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Vie des entreprises

Comment les agences de rating social notent les élèves du CAC 40

Vie des entreprises | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.02.2002 | Marc Landré

Pour attirer les investisseurs, mieux vaut être « clean » sur les plans social et environnemental. Depuis peu, agences et instituts d'analyse sociale notent les sociétés cotées. Sur quelles bases ? À partir de ce que les entreprises veulent bien leur déclarer et en usant d'une méthodologie peu transparente. Peut mieux faire.

Quelle entreprise a la meilleure image éthique aux yeux des Français ? Danone, selon un sondage Ipsos réalisé pour Novethic en novembre 2001 ! Loin devant Renault, EDF-GDF, France Télécom et consorts. Une surprise ? Pas vraiment. Le groupe agroalimentaire fondé par Antoine Riboud et présidé par son fils Franck a toujours été considéré comme une entreprise « socialement responsable », respectant tout à la fois ses salariés et l'environnement. Cela même s'il a parfois été contraint de tailler dans ses effectifs pour s'adapter à la concurrence. Comme l'an dernier avec le douloureux plan social de LU. Cette respectabilité est d'ailleurs la principale raison qui a conduit les fonds de gestion éthiques à ne pas exclure cette valeur porteuse de leur portefeuille d'actions. « Danone a toujours été une entreprise très sociale », confirme Marc Favard, gérant chez Meeschaert, une société de gestion qui a lancé, en 1983, le premier fonds éthique en France. Pas question, donc, de remettre en cause, sous la pression médiatique, la bonne notation (rating) du groupe.

À l'image de Danone, les grands groupes français sont, depuis quelques années, passés au crible par une trentaine d'organismes spécialisés dans l'analyse sociale à travers le monde. Agences de notation ou instituts de recherche étudient, selon la définition qu'en donne l'Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises (Orse), « les pratiques des entreprises cotées, en croisant leurs dimensions sociale, environnementale et éthique ». Des informations dont sont friands les gestionnaires de fonds d'investissement, les analystes financiers et les dirigeants d'entreprise. En France, il existe une seule agence de notation, l'Agence de rating social et environnemental sur les entreprises (Arese), créée en 1997 par Geneviève Ferone, une ancienne consultante en fonds de pension américains, avec le soutien de la Caisse d'épargne et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ses 17 analystes décortiquent les pratiques de plus de 400 entreprises européennes. Deux instituts de recherche bien moins médiatisés existent également, l'Observatoire de l'éthique (ODE), fort de 17 experts, et le petit Centre français d'information sur les entreprises (CFIE), mais tous deux ont un champ d'investigation plus restreint que l'Arese. « C'est un marché émergent en France qui doit encore se structurer, explique Jean-Pierre Sicard, P-DG de novethic.fr, site Web d'informations sur l'investissement responsable. Je ne serais pas étonné que les organismes étrangers arrivent d'ici à quelques années. » À commencer par la future agence européenne de rating social, que s'apprêterait à créer Nicole Notat après son départ de la CFDT.

Une notation opaque

Si leur objectif est le même, agences de rating et instituts de recherche ne travaillent pas de la même manière. Les premières évaluent quantitativement la performance des entreprises en deux pages recto verso à partir d'un certain nombre de critères éthiques, les seconds analysent qualitativement leurs pratiques sur une quarantaine de pages. L'Arese a ainsi retenu cinq critères : gestion des ressources humaines, respect de l'environnement, relations clients-fournisseurs, gouvernement d'entreprise et liens avec la société civile. Chacun d'entre eux est noté : « -- » pour les sociétés « peu concernées « ; « ++ » pour les « pionnières « ; « = » pour celles ayant un « comportement dans la moyenne ». Par exemple, le critère GRH comporte plus de 200 items, de la gestion de l'emploi et des carrières aux relations avec les syndicats, en passant par la politique de rémunération, l'insertion des personnes handicapées, les conditions de travail ou encore la satisfaction, la formation continue et l'employabilité des salariés. Mais difficile d'en savoir plus. « Nous notons les entreprises selon notre propre référentiel relativement à leur secteur d'activité, se contente d'indiquer Jean-Philippe Desmartin, analyste à l'Arese. Et nous expliquons leurs notes aux entreprises. » Marc Russell-Jones, de la filiale française de Financial Times & London Stock Exchange (FTSE), laquelle possède un indice boursier FTSE4Good composé de 240 sociétés européennes considérées comme éthiques, ne se montre guère plus loquace : « Si un gérant de fonds veut savoir pourquoi une société ne fait pas partie de notre indice, il doit le demander aux dirigeants de la société en question. Nous lui indiquons simplement sur quel critère l'entreprise a échoué. »

Des réponses qui laissent évidemment insatisfait. « Il est nécessaire, pour les agences de rating, d'être transparentes sur les résultats de leurs notations afin d'éviter les biais méthodologiques et de couper court aux soupçons de manipulation », prévenait pourtant François Demarcq, directeur général de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), en novembre dernier. « Pour noter une entreprise, il faut passer par la quantification et posséder une solide base de données, avance pour sa part Martial Cozette, le directeur du CFIE. Or tous les problèmes rencontrés ne sont pas quantifiables et personne ne possède aujourd'hui les données statistiques pour émettre un avis fiable. »

Même son de cloche à l'ODE. « Nous ne donnons jamais de notes parce que nous ne détenons pas la vérité, estime son responsable, Pierre Cadet. Il existe autant de grilles d'analyse et de critères de performance que de structures s'intéressant à la responsabilité sociétale. La notation de l'Arese représente une seule vision de cette responsabilité, la sienne, qui n'a rien d'universel. » L'ODE se considère davantage comme un « collecteur de faits sociaux », un « prestataire de données au service de l'entreprise », qui livre aux dirigeants des informations sociales et environnementales afin de les aider à améliorer leurs pratiques.

Un rating fondé sur le déclaratif

Il n'empêche qu'agences et instituts puisent leurs informations aux mêmes sources. Questionnaires ou entretiens avec les syndicats ou les dirigeants de société, analyse de la presse, de rapports internes, informations émanant d'ONG ou d'institutions internationales, tout sert à ces organismes d'analyse pour se faire une opinion sur les bonnes et mauvaises pratiques des entreprises. En théorie… « La notation repose essentiellement sur la réponse aux questionnaires », soulevait Pierre Duchet, responsable du groupe de travail qui a conçu le « Guide des organismes d'analyse sociétale » de l'Orse, lors de la présentation de ce dernier. « On ne peut pas non plus se faire une idée de la politique de développement durable d'une entreprise en se fondant uniquement sur deux heures d'entretien avec le P-DG », poursuivait-il. Beaucoup d'experts doutent d'ailleurs que l'obligation faite aux sociétés du CAC 40 d'inclure dans leur bilan annuel un rapport environnemental et social se révèle utile. « Le rating reste très fondé sur le déclaratif et non sur la vérification des informations communiquées, rappelle Pierre Crozier, de Mercer Management Consulting. Il faudrait que les agences regardent plus les pratiques des sociétés et ne s'arrêtent pas à leurs seules bonnes intentions sur le papier. » Pour contrôler la mise en pratique d'une politique annoncée par une entreprise, notamment au niveau international, l'Arese et l'ODE recoupent leurs informations avec des organismes similaires à l'étranger. La première a contribué à la création d'un réseau international, le Siri Group, le second a présidé à la naissance de Global Partner, deux bases communes de données sociales.

Pas de risque zéro

À partir d'une même matière première, ces organismes peuvent livrer des appréciations radicalement différentes. « Il n'existe pas de risque zéro, avoue Jean-Philippe Desmartin, de l'Arese. Nos moyens pour tout vérifier demeurent limités. De plus, le risque de se faire piéger est d'autant plus grand que les entreprises ont pris conscience qu'elles devaient nous livrer leurs données. » Ainsi, l'Arese considère Danone comme une entreprise « socialement responsable » sur le plan de l'environnement alors que l'ODE – qui fournit ses analyses à la société FTSE pour la constitution de l'indice FTSE4Good – lui réfute cette qualité, lui préférant… TotalFinaElf. Renault et Peugeot, jugés par l'Arese socialement responsables sur ses cinq grands critères, ne le sont pas par FTSE parce qu'une partie de leur activité est liée à l'armement. « Nous sommes en discussion avec ces deux sociétés pour essayer de voir dans quelle mesure nous pourrions les inclure dans notre indice », explique, embarrassé, Marc Russell-Jones, le directeur de FTSE France. « Il est important de laisser la responsabilité au client de choisir quelle société est socialement responsable ou non, se défend Pierre Cadet, de l'ODE. L'erreur des agences de rating est de fournir un paquet d'informations à des gérants de fonds qui fuient toute responsabilité et de décider à leur place. »

Sur la cinquantaine de fonds éthiques recensés en France, une grande majorité utilisent pourtant les notations de l'Arese pour sélectionner les entreprises de leurs portefeuilles. « L'Arese possède une méthodologie et des analyses reconnues par tous », affirme Jean-Pierre Sicard, de Novethic, qui possède le même actionnaire – la CDC – que l'Arese ! François de Saint-Pierre, gérant d'un fonds éthique chez Lazard Frères Gestion, confirme, sans hésitation, la réputation de l'unique agence française de rating social. « Nous ne discutons pas les notes de l'Arese, qui se révèle être la meilleure agence en Europe. Des différences d'appréciation peuvent bien sûr exister et c'est pourquoi nous avons gardé la possibilité de retenir quand même quatre entreprises mal notées. »

Cuisine et savants dosages

La plupart des gestionnaires de fonds ont créé un service interne chargé de donner un avis sur les appréciations des sociétés notées. « Vous devez garder, en dehors de toute notation, une réflexion qualitative », confirme Marc Favard, qui, comme ses confrères, passe les notes de l'Arese à la moulinette avant de prendre une décision. Car, chez Meeschaert, on exclut du portefeuille les entreprises dont l'activité est liée aux secteurs de l'armement, du jeu, de l'alcool ou du tabac. François de Saint-Pierre ne retient pas, pour sa part, celles qui ont obtenu une note négative au critère RH. Gérant au Crédit lyonnais Asset Management, David Diamond met l'accent sur les RH et l'environnement, sans tenir compte du critère de « gouvernement d'entreprise », qu'il intègre dans ses propres analyses.

Autrement dit, les gestionnaires des fonds font leur propre cuisine et décident eux-mêmes du savant dosage de leurs investissements. Des décisions lourdes – en France, les encours d'investissements socialement responsables en actions ont doublé en 2001 pour atteindre 1,5 milliard d'euros – sur lesquelles l'annonce d'un plan social dans un groupe comme Danone ou même le naufrage d'un pétrolier affrété par TotalFinaElf n'ont aucun effet. Seule réaction possible, la « mise sous surveillance des entreprises incriminées pendant une période de six mois », souligne Pierre Crozier, de Mercer Management Consulting. « Nous ne devons pas modifier nos notes sous n'importe quel prétexte, se défend Jean-Philippe Desmartin. Un événement très médiatisé ne remet pas forcément en cause les pratiques de fond d'une entreprise. »

Le champ d'investigation des organismes d'analyse reste toutefois limité. « Ce sont toujours les mêmes entreprises, celles du SBF 120, que les agences étudient, note François Beaujolin, président de la Fondation des droits de l'homme au travail. En savoir plus sur la durabilité ou la politique sociale de Saint-Gobain est sans réelle surprise. Je préférerais avoir plus de renseignements sur de petites entreprises méconnues mais au fort potentiel de développement. » Résultat, on retrouve les mêmes entreprises dans le portefeuille des fonds éthiques. Ce qui change, en définitive, c'est la part que les gérants accordent à chacune. Dans tel fonds, TotalFinaElf représentera 8 %, et Danone 12 %. Dans un autre, ce sera l'inverse. N'en déplaise aux détracteurs de la compagnie pétrolière ou aux partisans du boycott du groupe de Franck Riboud.

Des fonds éthiques aux agences de rating

L'investissement socialement responsable (ISR) n'est pas un phénomène nouveau. Loin de là. La création du premier fonds éthique date de 1928, aux États-Unis (1983 en France). Le principe de tri des entreprises était à l'époque simple : les gérants de fonds les présélectionnaient sur leurs performances financières et retenaient celles dont l'activité n'était pas liée à l'alcool, au jeu, à la pornographie, à l'armement… Au début des années 90 se créent des agences de rating social qui sélectionnent désormais les entreprises non plus sur de simples principes d'exclusion, mais en fonction de multiples et complexes critères liés au respect de l'environnement, au développement durable et à la gestion des ressources humaines.

En France, il faudra attendre 1997 pour qu'une agence française de notation sociale voie le jour, sous l'impulsion de Geneviève Ferone, figure emblématique du rating social dans l'Hexagone. Cette diplômée d'un doctorat en droit commercial international a travaillé pour plusieurs grandes organisations (HCR, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Commission européenne…) avant de devenir, au début des années 90, consultante en fonds de pension à San Francisco. C'est d'ailleurs outre-Atlantique que Geneviève Ferone se persuade que l'ISR, alors très en vogue – 1 dollar sur 8 est investi dans un fonds éthique –, pouvait se développer en France. Elle convainc le groupe Caisse d'épargne ainsi que la Caisse des dépôts et consignations, deux de ses clients aux États-Unis, de financer la création de l'Arese. Un pari risqué… mais réussi, puisque plus de quatre ans après son lancement, une quarantaine de fonds éthiques et une trentaine d'entreprises (Axa, la Société générale…) utilisent aujourd'hui les notations de l'agence française. L'Arese voit ainsi, au fil des ans, de moins en moins d'entreprises refuser de répondre aux questions de ses analystes et s'affirme de plus en plus comme une référence européenne en matière de rating…

Auteur

  • Marc Landré