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Vie des entreprises

Le droit à l'autolicenciement ?

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.01.2003 | Jean-Emmanuel Ray

Plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation interdisent désormais à l'entreprise de prendre acte de la rupture du contrat de travail d'un salarié qui ne se présente plus à son travail… même si le manquement – invoqué par ce dernier – de l'employeur à ses obligations contractuelles se révèle infondé. La voie est ouverte à tous les abus.

La Cour de cassation persiste et signe. Dans l'arrêt « La Clé des champs » le bien nommé, elle a confirmé le 13 novembre 2002 qu'un employeur prenant acte de la démission d'un salarié ne se présentant plus à son travail prononce en droit une rupture d'origine patronale : licenciement, donc, pour un contrat de travail à durée indéterminée, rupture avant terme fautive pour un contrat à durée déterminée (en l'espèce, seize mois de salaire).

Sans doute n'est-il pas vraiment nouveau que la chambre sociale refuse qu'une entreprise prenne acte tous azimuts de la rupture du contrat d'un travailleur ne travaillant plus, afin d'éviter procédures de licenciement, causes réelles et sérieuses, indemnités de rupture… privant par là même d'allocations de chômage un futur demandeur d'emploi et sa famille.

Sans doute est-il inacceptable qu'un employeur qui a d'autorité imposé une modification au contrat d'un salarié puisse également provoquer sa démission en lui envoyant le lendemain de son absence, alors justifiée par ce grave manquement aux obligations contractuelles, une lettre prenant acte de son départ.

Mais faut-il pour autant donner à un démissionnaire potentiel le droit de choisir son terrain et de s'autolicencier ? Le raisonnement de la Cour de cassation part de sa politique jurisprudentielle, légitimement restrictive, concernant la démission. La Cour veut protéger le salarié contre lui-même, ses propres coups de tête par courriel interposé ou son départ flamboyant sur le mode : « Puisque c'est comme ça, je quitte cette maison de fous »… avec à la clé perte des indemnités de rupture comme des allocations de chômage.

Son raisonnement est en trois temps :

a) « La rupture du contrat de travail ne peut être imputée au salarié que s'il a manifesté une volonté claire et non équivoque de démissionner. » (Cass. soc., 10 juillet 2002, cf. Liaisons sociales Magazine, septembre 2002.) Or cette volonté est pour le moins équivoque lorsque, certes, il prend l'initiative du départ, mais en impute la responsabilité à l'entreprise.

b) Il y a donc rupture. Mais pas démission en l'absence de cette fameuse volonté très éclairée. Et pas davantage rupture d'un commun accord, puisque, au contraire, désaccord total il y a (Cass. soc., 16 octobre 2002), tout retrait d'une démission devant par ailleurs « résulter de la commune intention des parties » (Cass. soc., 6 mars 2002).

c) Pour peu que l'employeur bouge le petit doigt, cette rupture se transforme alors en licenciement, souvent « à l'insu de son plein gré ».

Prendre acte d'une prise d'acte non fondée, et qui ne peut constituer en droit une démission, est certes très contestable. Mais sachant que la majorité des employeurs n'ont pas toujours suivi un double cursus de juriste émérite et de psychologue, peut-on raisonnablement leur interdire de bouger le petit doigt… surtout quand c'est le salarié lui-même qui leur demande de prendre acte ?

Ainsi, dans l'arrêt du 26 novembre 2002, une infirmière psychiatrique non dénuée de psychologie « a demandé le 9 septembre 1989 à l'association Sainte Marie de l'Assomption de prendre acte de sa démission ; qu'en réponse, cette dernière lui a indiqué qu'à compter du 25 septembre elle ne faisait plus partie du personnel. Mme C., estimant avoir fait l'objet d'un licenciement, a alors saisi la justice prud'homale ».

Comme nombre de juges du fond qui résistent encore aujourd'hui à ce glissement insidieux, la cour d'appel de Montpellier avait estimé « que la démission formulée dans la lettre du 9 septembre 1989, ne pouvant trouver son origine dans des carences de l'employeur, est valable en droit ». Réponse cassante de la chambre sociale : « La lettre de rupture qui invoque l'inexécution par l'employeur de ses obligations ne constitue pas l'expression claire et non équivoque de l'intention de démissionner. »

1° Une conception binaire un peu primaire

« Une démission ne peut résulter que d'une manifestation non équivoque de volonté de la part du salarié, laquelle n'est pas caractérisée lorsque le salarié prend acte de la rupture du contrat en reprochant à l'employeur de n'avoir pas respecté ses obligations contractuelles même si, en définitive, les griefs invoqués ne sont pas fondés. » (Cass. soc., 26 septembre 2002.) « La preuve n'est pas rapportée que l'employeur ait imposé une modification quelconque de son contrat de travail à M. C. : le contrat ayant été résilié à son initiative sans faute imputable à son employeur, la rupture s'analyse en une démission. » L'arrêt frappé au coin du bon sens rendu cette fois par la cour d'appel de Rennes le 12 septembre 2000 était pourtant cassé le 13 novembre 2002 : « La lettre du salarié imputant à l'employeur la rupture du contrat de travail ne constitue pas l'expression d'une volonté claire et sans équivoque de démissionner. »

Or quel est le profil du salarié pouvant se permettre d'envoyer à son employeur une lettre lui imputant une rupture, qu'il met en œuvre en ne venant plus travailler ? À l'évidence celui qui pense de bonne foi qu'on lui a imposé une véritable modification de son contrat. Imposé, et non simplement proposé : « Le refus d'une modification proposée par l'employeur n'emporte pas par lui-même rupture du contrat de travail. Ce n'est que si l'employeur entend poursuivre la modification et l'imposer au salarié après son refus que cette voie de fait vaut rupture du contrat de travail. » (Cass. soc., 28 novembre 2001.)

Ce dernier obtiendra alors la requalification en licenciement : forcément irrégulier, presque toujours non fondé (« Prononcé sans lettre et donc sans motif, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse », Cass. soc., 2 juillet 2002), à moins que la lettre de révision n'ait par miracle inclus les causes réelles et sérieuses de cette modification, et souvent abusif par la méthode mise en œuvre : ce qui n'est que justice.

Mais l'on peut aussi imaginer que la bonne foi désormais évoquée à l'article L. 120-4 du Code du travail ne soit pas toujours au rendez-vous. A fortiori si des arrêts de la chambre sociale laissent penser à certains initiés (parmi nos 28 000 démissionnaires mensuels, lesquels n'appartiennent pas toujours à la France d'en bas), que face à un employeur sans service juridique formé dans les meilleures universités, leur départ immédiat sans indemnité ni Assedic peut se transformer à leur gré en cadeau de Noël : licenciement non fondé ouvrant par ailleurs droit aux allocations chômage (si le concurrent rompait l'essai…). Car, in fine, c'est aussi la possibilité d'une fraude massive aux droits de l'Unedic, bien mal-en-point sur le plan financier en ce début 2003, dont il s'agit : le « motif légitime » pour la prise en charge d'un démissionnaire devient la décision discrétionnaire d'un salarié choisissant de s'autolicencier.

Or, à l'exemple de la cour de Rennes mais aussi de Paris qui, comme d'autres juges du fond (cf. l'arrêt de la cour de Montpellier précité), résistent encore à cette singulière évolution jurisprudentielle, le juge doit à notre sens d'abord s'interroger sur la réalité de cette modification (cf. Cass. soc., 13 novembre 2002) ou sur l'éventuel manquement aux obligations contractuelles évoquées par le demandeur avant d'imputer la rupture à l'employeur. Et, dans cette dernière hypothèse, à l'instar de l'unique cas où la jurisprudence décide que la grève devra être payée, il devrait s'agir d'« un grave manquement de l'employeur à ses obligations essentielles ». Mais l'arrêt du 26 septembre 2002 ne semble laisser aujourd'hui aucune chance à l'entreprise (« Même si, en définitive, ces griefs ne sont pas fondés »).

2° Que faire ?

« En prenant acte, à tort, de la démission du salarié, l'employeur a rompu le contrat de travail ; cette rupture, exactement qualifiée de licenciement, est, à défaut d'énonciation de motifs à la date où elle est intervenue, dépourvue de cause réelle et sérieuse. » L'arrêt du 30 octobre 2002 semble montrer le chemin : la faute est la prise d'acte patronale, qu'elle soit officielle ou qu'elle se veuille plus neutre (Cass. soc., 2 juillet 2002 : envoi du certificat de travail et de l'attestation Assedic). Mais est-il souhaitable pour les finances de l'Unedic comme pour l'employeur de laisser au salarié le choix entre démission et autolicenciement ? Mis à part le cas de l'inaptitude, obliger une entreprise à licencier, est-ce bien raisonnable ?

Bien sûr l'employeur peut-il, si l'absence n'a pas de motif valable (du type arrêt maladie), initier une procédure de licenciement pour faute réelle et sérieuse, voire grave s'il a fait preuve de son étonnement concernant cette curieuse absence a priori injustifiée, puis mis en demeure le salarié de reprendre son travail. Mais il devra respecter les délais relatifs à la procédure disciplinaire, comme la nécessaire rapidité de réaction s'agissant d'une faute grave, facteurs n'incitant guère à la réflexion, sinon à la négociation, dans ces affaires souvent fort embrouillées. Mais peut-on l'obliger à licencier, comme semble l'énoncer l'arrêt du 10 juillet 2002 (« Il appartenait à l'employeur qui lui reprochait un abandon de poste de le licencier »), créant un nouveau droit subjectif : le droit au licenciement exigé par… le salarié ? L'employeur peut donc être tenté de ne rien faire, et, en l'absence de tout travail, ne plus verser le salaire à compter du départ du collaborateur. Mais, d'une part, n'encourt-il pas le reproche ci-dessus (il devait le licencier pour faute, et à défaut…) ? Il appartiendrait alors au salarié, sans salaire ni droit à indemnisation pour chômage, de saisir le juge prud'homal qui devra attribuer la responsabilité de la rupture à l'un des protagonistes (Cass. soc., 14 novembre 2000) et/ou, le cas échéant, prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts de l'employeur, dont les conséquences sont de nature à le faire réfléchir en amont puisqu'elles équivalent à celles d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 13 novembre 2002, s'agissant d'une modification imposée de la rémunération). Mais quelle entreprise raisonnable va laisser indéfiniment aux effectifs ce collaborateur virtuel et peut-être bientôt malade ?

N'est-il pas temps d'en revenir à l'excellent arrêt du 18 juin 2002 énonçant, ce qui apparaissait à l'époque comme une évidence ? : « L'employeur n'est pas tenu de procéder au licenciement. À défaut d'un tel licenciement ou de toute autre manifestation de volonté équivalent à un licenciement, le contrat de travail n'est pas rompu. »

On savait que le droit de la modification du contrat était l'antichambre du droit du licenciement. Car s'il refuse un simple changement de ses conditions de travail, le salarié peut être licencié pour faute. Et, s'il s'agit d'une réelle modification du contrat qu'il peut refuser, l'entreprise peut néanmoins supprimer son poste et le licencier pour motif économique. Il serait paradoxal qu'un salarié puisse y ajouter son autolicenciement pour n'importe quel motif, mais automatiquement non fondé, rejouant ainsi le film de Woody Allen : Take the Money and Run.

FLASH

Représentativité médiatique et capacité juridique à négocier au nom d'autrui : Les prud'homales du 11 décembre n'ont pas bouleversé l'équilibre des forces syndicales. Malgré sa percée dans le privé, l'Unsa ne dépasse pas la CGC ou la CFTC. En haut de l'affiche (CGT et CFDT), chacun reste à sa place et maintient ses positions, les deux ensemble dépassant la barre des 50 %. Score qui devrait les conforter dans leur souhait de voir adopter le principe des accords majoritaires énoncé par la position commune du 16 juillet 2001, même si cette élection nationale interprofessionnelle et quinquennale ne doit pas faire oublier l'immense hétérogénéité des résultats dans les entreprises lors des élections des DP et du CE, a fortiori dans les PME où les non-syndiqués du second tour sont très présents. En bas, c'est le score du Groupe des 10 qui peut étonner… ou rassurer, car rappelant que les salariés ne confondent pas omniprésence médiatique et réalités de terrain. SUD avait très tôt compris qu'en ces temps de social-médiatique un passage d'une minute sur TF1 ou dans un grand quotidien valait 10 000 militants en carte. Alors que la chambre sociale, dans ses arrêts du 3 décembre 2002, a semblé conforter « l'activisme syndical » de SUD par courriers électroniques interposés (équivalant pour le tribunal d'instance à l'audience nécessaire à la représentativité), les élections du 11 décembre remettent les pendules à l'heure pour ces premières ONG du social que sont nos confédérations.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray