logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Le privé mène davantage pions et profs à la baguette que le public

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.09.2002 | Éric Béal

Sur les programmes ou les heures de cours, pas de différence entre le collège privé Saint-Louis et le collège public Jean-de-Beaumont, à Villemomble (93). Mais la directrice du premier a plus de pouvoir pour recruter et organiser le travail du personnel. Les élèves y sont peut-être gagnants. Revers de la médaille, les profs sont un peu moins bien payés que dans le public.

Mardi 3 septembre, 9 heures. Moment attendu par les uns, redouté par les autres, les élèves de sixième passent l'élégant porche sur pilotis du collège public Jean-de-Beaumont, à Villemomble. La journée est consacrée à la découverte de cet établissement flambant neuf qui fête sa deuxième rentrée depuis sa reconstruction, à l'été 2001. Le même jour, à l'autre bout de cette commune de la Seine-Saint-Denis, tout est calme au collège Saint-Louis, à l'ombre de l'église du même nom. Dans cet établissement qui fait partie, avec le lycée voisin Blanche-de-Castille et une école primaire située à deux pas, d'une même institution supervisée par l'ordre des servites de Marie, les élèves ne feront leur apparition que le lendemain.

À Villemomble, la cohabitation entre établissements privés et publics se passe plutôt bien. La municipalité (RPR) met ses installations sportives à la disposition des 510 élèves de Jean-de-Beaumont comme des 887 élèves de Saint-Louis. Situé entre deux cités HLM et une zone pavillonnaire, Jean-de-Beaumont accueille essentiellement les adolescents du quartier. « Nous bénéficions d'une paix sociale relative, indique Gisèle Bestion, la principale. Depuis leur ouverture, les nouveaux locaux n'ont pas subi de dégradation. Mais l'environnement n'est pas agréable. D'ailleurs, nombre d'enseignants demandent leur mutation chaque année. » À l'inverse, Saint-Louis attire des enfants de familles plutôt aisées, installées à Villemomble et dans les communes environnantes. Si les locaux sont vétustes, la réputation du collège est solidement établie. « Nous accueillons en priorité les élèves des écoles catholiques voisines. Ainsi que les frères et sœurs des élèves déjà inscrits chez nous. Le reste de l'effectif vient du public. Chaque année, le jour de l'inscription, j'ai 200 dossiers sur mon bureau dès 10 heures du matin », explique Isabelle Blandin, la directrice de l'institution catholique.

Des familles qui optent pour l'enseignement privé parce qu'elles souhaitent en priorité « un encadrement efficace, impliqué et disponible ». Notions que les enquêtes nationales font systématiquement apparaître. À Saint-Louis, la conseillère principale d'éducation (CPE) s'occupe en fait des trois établissements de l'institution. Mais elle est secondée sur le collège par une conseillère d'éducation et quatre responsables de cycle (une par niveau). Trois surveillants à temps plein se relaient sur le collège et le lycée. Sans compter des intervenants extérieurs pour accompagner les élèves de demi-pension au réfectoire ou surveiller les études pendant quelques heures par semaine. « J'ai une équipe très présente sur le terrain, explique Isabelle Blandin. Nous n'hésitons pas à réagir vivement au moindre comportement déviant. La plupart du temps, nous bénéficions du soutien des parents. À l'évidence, les établissements publics sont confrontés à un plus grand nombre d'enfants à problèmes. »

Pas de sélection à l'entrée

À Jean-de-Beaumont, l'équipe enseignante est complétée par un CPE, trois surveillants à temps plein, deux aides-éducateurs (emplois jeunes) et un maître de demi-pension, directement recruté par la principale. Gisèle Bestion rappelle que son établissement ne pratique aucune sélection à l'entrée et ne renvoie pas les élèves dont les résultats scolaires sont mauvais. « Nous proposons les mêmes services que les établissements privés : aide aux devoirs et garderie le soir, animation de clubs d'activité pendant le service de cantine, etc. Sans pour autant faire payer les parents. »

Sur le contenu des enseignements, inutile de chercher la différence. « L'État garde la haute main sur la pédagogie des établissements privés sous contrat d'association, explique Jean-Charles Ringard, inspecteur d'académie à Bobigny. Le nombre d'heures par matière est le même et les programmes scolaires sont identiques à ceux des collèges publics. Un établissement privé garde uniquement la possibilité d'ajouter des heures de formation religieuse. » Mais les moyens ne sont pas les mêmes. Le collège Saint-Louis bénéficie d'un budget annuel de fonctionnement de 1,829 millions d'euros, « dont environ un tiers est payé par les familles, précise Marc Briffaut, intendant du collège et du lycée. L'État et le conseil général prennent le reste à leur charge. Nous disposons librement des sommes versées par les familles ».

Côté Jean-de-Beaumont, Guillaume Hénocq, l'intendant, dispose d'un budget plus modeste, de 265 000 euros (en 2002). « Après la reconstruction du collège, qu'il a financée, le conseil général a beaucoup diminué le montant de ses subventions de fonctionnement. Ce qui pose un problème car nos équipements sportifs et techniques sont plus nombreux et nécessitent un entretien accru. » Le faible niveau du budget s'explique aussi par le fait que l'académie assure la rémunération du personnel de service, des surveillants, des bibliothécaires, secrétaires ou médecins scolaires, jusqu'aux aides-éducateurs et au maître de demi-pension.

Dans l'enseignement public, le ministère de l'Éducation nationale détermine les horaires et les obligations de service des personnels non enseignants. Les salaires, peu élevés, dépendent d'une grille indiciaire, du niveau de diplôme à l'embauche et de l'ancienneté au poste. à Saint-Louis, en revanche, comme dans tous les établissements privés sous contrat d'association (95 % du total), c'est l'association responsable de la gestion de l'établissement (Ogec) qui assure directement l'embauche, la rémunération et le suivi de carrière des personnels non enseignants. La convention collective des « personnels des services administratifs et économiques » fait référence à la grille indiciaire de la fonction publique, et les augmentations sont décidées au niveau de la commission paritaire nationale. Les salaires sont aussi bas que dans le public. « Nous ne bénéficions d'aucun entretien annuel d'évaluation. Pis, depuis le passage aux 35 heures, nous sommes censés travailler suivant un planning annuel que nous n'avons jamais vu », dénonce un membre de l'équipe administrative.

Reste une différence notable : la gestion de carrière. Dans le privé, où la direction a une liberté totale de gestion, les évolutions sont plus faciles. « Le départ de deux conseillères d'éducation m'a permis de faire bénéficier d'une promotion deux surveillantes de cycle, qui ont suivi pour cela une formation », indique Isabelle Blandin. Une décision impossible dans le public où toute promotion est conditionnée par l'obtention d'un concours national…

Salaires plus taxés dans le privé

Qu'ils travaillent dans l'enseignement privé ou dans l'enseignement public, les enseignants sont payés par l'académie. Ce qui ne transforme pas pour autant les profs du privé en fonctionnaires. Leur statut est celui d'« agents non titulaires de l'État ». À diplôme égal et ancienneté comparable, leur salaire brut est identique à celui des enseignants du public : 1 281,49 euros par mois minimum pour un capésien ou un cafépien (voir encadré ci-contre) débutant, 3 397,03 euros pour un certifié ou 4 178,96 euros pour un agrégé en fin de carrière. Les indemnités de « professeur principal » ou de suivi pédagogique sont identiques. Mais les profs du privé subissent une ponction plus lourde. « Nous avons toutes les retenues des salariés du secteur privé, indique Michel Bonneau, du Syndicat enseignement privé (SEP) CFDT, alors que nos collègues du public ne cotisent ni pour la Sécurité sociale ni pour le chômage. De plus, leurs indemnités sont nettes alors que nous subissons également des retenues sur ces montants. » Selon le syndicat, la perte de revenu en fin de carrière se situe entre douze et vingt-quatre mois de salaire, selon le grade et le diplôme.

Pour l'organisation du travail, l'État impose sa logique aux établissements. Chaque année, les collèges publics ou privés sous contrat reçoivent une « dotation horaire globale ». À charge pour les directions de répartir les heures en fonction des besoins par matières et par niveaux. Et de bâtir les sacro-saints emplois du temps. Un exercice beaucoup plus périlleux dans le public que dans le privé. À Jean-de-Beaumont, la principale et son adjoint s'y collent dès la fin juin, après avoir recueilli les vœux des membres de l'équipe pédagogique. « Le plus important est d'éviter les trous entre deux cours pour les élèves. Il faut également mettre les enseignants dans de bonnes conditions de travail et leur donner envie de s'investir. » Certains demandent à ne pas travailler le mercredi matin, d'autres souhaitent disposer de leur vendredi après-midi. D'autres encore ne veulent pas commencer à 8 heures ou finir à 17 h 30. Parallèlement, les professeurs se répartissent les classes.

Des tâches d'animation annexes

« Le respect des vœux et un emploi du temps pas trop dispersé dans la semaine fait beaucoup pour la réussite d'une année, estime Hélène Senadji, professeur d'histoire-géographie et unique syndiquée du collège. Sinon la fatigue s'accumule en milieu d'année et cela finit toujours par des absences prolongées », poursuit cette adhérente du Snes. Des absences non sanctionnées si elles sont justifiées par un certificat médical, mais qui peuvent en théorie aboutir à une retenue sur salaire si le professeur ne fournit aucune explication. « En réalité, c'est le flou artistique, constate une enseignante. J'ai plusieurs fois dépassé le quota de trois jours et demi d'absence annuelle pour cause d'enfant malade et je n'ai jamais eu de suite. »

Dans le privé, et notamment à Saint-Louis, la direction demande à ses enseignants une implication importante, y compris en dehors des heures de cours. Certains d'entre eux assurent bénévolement l'enseignement religieux. Pour ceux qui refusent, l'emploi du temps constitue un moyen de pression éventuel. « J'ai vu des professeurs avec douze heures de cours hebdomadaires venir cinq jours par semaine, car leur emploi du temps avait été sciemment découpé », assure un ancien délégué syndical du collège catholique. Une situation relativement courante. « Les établissements privés ne cherchent pas à regrouper les heures, estime Michel Bonneau, secrétaire général du SEP CFDT 93. Car un professeur présent dans l'établissement acceptera plus facilement des tâches d'animation annexes… »

Neuf heures garanties seulement

Dans ces deux organisations, les profs n'ont ni le même degré d'indépendance ni le même niveau de garantie. « Nombre d'entre nous ont aussi choisi ce métier pour la liberté qu'il apporte, indique Hélène Senadji. Je n'ai pas de supérieur direct sur le dos. Depuis quelques années, le ministère valorise les projets pédagogiques innovants, mais les enseignants n'ont aucune obligation. » La grande majorité des professeurs de Jean-de-Beaumont sont titulaires du Capes et assurent dix-huit heures de cours hebdomadaires. Une agrégée en fait quinze. Dans le privé, les titulaires du certificat d'aptitude aux fonctions d'enseignement dans les établissements d'enseignement privés (Cafep) sont seulement assurés d'un minimum de neuf heures de cours hebdomadaires. Dans la majorité des cas, ils parviennent malgré tout à un service de dix-huit heures et peuvent, comme dans le public, bénéficier au maximum de quatre heures supplémentaires.

À Saint-Louis, le nombre de non-titulaires du Cafep est élevé. Une trentaine d'enseignants sont des adjoints d'enseignement titulaires d'une licence ou d'une maîtrise, dont l'expérience est validée par l'académie. Une quinzaine sont des « maîtres auxiliaires » sous contrat d'enseignement provisoire qui peuvent perdre leur poste d'une année à l'autre si un titulaire du Cafep se présente. Moins bien rémunérés que les cafépiens, les MA sont souvent volontaires pour effectuer des heures supplémentaires payées par l'Ogec. Le nombre d'heures payées directement par l'établissement est d'ailleurs important. Tous statuts confondus, l'intendant Marc Briffaut établit environ 120 fiches de paye par mois (pour l'institution dans son ensemble).

À Jean-de-Beaumont, la réunion de prérentrée est l'occasion pour Gisèle Bestion de rencontrer les professeurs nommés dans l'établissement. À charge pour elle d'animer une équipe enseignante qu'elle n'a pas choisie. Une situation impensable à Saint-Louis où les postulants sont reçus en fin d'année scolaire par Isabelle Blandin. « Je fais mon choix. Même si les cafépiens titulaires sont prioritaires, je peux les refuser si j'estime qu'ils ne sont pas en phase avec notre projet pédagogique. » Une affirmation nuancée par Jacqueline Lohmann, responsable de l'enseignement privé à l'académie de Créteil. « Les chefs d'établissement font des propositions d'affectation en commission consultative mixte d'académie, mais nous refusons la nomination d'un non-titulaire tant qu'un cafépien présent sur l'académie n'a pas obtenu d'affectation. Les négociations peuvent être difficiles, mais tout finit pas s'arranger. »

Un CE et un CHSCT dans le privé

Le statut de principal d'un collège privé s'apparente un peu à celui d'un chef d'entreprise. Employeur privé dont le nombre de salariés excède 50, Saint-Louis-Blanche-de-Castille a un comité d'entreprise, un CHSCT et des délégués du personnel ; des instances inconnues à Jean-de-Beaumont. Il reste que, lorsque la direction de l'établissement a voulu procéder à l'externalisation de l'entretien des locaux et de la préparation des repas, le CE s'est vainement opposé à cette opération. Il a uniquement réussi à maintenir deux déléguées du personnel en poste.

Le fonctionnement des instances représentatives n'est pas idéal. Parent d'élève, très accaparé par ses activités professionnelles, le président de l'Ogec, qui devrait conduire les réunions du CE ou du CHSCT, délègue ses responsabilités à la directrice. « Le dialogue est tellement inexistant dans l'établissement que les salariés et les enseignants ont pris l'habitude de poser des questions concernant le fonctionnement de l'établissement sur le cahier du personnel. Nous nous retrouvions à discuter des fournitures ou des commandes de matériel », se plaint un ancien délégué du personnel, parti enseigner dans un autre collège l'an dernier.

Même sans comité d'entreprise ni délégués du personnel, sans indemnités de départ à la retraite, le statut de fonctionnaire procure des avantages indéniables pour les enseignants du public comme pour les personnels Atoss (administratif, technique, ouvriers sociaux et de santé). Certes, la charge de travail de ces derniers s'est alourdie par la mise en place des 35 heures à effectifs constants. Mais, dans l'enseignement privé, la RTT n'a rien arrangé non plus aux relations entre direction et personnels non enseignants. À Saint-Louis, les salariés de l'Ogec se sont vu imposer un décompte précis de leurs heures de travail réintégrant les congés d'hiver et de printemps. Ils n'ont donc pas gagné de temps libre. Mais les personnels Atoss du public ont d'autres soucis en tête : des rumeurs insistantes font état d'un projet gouvernemental de les mettre à la disposition des collectivités territoriales…

Capes et Cafep, deux diplômes… non reconnus

Depuis la loi Debré du 31 décembre 1959, les établissements privés qui signent un « contrat d'association » avec l'État bénéficient de la prise en charge des rémunérations de leurs enseignants et d'une aide proportionnelle au nombre d'élèves accueillis, le « forfait d'externat ». L'an dernier, les services de l'académie de Créteil ont versé au collège Saint-Louis un forfait d'externat de 915,73 euros par élève, pour les 80 premiers inscrits. Puis de 528,64 euros par enfant, pour les 805 inscrits suivants. Sans compter les subventions que reçoivent aussi les collèges publics pour l'achat de manuels, le soutien au développement des nouvelles technologies de l'information ou les heures supplémentaires pour permettre la mise en place de projets pédagogiques particuliers. En contrepartie, l'État impose ses programmes et la liberté de conscience des élèves. Depuis 1977, la loi Guermeur implique également l'État dans la formation des enseignants. Aujourd'hui, parallèlement au Capes (certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré), le concours dont l'obtention ouvre le droit d'enseigner dans le secondaire public, le ministère de l'Éducation nationale organise le Cafep (certificat d'aptitude aux fonctions d'enseignement dans les établissements d'enseignement privés), concours de niveau équivalent qui ouvre le droit d'enseigner dans les collèges et lycées privés. À l'université, puis dans les instituts universitaires de formation des maîtres, les étudiants du Capes et du Cafep assistent aux mêmes cours, passent un examen identique et sont reçus par le même jury. Une fois reçus et inspectés par le corps des inspecteurs pédagogiques de l'EN, ils sont rémunérés par l'État suivant un système identique d'indices et d'échelons, correspondant à leur ancienneté et à leurs notes administratives et pédagogiques. Il est cependant impossible pour un prof de passer du privé au public et inversement. Le Cafep n'est pas reconnu par l'Éducation nationale, ni le Capes par le réseau des établissements catholiques.

Auteur

  • Éric Béal