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Politique sociale

Les immigrés ne sont plus « persona non grata » en Europe

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.12.2001 | Isabelle Moreau, avec nos correspondants

Informaticiens, ouvriers du bâtiment ou infirmières, les pays européens ouvrent à nouveau les robinets de l'immigration. Cartes vertes, quotas par professions, visas pour conserver les étudiants, régularisations de clandestins… Chacun y va de sa recette pour faire face aux pénuries de main-d'œuvre.

Hier des informaticiens, aujourd'hui des infirmières : l'Europe embauche à la pelle hors de ses frontières. Cherchant à tout prix à pallier ses carences dans certaines qualifications, elle ouvre à nouveau les robinets de l'immigration, qu'elle avait plus ou moins fermés depuis une vingtaine d'années. La France a été ainsi l'un des premiers pays à recruter, dès 1998, des informaticiens à l'étranger. « Le système fonctionne relativement bien », confirme André Lebon, correspondant pour la France au Système d'observation permanente des migrations (Sopemi) de l'OCDE. En 1999, 2 169 informaticiens étrangers sont arrivés en France. Et en 2000 ils étaient quelque 2 600 à grossir les rangs des 65 000 étrangers entrés cette année-là sur le marché du travail, selon les calculs du Haut Conseil à l'intégration.

D'où viennent ces diplômés étrangers ? Des quatre coins du monde. La moitié d'entre eux sont des travailleurs « permanents », bénéficiant d'une carte de séjour et le plus souvent originaires d'Afrique ou des pays de l'Est. Tandis que les « temporaires », autorisés à travailler provisoirement, viennent d'outre-Atlantique, mais aussi d'Inde, de Roumanie… Aujourd'hui réservée aux seuls informaticiens, la formule adoptée par la France devrait rapidement être étendue aux infirmières. Un texte dans ce sens est en préparation à la Direction de la population et des migrations du ministère de la Solidarité.

La Grande-Bretagne a également mis en place ce type de dérogation au droit commun. Avantages de la formule : elle est beaucoup plus souple que le système des quotas par profession et permet de mieux répondre aux besoins des entreprises.

Confrontée elle aussi à une grave pénurie d'informaticiens, l'Allemagne a lancé un programme de 20 000 green cards accordées à des spécialistes des technologies de l'information provenant de pays très précis. Notamment l'Inde. Mais il ne suffit pas d'agiter le précieux sésame pour obtenir la main-d'œuvre souhaitée. Surtout dans un marché du travail mondialisé. Faute de candidats en nombre suffisant parmi les informaticiens indiens, qui lorgnent plutôt l'Angleterre ou les États-Unis, aux rémunérations plus généreuses, l'Allemagne s'est finalement tournée vers les pays de l'Est. De leur côté, l'Italie et l'Espagne, qui ont davantage besoin de main-d'œuvre faiblement qualifiée, utilisent des quotas pour répondre aux besoins de secteurs comme l'agriculture, le bâtiment et les services à domicile. Mais aussi pour régulariser des étrangers déjà présents sur leur territoire ou, au contraire, contenir le flux des travailleurs clandestins.

Bref, en matière migratoire, l'Union européenne fait feu de tout bois. Inventaire de ses nouvelles politiques d'immigration.

Allemagne

Une carte verte en attendant la réforme

« Grâce à la green card, nous avons pu embaucher cet automne un jeune administrateur de systèmes informatiques originaire d'Afrique du Sud alors que nous cherchions depuis un an à pourvoir ce poste », se félicite Marita Kreipkes, directrice de Babcock & Braun, une entreprise munichoise spécialisée dans les produits financiers et le leasing. Chez Siemens AG, qui a recruté, via une green card valable cinq ans, 500 informaticiens originaires d'Europe de l'Est et de la zone Asie-Pacifique, on attend le vote de la future loi sur l'immigration. « Cela nous permettrait d'élargir la cible à tous les types d'ingénieurs », explique Sabine Metzner, porte-parole de l'entreprise.

En Allemagne, le débat sur l'immigration a été relancé en février 2000, lorsque le chancelier Schröder a évoqué l'idée d'une carte verte pour recruter 20 000 informaticiens de haut vol, hors Union européenne. Jugé iconoclaste, ce projet inspiré par le patronat a fait prendre conscience à l'Allemagne qu'elle manque cruellement de main-d'œuvre qualifiée. « Nos fédérations professionnelles évaluent les besoins de l'économie à 450 000 informaticiens et experts en nouvelles technologies de l'information, 80 000 personnes dans l'hôtellerie et la restauration, 50 000 aides-soignants, mais aussi 40 000 ouvriers qualifiés dans l'électro-industrie », explique Robert Henkel, spécialiste de l'immigration à la Fédération de l'industrie allemande (BDI). « Certes, l'Allemagne compte près de 3,9 millions de chômeurs. Mais la plupart sont insuffisamment qualifiés. Par ailleurs, la mobilité du nord vers le sud et de l'est vers l'ouest de l'Allemagne est trop faible pour combler le déficit de main-d'œuvre. »

À la fin de l'année dernière, les démographes ont aussi tiré la sonnette d'alarme. En supposant que le taux de natalité allemand reste au niveau actuel (1,3 enfant par femme), l'Allemagne n'aura plus que 60 millions d'habitants en 2050, contre 82 millions aujourd'hui. Les experts de l'Institut de l'économie allemande (DIW) chiffrent les besoins à 150 000 travailleurs étrangers supplémentaires par an.

En août 2001, Otto Schily, le ministre fédéral de l'Intérieur, a donc présenté un projet de refonte de la loi sur l'immigration (Zuwanderungsgesetz). Celui-ci propose d'organiser les flux migratoires grâce à des quotas souples, redéfinissables en fonction des besoins de l'économie nationale. Les candidats se verraient ainsi attribuer un nombre de points prenant en compte l'âge, le diplôme, l'expérience professionnelle ainsi que la situation familiale et humanitaire. Les étudiants étrangers ayant étudié en Allemagne recevraient un permis de travail d'un an, le temps de trouver un emploi. Parallèlement, un programme d'intégration comprenant une évaluation des connaissances linguistiques et professionnelles, six cents heures de cours de langue ainsi que des cours de culture générale devrait être mis sur pied.

Plutôt bien accueilli par l'ensemble des partis politiques, le vote du projet de loi avant les élections fédérales de septembre 2002 semblait chose acquise. Mais les attentats du 11 septembre ont changé la donne. L'heure est au renforcement de la sécurité intérieure et du contrôle des étrangers arrivant en Allemagne. Par ailleurs, la récession économique qui menace et la remontée du chômage n'arrangent pas les choses. Selon plusieurs sondages, 60 % des Allemands estiment que les étrangers abusent du système social et qu'ils sont coresponsables du chômage. Le Bundestag (équivalent de la Chambre des députés) devrait malgré tout adopter le texte en l'état. Mais les conservateurs bavarois et une partie des chrétiens-démocrates (CDU) pourraient faire obstruction au Bundesrat (assemblée représentant les Länder).

Thomas Schnee, à Berlin

Grande-Bretagne

Des quotas pour faire entrer 40 000 étrangers chaque année

Au Royaume-Uni, les chaînes de télévision diffusent en permanence des gros plans de réfugiés qui, par tous les moyens, essaient de traverser la Manche. Ces images ont fini par relancer le débat politique sur l'immigration. Cet automne, David Blunkett, le nouveau ministre de l'Intérieur britannique, s'est engagé à explorer de nouvelles « voies appropriées » pour les étrangers qui veulent venir travailler au Royaume-Uni. Car, actuellement, la filière de l'asile politique permet de faire pénétrer les réfugiés sur le marché du travail britannique : six mois après le dépôt de leur requête, les demandeurs d'asile ont le droit de travailler. En cas de refus, l'absence de carte d'identité rend relativement aisée leur évaporation. Une filière d'autant plus efficace qu'à l'autre bout de la chaîne des employeurs peu scrupuleux profitent de cette black economy.

La réforme Blunkett devrait cibler quatre catégories de travailleurs. Après leur diplôme, les étudiants étrangers dans les universités britanniques pourraient directement demander un permis de travail. Les saisonniers, venus en particulier d'Europe de l'Est pour travailler dans l'agriculture et le tourisme, bénéficieraient d'un système élargi. Les deux autres voies d'immigration viseraient à combler les manques de main-d'œuvre dans des secteurs à faible qualification (restauration, construction…) et à haute qualification (informatique, ingénierie, médecine…). Le gouvernement pourrait opter pour un système de quotas autorisant les candidats à entrer dans le pays sans devoir au préalable convaincre un employeur de leur obtenir un permis de travail. Environ 40 000 autorisations seraient ainsi accordées chaque année : 5 000 étudiants, 10 000 travailleurs saisonniers, 15 000 étrangers non qualifiés et 10 000 qualifiés. « Cette réforme permettrait de lutter à la fois contre l'immigration illégale et contre la pénurie de main-d'œuvre. Mais, à terme, la vraie solution est un système de green cards à l'échelle européenne », assure Eiko Thielemann, spécialiste de l'immigration à la London School of Economics.

Principale organisation patronale, la Confederation of British Industry (CBI) a accueilli favorablement cette réforme. « Les petites et moyennes entreprises seront les premières à en bénéficier. Contrairement aux grandes, elles ne disposent pas des infrastructures suffisantes pour gérer la paperasserie exigée par les demandes de permis de travail », insiste Marisa Chamber, de la CBI. Mais le Trades Union Congress (TUC), la centrale regroupant la plupart des syndicats britanniques, reste sceptique. « Nous risquons de voler aux pays en voie de développement les informaticiens ou les médecins dont ils ont besoin », s'inquiète Ian Brinkley, membre du TUC.

Benjamin Quénelle, à Londres

Espagne

Des papiers pour les clandestins et des quotas de visas

Les producteurs de fraises de Huelva, en Andalousie, ne sont pas près de l'oublier. Il y a deux ans, quand ils ont proposé des offres à l'agence pour l'emploi, dans cette région qui compte le plus fort taux de chômage d'Espagne, ils ont reçu une candidature par-ci ou deux par-là alors qu'il leur fallait plus de 50 000 personnes pour la récolte. De quoi rendre furieux ces patrons qui avaient décidé de proposer des contrats dans les règles : quatre mois de travail avec logement pris en charge. Sur ces terres qui produisent 320 000 tonnes de fraises, exportées principalement vers la France et l'Allemagne, pas question de laisser les fruits pourrir sur pied. Cette année-là, on a donc eu recours, comme d'habitude, aux immigrés clandestins. « L'an dernier, ça s'est mieux passé. Une bonne partie des ouvriers ont été régularisés entre-temps », raconte Juan Antonio Millan, maire de Cartaya, l'un des villages fraisiers de la zone. Pour la saison 2002 qui commence, Cartaya a demandé officiellement un contingent de 6 000 travailleurs immigrés. « L'offre d'emploi sera directement transmise dans l'un des pays qui a signé un accord avec l'Espagne, explique le maire. Les travailleurs viendront pour une période donnée, avec leur billet de retour en poche. »

Longtemps terre d'émigration, l'Espagne est devenue ces dernières années un pays d'immigration. Un phénomène qui a conduit le gouvernement de José Maria Aznar à mettre en place cette année un système drastique de contrôle des flux d'immigration. Après une année de flottements, la mise en place de la nouvelle loi est en train de s'accompagner de la régularisation des quelque 300 000 clandestins déjà présents sur le territoire, à la demande pressante des entrepreneurs à court de main-d'œuvre. La spectaculaire croissance de l'Espagne depuis six ans a attiré les candidats à l'exil. On estime à peu près à 800 000 le nombre d'étrangers non communautaires installés en Espagne (sur 39,8 millions d'habitants), dont quelque 200 000 en cours de régularisation.

Venus surtout du Maroc et d'Amérique du Sud (essentiellement d'Équateur et de Colombie), mais aussi d'Afrique noire et, plus récemment, d'Europe centrale, ils travaillent pour la plupart sans contrat ni couverture sociale dans les secteurs du bâtiment, de l'agriculture et des emplois de maison. Des accords bilatéraux ont été signés avec le Maroc, la Colombie, l'Équateur et le Nigeria. D'autres sont en préparation avec la République dominicaine et la Roumanie. L'Espagne prévoit d'établir chaque année, région par région, avec le patronat, les syndicats et les autorités locales, les prévisions de main-d'œuvre de l'année à venir, pour offrir ensuite des quotas de visas en fonction des besoins. Pour faire face aux demandes ponctuelles, il est aussi prévu, lorsqu'il n'y a pas de candidats espagnols aux postes à pourvoir, de proposer des emplois temporaires. Si les syndicats ont accepté d'être partie prenante du processus, ils ne cachent pas leurs doutes : « Qui peut prédire un an à l'avance les besoins en main-d'œuvre ? s'interroge José Antonio Moreno, expert juridique du syndicat Commissions ouvrières. Pour que cela fonctionne, il faudra que les patrons acceptent d'offrir un logement décent et de ne pas facturer en sous-main le prix du voyage à leurs employés. »

Car on a vu les patrons faire leur marché, comme cette usine de fruits en conserve de Lleida, en Catalogne, qui a demandé des femmes marocaines, mariées et avec enfants, pour être certaine qu'elles rentreraient au Maroc à la fin de leur contrat. Le syndicat patronal local vient de constater que 30 % de l'effectif avait finalement « déserté » avant la date de retour prévue.

Cécile Thibaud, à Madrid

Italie

Préférence nationale et priorité aux étrangers bien formés

Les Italiens d'abord, les étrangers ensuite. Pressé par deux de ses composantes, la Ligue du Nord d'Umberto Bossi et l'Alliance nationale (postfasciste), le gouvernement de Silvio Berlusconi a décidé de rendre plus restrictives les règles de l'immigration adoptées par la gauche en 1998. Le projet de loi approuvé en Conseil des ministres du 14 septembre – qui doit entamer son parcours parlementaire – ne comporte pas seulement un volet sur la répression de l'immigration clandestine. Pour prétendre à un permis de séjour, les étrangers devront être en possession d'un contrat de travail. Et la préférence sera de toute manière donnée aux chômeurs italiens et aux étrangers qui ont fréquenté une formation délivrée par des organismes italiens ou internationaux.

Le principe des quotas actuellement en vigueur ne devrait pas être abandonné. Ainsi, en 2001, 83 000 immigrés ont pu entrer officiellement en Italie : 15 000 venant de pays avec lesquels l'Italie a souscrit des accords (6 000 places sont par exemple réservées aux Albanais) et 68 000 en provenance d'autres pays. Parmi ces derniers, 12 000 ont obtenu un emploi salarié, 33 000 un travail saisonnier, 3 000, enfin, sont des travailleurs autonomes. Le nouveau projet veut, en revanche, supprimer les « sponsorisations » (15 000 en 2001) qui autorisent notamment une entreprise à se porter garante pour un résident dans un autre pays, lui permettant ainsi de décrocher un visa de travail. À noter que des quotas par profession ont été institués pour la première fois cette année : 2 000 places réservées aux infirmières et 3 000 à des spécialistes des technologies de l'information et de la communication. Selon le directeur général de la Confindustria, le Medef italien, Stefano Parisi, « les entreprises voudraient une immigration légale et qualifiée, calibrée sur les requêtes qui arrivent du monde productif ».

C'est surtout le Nord-Est, le cœur industriel du pays, qui cherche désespérément ouvriers, techniciens et même ingénieurs. La Vénétie, par exemple, s'est vu attribuer cette année 3 287 travailleurs salariés et 2 389 saisonniers. « Un nombre absolument insuffisant, qui représente environ un tiers des demandes de l'industrie », a tempêté Luigi Rossi Luciano, président de la branche régionale de la Confindustria. En Vénétie, les associations d'industriels mènent déjà depuis plusieurs années des actions pour faciliter le travail des immigrés, provenant essentiellement d'Europe de l'Est et du Maghreb. L'Union des industriels de Padoue, par exemple, a expérimenté pendant un an et demi une banque de données visant à recevoir et à sélectionner les curriculum vitae d'étrangers vivant dans la région ou simplement de passage, et à collecter les offres d'emploi. Début novembre, l'Union des industriels, la région et la chambre de commerce ont lancé un programme immobilier prévoyant la rénovation de logements destinés aux immigrés et l'ouverture d'un bureau permanent pour faciliter les démarches des travailleurs étrangers et des entreprises.

Marie-Noëlle Terrisse, à Milan

Un embryon de politique européenne

C'est lors du Conseil européen de Tampere, en Finlande, en octobre 1999, que l'Union européenne a ouvert le dossier de l'immigration. Objectif louable des dirigeants européens : se doter d'une politique commune sur le droit d'asile et les mouvements de population.

Dans la foulée, la Commission européenne a adopté une proposition de directive sur les conditions d'entrée et de résidence des ressortissants des États tiers venus pour travailler. L'embryon de politique communautaire en matière d'immigration est apparu en deux temps. Tout d'abord, l'Europe a cherché à définir un cadre juridique commun sur l'admission des migrants économiques, puis à mettre en place un système de coordination en matière d'immigration.

« Pour les travailleurs des pays tiers, traduit un fonctionnaire de la Commission européenne, c'est un peu le même principe que pour les marchandises. La préférence communautaire s'impose. Mais lorsque des pénuries de main-d'œuvre se font sentir sur le marché du travail européen, il est possible de recruter des travailleurs à l'extérieur de l'Union européenne. »

L'intention de l'Union européenne n'est pas de fixer des quotas d'immigration, mais de définir un cadre général pour que tous les États puissent se coordonner, fixer des objectifs communs et mettre au point des mesures d'accompagnement afin d'améliorer l'intégration des immigrés. Car les États membres restent souverains pour sélectionner les candidats à l'embauche et déterminer le nombre d'immigrants nécessaires pour satisfaire les besoins de leurs entreprises.

Auteur

  • Isabelle Moreau, avec nos correspondants