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Repères

Il faut réparer l'ascenseur social

Repères | publié le : 01.11.2001 | Denis Boissard

Les attentats du 11 septembre ne doivent bien sûr pas rester impunis. L'intervention militaire contre les bases d'Al-Kaida en Afghanistan est évidemment nécessaire. Mais elle n'est pas suffisante. Car si les attaques meurtrières contre le World Trade Center et le Pentagone sont l'œuvre de terroristes islamistes, il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'elles rencontrent une inquiétante compréhension au sein d'une partie des populations du Proche et du Moyen-Orient, voire auprès de jeunes d'origine musulmane vivant – parfois depuis plusieurs générations – en Europe.

Le 6 octobre au Stade de France, le match France-Algérie a mis à mal les illusions que certains entretenaient sur l'excellence de notre politique d'intégration. La Marseillaise conspuée, les joueurs tricolores sifflés, le stade envahi, des ministres bombardés par des jets de bouteilles, le tout par un public de jeunes beurs des banlieues parisiennes… la rencontre de la « réconciliation » a tourné au fiasco. Sondés quelques jours après, une large majorité de Français estimaient, à juste titre, qu'il s'agissait d'incidents graves témoignant des difficultés d'intégration d'une partie de la population française d'origine musulmane.

Moins spectaculaires mais plus alarmants, les différents reportages effectués par les médias dans les cités qui jouxtent nos métropoles révèlent en effet l'écart qui existe entre les réactions de bon nombre de jeunes d'origine maghrébine ou africaine et le supposé consensus de la société française. De La Courneuve à Sartrouville, le terroriste Oussama ben Laden fait – dans l'esprit de beaucoup de jeunes en panne d'avenir – figure de héros.

Tout laisse à penser que l'islamisme – l'extrémisme musulman, à ne pas confondre avec l'islam – et l'hostilité à l'encontre des démocraties occidentales prospèrent sur le terreau du sous-développement économique, de l'exclusion sociale, des inégalités qui se creusent entre pays riches et pays pauvres, mais également entre insiders et outsiders, au sein du monde industrialisé… bref, qu'ils se nourrissent des carences de nos économies en termes d'égalité des chances et des insuffisances de la mondialisation en matière de répartition des richesses.

Pour désamorcer cette contestation radicale qui pointe dans le tiers-monde, mais aussi au cœur même de nos sociétés, il faut s'attaquer à ses racines : au-delà de la riposte militaire, ce sont des réponses politiques qu'il convient d'apporter. Non seulement les pays riches devraient accroître très substantiellement leur aide au développement (les États-Unis ne consacrent aujourd'hui que 0,1 % de leur PIB aux plus démunis) en privilégiant les investissements productifs « structurants » à la distribution de fonds, mais ils auraient tout intérêt à honorer au plus vite l'engagement pris en 1999, lors du sommet du G 7 à Cologne, d'annuler au moins la moitié de la dette des pays les plus pauvres (celle-ci s'élève à 350 milliards de dollars, soit l'équivalent de 60 % du PIB de l'Afrique). À revoir également, les modalités du libre-échange, dont la définition par l'OMC fait aujourd'hui la part un peu trop belle aux intérêts des pays les plus puissants de la planète.

En France, c'est l'ascenseur social qui a des ratés. Très controversée parce qu'elle contredirait les principes d'égalité républicaine, la discrimination positive instituée par Sciences po Paris en faveur des jeunes issus de milieux défavorisés et de zones sensibles va dans le bon sens : à la rentrée, 18 candidats ont ainsi intégré l'école de la rue Saint-Guillaume à l'issue d'un examen réservé aux seuls jeunes venus des banlieues, via des conventions passées avec des lycées situés en zone d'éducation prioritaire (ZEP). Et, à terme, c'est le quart des admis en première année qui y entrera grâce à cette procédure. L'initiative de l'IEP fait d'ailleurs des émules, puisque les grandes écoles viennent à leur tour d'annoncer leur volonté de mixité sociale en ouvrant leurs portes aux bacheliers du technique, par le biais d'une sélection adaptée.

Les entreprises ont également un rôle à jouer. Ce n'est pas leur faire injure que d'observer que les Martin ou les Durand ont en France beaucoup plus de chances de décrocher un job que les jeunes ayant un nom à consonance maghrébine ou africaine. Démographe à l'Ined, Michèle Tribalat a ainsi constaté qu'à niveau de diplôme équivalent, ces derniers étaient deux fois plus souvent au chômage que les Français « de souche ». Dans la période actuelle, les syndicats auraient été mieux inspirés en se mobilisant sur les difficultés d'insertion des jeunes beurs en entreprise qu'en organisant, le 16 octobre, une de leurs sempiternelles journées fourre-tout.

Auteur

  • Denis Boissard