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Vie des entreprises

Ces entreprises qui jouent au docteur avec leurs salariés

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.01.2003 | Catherine Lévi

Sensibilisation, conseils de nutrition, dépistages… De PSA à Aventis en passant par Air France, les grands groupes sont aux petits soins pour leur personnel. Histoire de lutter contre l'absentéisme, mais aussi d'être socialement responsables. À charge pour eux de rester très vigilants quant à l'utilisation des informations obtenues sur leurs salariés.

Auscultés, écoutés, soignés… les 10 000 salariés qui travaillent sur le site industriel de Citroën, à Rennes, sont probablement parmi les mieux suivis de France. Foin de la sommaire visite médicale. Ici, la nutrition, le stress, les maladies cardio-vasculaires, les migraines ou l'alcoolisme font l'objet de nombreux programmes de santé publique, regroupés au sein d'un projet d'entreprise baptisé Cap Santé 2005. Son slogan : « Heureux au travail ». « La santé est un état de bien-être physique, psychique et social, pour reprendre la définition de l'OMS, argumente le médecin du travail de Citroën Rennes, Patrick Gilbert. La santé publique doit donc faire partie de nos politiques. » PSA n'est pas le seul grand groupe à s'y intéresser. Air France, EDF, Ford, Aventis ou IBM se sont lancés dans la médecine préventive. DRH, médecins du travail, CHSCT et départements de la communication travaillent de concert pour remplir cette nouvelle mission. Les médias internes (intranet, journaux d'entreprise, brochures…) sont mis à contribution. Et les visites annuelles fournissent l'occasion de conseils personnalisés d'alimentation ou de posture, par exemple.

On n'attendait pas vraiment les entreprises sur le terrain de la santé publique. Hormis pour la lutte contre le tabagisme, réglementée par la loi Évin, elles n'ont pas d'obligation légale en la matière. Pourquoi s'y investir alors qu'elles doivent s'atteler à l'immense chantier des risques professionnels ? « La santé ne s'arrête pas à la porte de l'entreprise », estime Pierre Mie, directeur délégué à la protection et à la santé des salariés d'Air France.

Pour Daniel Nerson, directeur associé de Pasteur Mediavita, une filiale du groupe Pasteur, qui propose des outils d'éducation à la santé, « 16 millions de Français souffrent d'une maladie chronique comme le diabète, l'asthme ou l'hypercholestérol… Tous travaillent. Comment une firme pourrait-elle ne pas en tenir compte ? ». Les motivations des entreprises sont multiples. La plus évidente est la recherche d'une meilleure productivité. Lorsqu'un salarié souffre de migraine, par exemple, l'entreprise en pâtit toujours. « Si les gens sont en bonne santé, ils sont plus créatifs, plus efficaces, de meilleure humeur », souligne Wilfredo Ferré, directeur santé d'IBM Europe, qui a instauré depuis longtemps des programmes de prévention variés allant de la gestion du stress à la lutte contre le tabagisme en passant par des conseils de nutrition ou un dépistage du cancer recto-colique… Des séances de massage et de relaxation sont également proposées.

Combattre l'absentéisme

En jouant les bons docteurs, les entreprises cherchent bien entendu à combattre l'absentéisme, qui a souvent pour origine des maux dont les effets peuvent être limités par l'information et la prévention. C'est le cas du mal de dos, première cause d'arrêt de travail, avec 3,6 millions de journées d'absence par an. Mener une campagne de sensibilisation à l'alcoolisme, c'est également éviter des accidents du travail, car les salariés qui ont le verre facile sont davantage exposés aux erreurs d'utilisation des équipements ou de manipulation. Dès 1996, Heineken a créé des structures d'entraide composées de volontaires ayant suivi une formation en alcoologie afin de sensibiliser et d'informer les salariés, de détecter les buveurs à risque et de trouver avec eux des solutions curatives. Dans le transport aérien, où la vigilance doit être totale, maîtriser l'alcoolisme est gage de sécurité. Mais Air France, qui prend ce sujet très au sérieux, s'intéresse également au sommeil des pilotes et du personnel de bord, victimes de décalages horaires très perturbants. Un sujet largement abordé lors des fréquentes visites médicales, où des mémentos sur la santé sont distribués.

Les frontières entre santé publique et prévention des risques professionnels sont parfois ténues, tant les pathologies proviennent de nombreux facteurs. Les conditions de travail peuvent amplifier des problèmes personnels, comme les migraines ou les maux de dos. De la même manière, certaines maladies professionnelles, comme celles liées à l'amiante, trouvent un terrain favorable chez les fumeurs. « La santé est un concept global », affirme Patrick Gilbert, de Citroën Rennes. À l'usine rennaise du groupe PSA, le changement d'organisation du travail généré par les 35 heures a révélé des phénomènes de malnutrition. Avec l'introduction d'équipes en 3 x 7, la pause-déjeuner de quarante-cinq minutes a été supprimée et remplacée par des coupures n'excédant pas onze minutes. Ces arrêts très courts ont obligé de nombreux opérateurs à avaler des sandwichs sur le pouce. Résultat : des déséquilibres alimentaires, source de fatigue, mais aussi de prise de poids excessive, voire d'obésité naissante. Une situation jugée suffisamment sérieuse pour que Patrick Gilbert décide de lancer des entretiens individuels de sensibilisation à la nutrition par les médecins du travail aidés par une diététicienne. Conseils, offre de restauration adaptée, prise en charge médicale des obèses par le secteur hospitalier et la médecine de ville. Engagé en 2001, ce programme, baptisé Santal, a déjà concerné plus de 350 personnes. « C'est une autre approche de la médecine du travail. C'est vers cela qu'on devrait aller », observe Serge Halouze, délégué du Syndicat indépendant automobile (SIA).

Comme tous les Français, les salariés apprécient qu'on s'intéresse à leur santé. Jouer la carte de la prévention pour les entreprises, c'est, d'une certaine manière, rendre la vie plus agréable à leurs collaborateurs, en leur offrant de nouveaux services, au même titre que la restauration d'entreprise ou la garde d'enfants. Une affaire de marketing interne dont les services de communication ont vite perçu les bienfaits. « Proposer des thèmes qui touchent personnellement les salariés est un moyen de rendre notre intranet plus attractif », affirme le docteur Pascal Besse, responsable de la communication on line d'Aventis Pasteur, qui finalise actuellement son site santé. Trois types de contenus sont prévus : des sujets d'actualité, comme l'« épidémie » de grossesses qui sévit actuellement dans l'entreprise, des thématiques « lourdes » comme l'alcoolisme, le mal de dos ou la nutrition, des sujets-événements liés aux actions des médecins du travail, tels le dépistage du cancer du côlon ou la prévention du diabète.

Une aubaine pour la Sécu

Mais les entreprises y voient aussi l'occasion d'exercer leur nouvelle responsabilité sociale. « Nous avons une clientèle captive que l'on peut observer pendant vingt ou trente ans. C'est un champ extraordinaire pour la prévention », estime Patrick Gilbert, de PSA. Or le terrain est presque vierge, tant le système de santé est organisé autour de la réponse thérapeutique à une pathologie déclarée. « La prévention est le maillon faible de la santé publique, souligne Wilfredo Ferré. À part à l'école, il ne se passe pas grand-chose. » Les professionnels de la santé trouvent leur compte dans ces démarches individuelles d'entreprises. À tel point que des partenariats fructueux se nouent. PSA a lancé en mai 1999 son programme Noémie contre la migraine avec le laboratoire GSK. Quant à son projet sur la nutrition, il associe deux médecins du travail, un professeur de santé publique, un spécialiste de la nutrition, chef de service au CHU de Rennes, la direction départementale de l'action sanitaire et sociale, la mutuelle d'entreprise. Le site breton du constructeur a même obtenu des fonds publics pour financer une partie du programme.

De telles initiatives sont une aubaine pour la Sécurité sociale et les mutuelles qui trouvent là un relais direct à leurs propres campagnes. AG2R, une institution de prévoyance et de retraite qui cible des actions de mécénat sur le diabète et la malentendance, s'associe aux entreprises intéressées par ces sujets de santé publique et leur propose expositions, conférences itinérantes, animations, etc. En mars 2000, le médecin du travail de Caterpillar, qui souhaitait informer son personnel des risques liés à l'apparition du diabète, a présenté l'exposition AG2R dans la cafétéria de l'entreprise. Les grandes associations de santé publique trouvent également auprès des entreprises un écho à leurs campagnes de sensibilisation et peuvent personnaliser leurs messages. Dans le cadre de la loi Évin, la RATP a organisé l'information et proposé différentes mesures, comme l'ouverture d'un local réservé aux fumeurs, qui ont permis de proscrire le tabac de la salle des machinistes d'un dépôt de bus de la région parisienne. La DRH, le CHSCT, le médecin du travail et le Comité national contre la tabagisme ont travaillé main dans la main. « La RATP avait besoin d'expertise pour faire un diagnostic et mener des actions de prévention. Le travail en réseau convivial est nécessaire dans ce type d'approche », affirme Christian Peschang, secrétaire général du comité. Difficile, en effet, pour une entreprise de faire cavalier seul sur la santé publique. Pour créer son « école du dos », Air France a obtenu le soutien de l'hôpital Saint-Antoine et de l'Inserm. L'outil d'information d'AG2R sur le diabète a été réalisé avec le Centre européen d'étude du diabète et l'Association française des diabétiques. Mais les entreprises ne savent pas toujours à quelle porte frapper.

Gare aux dérives !

Pour être efficaces, les actions de santé publique exigent du temps et de la rigueur, avec un retour sur investissement difficilement mesurable. L'évaluation des programmes est, notamment, indispensable pour éviter la gadgétisation. Le site breton de PSA va créer un observatoire pour étudier les liens entre nutrition et santé au travail sur une période de cinq ans et constituer un outil de pilotage et d'évaluation. « Difficile, également, d'installer dans la durée des actions qui ne sont pas inscrites dans les textes », fait valoir Daniel Nerson, du groupe Pasteur. « Les entreprises font parfois de l'affichage, met en garde Bernard Salengro, délégué santé au travail de la CFE-CGC. Elles n'ont pas toujours les moyens de réflexion nécessaires. Des problèmes de suivi se posent pour certaines. Il faut être vigilant sur les risques de dérive. »

Des questions d'éthique se posent lors du choix des intervenants extérieurs. « Les entreprises ont besoin de messages neutres et indépendants fondés sur des informations validées par une structure légitime », affirme Ruth Gozlan, directrice médicale de Pasteur Mediavita, qui bénéficie des synergies du groupe Pasteur. Attention également aux excès de zèle. « Le secret médical et la non-discrimination à l'embauche sont les limites de ces pratiques. Il faut être attentif », estime Jean-Marie Bergère, directeur délégué de Développement et Emploi. C'est notamment pour ces raisons qu'Air France a décidé de contractualiser sa démarche. Reste que les entreprises peuvent trouver d'autres obstacles plus inattendus, comme la résistance de médecins du travail formés à la vieille école.

Ford part en guerre contre le diabète

C'est une démarche citoyenne, caractéristique des entreprises américaines, qui a conduit Ford Industries à Bordeaux (3 700 salariés), comme toutes les filiales du groupe automobile, à engager des actions de mécénat en faveur d'une grande cause : la recherche contre le diabète.

Un thème à l'origine choisi pour des raisons personnelles par le grand patron américain. En 2000, les salariés de l'entreprise ont entrepris une marche à travers la ville, leurs droits d'inscription faisant office de dons.

Des fonds ont également été récoltés. Fort de ce premier succès, Ford a réitéré l'opération en septembre 2001 avec d'autres entreprises de la communauté urbaine de Bordeaux. Huit cents personnes se sont rassemblées, ce qui a permis de récolter près de 15 000 euros, reversés à l'Association française des diabétiques. La mutuelle AG2R, dont les activités de mécénat sont centrées sur le diabète, s'est associée à la manifestation et a organisé une exposition dans l'enceinte de l'usine Ford pour sensibiliser les salariés à titre personnel.

Le médecin du travail de Ford, qui mène depuis plusieurs années des actions de prévention, a saisi l'opportunité de l'exposition pour réaliser des tests de dépistage. La troisième marche du genre, qui a eu lieu en septembre dernier, a été ouverte à tous les Girondins.

Une exposition sur le diabète a pu être consultée librement et un dépistage de glycémie a été proposé aux marcheurs.

Auteur

  • Catherine Lévi