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Politique sociale

Valider l'expérience par un diplôme, un sacré casse-tête

Politique sociale | DÉCRYPTAGE | publié le : 01.12.2001 | Anne-Cécile Geoffroy

Décrocher un diplôme sans passer par les bancs de l'école ! Ce rêve, la validation des acquis de l'expérience, relookée par la loi de modernisation sociale, pourrait le rendre accessible aux salariés… si les universités jouent le jeu, si les diplômes ne sont pas bradés, si des équivalences sont créées entre les différents certificats, etc.

Anne-Marie n'en revient toujours pas ! À 50 ans, cette collaboratrice du musée de la Musique, à Paris, vient de s'inscrire en fac. Un petit miracle pour cette mère de trois enfants. Avec un CAP d'employée de bureau obtenu il y a trente ans pour seul bagage, la voilà en train de préparer un DESS option « échanges interculturels » à la fac de Censier, au cœur du quartier Latin. À la fin de l'année universitaire, si tout se passe bien, elle décrochera un diplôme de niveau 1, ce qui, dans le jargon du ministère de l'Éducation nationale, correspond au plus haut niveau de qualification.

Pour réaliser le grand écart entre CAP et DESS, Anne-Marie Tcharcachian s'est appuyée sur la validation des acquis professionnels. Un dispositif méconnu, qui permet de certifier que les compétences professionnelles ont valeur de diplôme. « J'ai travaillé pendant deux mois, tous les soirs et tous les week-ends pour mettre à plat trente ans de vie professionnelle et associative. Ça a été difficile, mais la récompense est au bout du chemin », se réjouit-elle. Seul bémol, les deux lois de 1984 et de 1992 sur la validation des acquis ne dispensaient pas totalement les candidats d'examen. « Jusqu'à présent, ils devaient suivre au moins une unité de valeur et passer une partie d'examen pour décrocher leur parchemin », explique Joseph Joly, directeur du service formation continue de l'université Louis-Pasteur à Strasbourg.

Un verrou que fait sauter le projet de loi sur la modernisation sociale, actuellement en discussion au Parlement. Plus souple que l'ancienne validation des acquis professionnels (VAP), la validation des acquis de l'expérience (VAE) permettra en effet à un salarié justifiant de trois ans d'expérience professionnelle et non plus cinq ans comme avant, de décrocher un diplôme ou un titre sans même revenir sur les bancs de l'école. C'est un jury composé à parité d'enseignants et de professionnels et mis en place par l'établissement responsable du diplôme qui évaluera les compétences du salarié. La future loi élargit de plus le champ de cette validation à tous les titres et diplômes professionnels. En clair, l'Éducation nationale, premier ministère « valideur », devra partager cette prérogative avec les ministères de l'Emploi, de l'Agriculture, de la Défense, mais également avec le secteur privé de la formation.

Vers un retour des assignats ?

Sur le papier, la VAE apparaît comme une formidable opportunité pour faire reconnaître des compétences et se dispenser d'un cursus de formation long et souvent dissuasif. Selon un sondage réalisé par le secrétariat d'État aux Droits des femmes et à la Formation professionnelle, 70 % des personnes interrogées se déclarent d'ailleurs prêtes à saisir cette chance. Mais, sur le terrain, l'enthousiasme est moins flagrant. Car l'idée d'obtenir un diplôme sans passer par la formation initiale fait craindre à beaucoup, partenaires sociaux, responsables de formation continue dans les universités ou d'organismes privés de formation, un sacré marchandage des diplômes. « Le danger serait d'assister au retour des assignats, prévient Jean-Jacques Briouze, responsable de la formation à la CFE-CGC. Et, au bout du compte, de brader les diplômes. » Une crainte relayée par Jean-François de Zitter, directeur de l'Institut français de gestion (IFG), un organisme de formation privé, qui imagine déjà « les universités vendre leurs diplômes comme des indulgences ».

Les universités, qui détiennent encore le monopole du diplôme national, sont attendues au tournant. D'autant plus qu'une partie du corps enseignant est loin d'être favorable au nouveau dispositif. « Les universités vont en effet se retrouver en concurrence sur la validation des acquis. Notamment parce que le nombre d'étudiants en formation initiale diminue. Pour survivre, elles vont toutes devoir s'ouvrir à la validation et à la formation des adultes. Celles qui auront déjà pratiqué la validation des acquis professionnels seront les mieux armées », reconnaît Joseph Joly à l'université de Strasbourg.

Pour ne pas être distancées et attirer coûte que coûte ce nouveau public dans les amphis, les autres pourraient être tentées de délivrer des diplômes sans être trop regardantes sur la qualité du dossier de validation. Jusqu'à présent, un petit nombre d'universités (Lille I, le Cnam, l'université de Censier) ont ouvert des bureaux de validation. Ailleurs, ce processus de reconnaissance de l'expérience est resté lettre morte. Les services de formation continue de 70 universités françaises ont seulement commencé à travailler en réseau. « Nous sommes en train d'harmoniser nos pratiques en matière d'accueil des adultes, de suivi des procédures de validation et de formation des enseignants. Nous préconisons l'ouverture de centres de validation de l'expérience dans chaque université », indique Michel Feutrie, vice-président de l'université de Lille I et président de la conférence des directeurs de service de formation continue universitaire.

Un fonds de commerce menacé

Quant au secteur privé de la formation, inutile de dire qu'il regarde de travers ce droit à la validation. Donner tout ou partie d'un diplôme sur l'unique base d'un dossier et d'un entretien avec un jury revient à grignoter le fonds de commerce d'écoles qui font payer parfois très cher leurs formations. « Notre procédure de validation est quasiment ficelée, explique Denis de Bénazé, le directeur général de l'Idrac, une école de commerce privée lyonnaise. Nous allons commencer à la tester dès le début de l'année prochaine, une fois que la loi et les décrets seront votés. Mais je ne crois pas à la validation complète. Nous pourrons tout au plus diminuer de moitié le temps de formation d'un salarié. »

Même son de cloche du côté des grandes écoles. Aucune n'imagine sérieusement décerner son prestigieux diplôme sur la foi d'un faisceau de preuves attestant des compétences d'un salarié. « Nous n'ouvrirons pas le diplôme de l'Isep à la validation totale, prévient d'emblée Jean-Pierre Jourdan, le directeur adjoint de l'Institut supérieur d'électronique de Paris. Nous pensons surtout monter un système de validation des compétences pour nos cursus ouverts en formation continue. »

En ouvrant le dispositif de validation des acquis aux quelque 2 000 à 3 000 diplômes et titres professionnels du secteur public comme du secteur privé – personne n'en connaît d'ailleurs le nombre exact –, l'idée du législateur est de mettre un peu d'ordre dans ce véritable maquis. Louable intention puisqu'il s'agit d'organiser un système de certification national clair et cohérent. Désormais, les salariés vont pouvoir choisir de valider et de faire reconnaître leurs compétences non plus seulement auprès de l'Éducation nationale mais aussi auprès de divers organismes certificateurs : les chambres consulaires, avec leurs certificats de compétences en entreprise ; les branches professionnelles, avec les certificats de qualification professionnelle ; le ministère de l'Emploi, avec ses certificats de compétences professionnelles (voir encadré ci-contre). « Reste à savoir si tous ces acteurs vont franchement jouer le jeu, s'interroge Michel Feutrie. Car, pour que le système profite aux salariés et aux entreprises, il faudra bien que les différentes certifications se répondent. »

Un système à deux vitesses

En clair, est-ce qu'une université prendra en compte dans le dossier de validation d'un salarié les certificats qu'il aura pu obtenir auprès d'une chambre de commerce ou ceux délivrés par l'Association pour la formation professionnelle des adultes ? À l'heure actuelle, personne ne veut répondre à cette question embarrassante. D'autant plus que cela suppose un travail d'ingénierie pédagogique titanesque pour créer des passerelles ou des équivalences entre les différents certificats.

Pour organiser ce futur paysage de la certification, une commission nationale de la certification professionnelle aura pour tâche de gérer un répertoire national des certifications professionnelles. Elle doit remplacer l'actuelle Commission technique d'homologation des titres et diplômes de l'enseignement technologique (CTH), qui est placée sous la tutelle du ministère de l'Emploi. Les ministères de l'éducation nationale, de l'Emploi, de la Jeunesse et des Sports, de l'Agriculture, de la Défense devraient y siéger aux côtés de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie et des partenaires sociaux. Mais le secteur privé n'a pas été invité autour de la table.

« Pour le moment, les décrets prévoient que seuls les titres et diplômes des ministères disposant d'une commission paritaire consultative seront homologués de droit sans limitation dans le temps au sein de ce répertoire, explique Michel Lucas, président de l'actuelle commission nationale d'homologation. Les formations privées et consulaires seront homologuées pour trois ans et devront à chaque fois repasser devant la commission pour conserver leur validité. » Un système à deux vitesses qui lui fait carrément prédire l'éclatement du dispositif. Pour le secteur privé, c'est une nouvelle fois la preuve que l'État veut imposer des contraintes qu'il ne s'applique pas à lui-même. « Cela voudrait également dire que si je veux que les titres de l'IFG restent homologués par l'État et entrent dans ce fameux répertoire, je serai obligé de proposer une procédure de validation des acquis », s'insurge Jean-François de Zitter.

Sans financement, échec garanti

Pour créer un vrai droit à la reconnaissance des acquis et ne pas enfermer la VAE dans la confidentialité dont a souffert sa grande sœur la VAP, la solution est bien connue de tous. « Si l'État veut que la validation des acquis de l'expérience décolle, il faudra bien lui en donner les moyens, argumente Patricia Signorille, chef de projet pour la validation des acquis à l'université de droit de Marseille. Aujourd'hui, nous sommes quatre à travailler à plein temps sur la validation. Demain, pour répondre à la demande des adultes qui ira croissante, nous devrons former d'autres enseignants à la procédure de validation et à l'accompagnement des adultes dans la rédaction de leur dossier. Il faudra également rémunérer les professionnels qui participeront au jury de validation et financer une campagne de communication digne de ce nom. »

Pour calmer ses troupes, Jack Lang, le ministre de l'Éducation nationale, a déjà promis de prendre en compte le public adulte dans le calcul des dotations universitaires, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Mais à quel niveau ? Nul ne le sait. Personne ne sait non plus, faute de décrets d'application, qui tiendra les cordons de la bourse de la validation des acquis. En inscrivant la VAE dans le plan de formation des entreprises, le législateur espère que ces dernières prendront le train en marche et pousseront leurs salariés vers ce nouveau dispositif. Selon un sondage réalisé cet été par les chambres de commerce et d'industrie de Melun, de Meaux, de Versailles et de l'Essonne, 50 % des entreprises interrogées se disent intéressées. Mais, en même temps, près de 30 % redoutent que les salariés réclament des augmentations de salaire. Le « droit à la reconnaissance de l'expérience par la validation des acquis » tant souhaité par Nicole Péry pourrait donc trébucher sur les intérêts bien compris des entreprises.

Qui certifie quoi en France ?

La loi de modernisation sociale, via la VAE, s'empare de la certification pour mieux organiser la nébuleuse des titres et diplômes professionnels. Aujourd'hui quatre systèmes cohabitent, dont certains sont encore expérimentaux.

• Les universités travaillent sur la validation des acquis professionnels (VAP) depuis 1992. Elles évaluent les candidats sur la base d'un dossier écrit, rassemblant des preuves déclaratives, qui retrace toute une vie professionnelle.

Un travail long, fastidieux, qui demande un accompagnement serré pour amener le candidat au terme de sa réflexion et à l'obtention d'un diplôme national.

• Les chambres de commerce s'intéressent à la certification depuis 1998. Elles ont créé les certificats de compétences en entreprise (CCE), gérés par l'Association pour la certification des compétences professionnelles (ACCP). Ces certificats témoignent de la maîtrise d'un ensemble d'aptitudes acquises dans la vie professionnelle. Le candidat doit rassembler des preuves extraites de situations de travail vécues (courrier, notes, extraits vidéo ou sonores…). Celles-ci sont examinées par un évaluateur (un salarié de l'entreprise du candidat, qui n'est pas son supérieur hiérarchique), un vérificateur, puis un auditeur indépendant.

• Le ministère de l'Emploi, en partenariat avec l'Afpa et l'ANPE, expérimente depuis 1999 les certificats de compétences professionnelles. Les acquis sont évalués, par un jury, en situation de travail réelle ou reconstituée. Ces certificats sont capitalisables sur cinq ans et permettent de préparer 23 titres délivrés par le ministère.

• Les certificats de qualification professionnelle (CQP) des branches professionnelles existent depuis 1988. On en dénombre actuellement 380, dont près de la moitié dans la métallurgie.

Le candidat suit une formation théorique qu'il met ensuite en pratique dans sa vie professionnelle. Il est encadré par un tuteur au sein de son entreprise. L'évaluation se fait sous forme de tests, d'examens et après délibération d'un jury.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy