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Débat

Faut-il s'attendre à une rentrée sociale agitée ?

Débat | publié le : 01.10.2002 |

Remise en cause des 35 heures version Aubry, réductions de postes dans la fonction publique, mesures d'austérité dans le secteur public (EDF, France Télécom, SNCF), proximité d'élections prud'homales favorable à la surenchère… autant d'ingrédients susceptibles de faire grimper la température sociale. Doit-on craindre un automne chaud, voire un troisième tour social ? La réponse de trois météorologues du social.

« Sauf imprévus, rien ne dit que la rentrée sera chaude. Tiède, peut-être, et encore. »

GUY GROUX Directeur recherche au CNRS, Cevipof, Sciences po. Paris.

Le syndrome de 1995 hante les commentaires de certains médias. De grands syndicats comme la CGT appellent à une mobilisation massive. Et l'extrême gauche retrouvant des accents soixante-huitards évoque un troisième tour social. Certes, le contexte présent est très particulier. Depuis 1997, c'est la première fois que les syndicats se retrouvent seuls face à un gouvernement de droite. De surcroît, ce dernier envisage la mise en œuvre de réformes qui risquent de mettre en cause certains acquis sociaux traditionnels. Enfin, la « rentrée » coïncide avec l'ouverture de la campagne pour les prud'homales et les risques de surenchère que de telles périodes entraînent souvent. Pourtant rien ne dit, sauf imprévus, que la rentrée 2002 sera chaude… Tiède, peut-être, et encore. En fait, le « front social » est aujourd'hui clivé en deux camps. D'un côté, les services publics. Dans l'immédiat, les fonctionnaires des grandes administrations risquent d'être sensibles aux contraintes budgétaires et à leurs effets sur les effectifs et les salaires. Dans les entreprises nationalisées, d'autres sources de mécontentement existent, qu'il s'agisse de la réforme du statut d'EDF, de la « privatisation » d'Air France ou des questions d'organisation liées aux changements périodiques d'horaires à la SNCF. Au total, le « terreau revendicatif » se prête à l'émergence de certains mouvements sociaux mais… des mouvements catégoriels et épars, sans plus. Dans le secteur privé, la situation est beaucoup plus atone. Certes, au niveau local, certains plans sociaux peuvent déboucher sur des conflits à plus ou moins forte résonance médiatique. Cependant, d'une manière générale, le gouvernement a su – semble-t-il – désamorcer les risques liés à deux des urgences qui touchaient plus particulièrement le secteur concurrentiel. La réforme et l'unification des smics par le haut et le maintien des primes pour l'emploi militent en faveur des plus faibles revenus. Concernant les lois Aubry parfois si décriées, le gouvernement opte pour une stratégie d'assouplissement et lie, pour dix-huit mois, l'adaptation de la loi à des négociations de branche, même si cela se fait dans un cadre réglementaire plus ou moins contraignant à propos des heures supplémentaires. Bien sûr, l'évolution des 35 heures peut conduire à d'importantes disparités entre les salariés, et notamment ceux des PME face aux autres. Mais ce n'est certainement pas sur ce terrain qu'il faut attendre aujourd'hui des conflits d'importance. En fait, les vrais problèmes pour le gouvernement sont devant lui. En effet, il veut initier d'importantes réformes qui peuvent remodeler en profondeur le paysage social. Il en est ainsi des retraites, de la réforme de l'État qui prend un tour particulier avec la régionalisation, du rapport entre la négociation et la loi, sans oublier la représentativité des syndicats ou l'exercice du droit de grève dans les services publics. De tels thèmes sont porteurs de très nombreux malentendus. D'où la nécessité de les aborder en y associant pleinement – par la concertation et la négociation – les partenaires sociaux. Si cela n'était pas fait ou mal fait, alors nul doute que la France renouerait avec des conflits sociaux très vifs, très étendus et qui se prolongeraient dans le temps. Une sorte de « Mai rampant » qui n'aurait rien de commun avec les soubresauts rituels de rentrées sociales qui se suivent et se ressemblent.

« Une crise sociale majeure paraît exclue à l'automne mais pas au printemps prochain. »

HUBERT LANDIER Directeur de la revue « Management et Conjoncture sociale».

Chaque année à pareille époque, la question est posée : l'automne ne risque-t-il pas d'être chaud ? Et chaque année ou presque, les faits lui apportent une réponse négative. Un « troisième tour » social supposerait une émotion unanime, brutale, imprévisible face à une situation ou à des initiatives jugées intolérables venant du gouvernement, en même temps qu'une ferme volonté des syndicats de l'obliger à reculer. Or l'émotion populaire s'est exprimée entre les deux tours de l'élection présidentielle et le gouvernement prend grand soin d'éviter toute mesure susceptible de dresser l'opinion contre lui. Quant aux confédérations syndicales, la perspective des élections prud'homales les conduit à éviter toute initiative qui pourrait être jugée aventuriste par les électeurs.

Le scénario le plus probable est qu'il y aura des conflits, à l'occasion des plans sociaux, qui risquent d'être nombreux compte tenu de la conjoncture, et là où les salariés auront le sentiment d'une remise en cause intolérable de leurs avantages, notamment dans le secteur public. Une crise sociale majeure paraît cependant exclue à l'automne, mais pas au printemps prochain. Le gouvernement, en effet, a adopté en matière sociale une politique prudente qui le conduit à des solutions moyennes ne satisfaisant pleinement personne et mécontentant tout le monde, comme les récentes mesures sur les 35 heures et l'harmonisation des smics. L'image rassurante du Premier ministre risque ainsi de se ternir assez rapidement, d'autant plus qu'une partie de l'opinion, acquise à la gauche, n'attend que cela. L'usure du pouvoir se fera donc sentir au lendemain des fêtes de fin d'année. Sur certains dossiers lourds comme les retraites, le Premier ministre a choisi d'étaler les mesures dans le temps et de reporter les sujets qui fâchent à 2003. L'inconvénient, c'est qu'il devra les aborder alors même que son image se sera déjà dégradée, ce qui laissera beaucoup plus de place à l'expression des critiques. L'ampleur de cette dégradation sera évidemment fonction de l'évolution de la conjoncture, des résultats aux élections prud'homales et de l'habileté de Jean-Pierre Raffarin à gérer entre-temps les possibles mécontentements. Trois scénarios peuvent donc être proposés. La première hypothèse est celle d'un gouvernement qui a conservé suffisamment d'autorité pour aborder des dossiers difficiles à traiter. Le Premier ministre aurait eu raison, alors, de ne pas se précipiter. La deuxième hypothèse est celle d'une dégradation de son autorité telle qu'il se trouverait obligé d'adopter des demi-mesures et de remettre à plus tard le traitement des dossiers les plus lourds. La troisième hypothèse est celle d'un changement de gouvernement. Il serait surprenant que le président de la République n'y ait pas déjà pensé. En tout état de cause, la période socialement la plus délicate se situera au cours du premier semestre 2003. Mais on ne saurait être beaucoup plus précis sur le calendrier non plus que sur l'ampleur des difficultés auxquelles le gouvernement devra alors faire face.

« La fragilisation de groupes sociaux ou leur capacité à peser sur l'État pourraient générer des conflits. »

PIERRE-ÉRIC TIXIER Professeur des universités à Sciences po.

Incertitude économique, inquiétude sur la remontée du chômage, besoins de flexibilisation de la main-d'œuvre, remise en cause du périmètre des États providences, cortège de privatisations, interrogations sur les régimes de retraite… dans tous les pays européens, ces différents changements sont difficilement acceptés par les travailleurs. L'Allemagne a été au bord de la grève générale dans la métallurgie, l'Italie a vu un grand mouvement protestataire face aux initiatives du gouvernement Berlusconi en matière de droit du licenciement, l'Espagne a connu une grève importante concernant l'assurance chômage et l'Angleterre, sa première grande grève des services publics juste avant l'été. Mais aucun pays européen ne semble autant fragilisé que la France par les interrogations que suscite la mondialisation et ses effets en termes de répartition des ressources.

Or si l'exposition à la mondialisation est massive en France, elle n'est pas clairement assumée politiquement par les élites. Cette situation produit une sorte de déni du réel dans lequel un État aux pieds d'argile serait censé protéger chacun tout en laissant de facto s'accroître les inégalités. Cette situation a produit une perte de sens, des conflits de la désespérance et un cortège de revendications corporatistes. Face à ces enjeux, la France apparaît comme en suspens, sans projet social, engoncée dans des législations et réglementations qui se superposent les unes aux autres et qui limitent sa capacité d'adaptation. Cette situation peut produire pour cette rentrée trois types de scénarios. Un premier serait caractérisé par une perte de régulation économique, politique et sociale avec une multiplicité de conflits en fonction de la fragilisation des groupes sociaux ou de leur capacité à peser sur l'État. Nous connaîtrions un prolongement de l'année passée avec la montée d'une violence localisée et un immobilisme de la stratégie du gouvernement qui ne trouverait pas de base de compromis, malgré les appels à la réforme. Le deuxième scénario serait celui d'une conflagration sociale qui pourrait surgir face à une diminution des ressources collectives. La remontée des conflits sociaux depuis 1999 est un indicateur significatif. On voit réapparaître aussi une certaine violence sociale, notamment de la part de jeunes salariés, et des comportements de résistance à l'intensification du travail. Face à une configuration dans laquelle aucune base d'accord ne serait trouvée sur les grands dossiers, les acteurs institutionnels pourraient être pris dans un mouvement d'entropie. Chacun voulant plus affirmer son identité propre. Dans un tel contexte, un conflit sociétal peut naître de revendications qui se cumuleraient et mobiliseraient classes moyennes et populaires. Un scénario de la reconfiguration pas à pas est aussi possible. Cela suppose que nous abordions explicitement les problèmes que posent la mondialisation et l'Europe et qu'il y ait un regain du débat démocratique. Une perspective de réforme partielle appuyée sur une conscience partagée des enjeux traverserait les groupes sociaux, permettant de retrouver un souffle pour le pays. Une telle hypothèse suppose une stratégie de changement pas à pas plutôt qu'une mise à plat généralisée.