recherche. « Nous n'avons pas encore réussi à prendre en compte ces formes moins traditionnelles de formation que sont l'aide à l'insertion, le suivi et l'évaluation des stages… », reconnaît André Legrand. Mais une réflexion de fond sur les objectifs de la formation, qui n'est véritablement pas nouvelle, est en train de s'engager : l'université doit-elle accompagner les jeunes jusqu'aux portes de l'emploi ? Et, fort heureusement, un grand nombre d'entre elles ont déjà répondu par l'affirmative.

Auteur

  • Sandrine Pouverreau