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Politique sociale

Décrocher un job, une vraie galère pour les ex-taulards

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.11.2001 | Marc Landré

La réinsertion des anciens détenus n'est pas une sinécure. Un faible niveau de qualification de la population carcérale, une mauvaise volonté des intéressés à se former ou à travailler en prison, des travailleurs sociaux en trop petit nombre, un coût élevé des placements extérieurs… Résultat : à la sortie, il faut environ cinq ans pour décrocher un vrai travail.

Joël Troussier s'en est sorti tout seul. Condamné à perpétuité pour meurtre à l'âge de 24 ans, il a vite été catalogué comme instable et placé en isolement. Pour passer le temps, il dévore des livres de psychologie, de sociologie, de philosophie, de droit… L'espoir renaît en 1991 quand sa condamnation est commuée en vingt ans de prison. Il monte alors, épaulé par sa future femme, Amara, un dossier de libération conditionnelle. Son projet de réinsertion ? Devenir éducateur sportif et aider les jeunes les plus déstructurés à éviter la case prison. Par deux fois, sa demande est rejetée alors que la mairie de Villeurbanne soutient son dossier. La troisième tentative s'avère la bonne. Après vingt ans de détention, Joël quitte donc la centrale d'Arles le 25 juin 1999, sa guitare basse et son ordinateur sous le bras. Direction Villeurbanne pour commencer, à 41 ans, une nouvelle vie… « Le système carcéral vise avant tout à punir. En vingt ans, je n'ai pas rencontré beaucoup de personnes qui se soient pliées en quatre pour m'aider. Non, la prison ne tend pas à la réinsertion. »

Réinsérer les détenus est pourtant l'un des deux objectifs de l'administration pénitentiaire. « Une mission déficiente », selon la CGT. « La vingtième roue du carrosse », estime Patrick Marest, responsable de la section française de l'Observatoire international des prisons. Le bilan n'est pas flatteur : le taux de récidive s'élève à 65 %. Un pourcentage que certains relient aux effectifs mobilisés pour aider les taulards à se réinsérer : 2 100 conseillers d'insertion et assistants sociaux pour 23 500 surveillants. Selon deux rapports parlementaires publiés en 2000, ce déséquilibre montre de façon probante « la prédominance de l'impératif de sécurité sur celui d'insertion ». Outre les personnels sociaux, se croisent dans les prisons médecins, psychologues, professeurs, formateurs… et 64 conseillers de l'ANPE chargés d'établir avec les détenus, trois mois avant leur sortie, leur projet professionnel.

Une réforme de l'insertion

Cet appui extérieur n'enlève rien à la charge des 2 100 travailleurs sociaux qui doivent suivre 140 000 personnes en milieu ouvert – libérés conditionnels, probationnaires et condamnés à des travaux d'intérêt général – et 52 000 personnes en détention. Résultat : chacun suit au moins une centaine de dossiers. « La seule chose qu'on leur demande, c'est de faire en sorte que les prisonniers restent calmes », souligne Céline Sodlahovsky, psychologue et présidente d'Exit, association montpelliéraine d'aide aux détenus. « Les seuls qui en veulent sont ceux qui débutent, estime Joël Troussier. Mais au bout de trois mois ils finissent par rentrer dans le rang. » À leur décharge, les travailleurs sociaux ont du mal à exercer correctement leur métier. Notamment en maison d'arrêt, où se croisent sans cesse les détenus condamnés à de courtes peines. Sans parler des nombreux transferts subis par les prisonniers de longue peine qui les obligent à reprendre les dossiers de zéro. Pour preuve, Joël Troussier a « déménagé » trente fois en vingt ans !

Pour faciliter la sortie des détenus, la réforme de 1999 des Services des personnels d'insertion et de probation (Spip) visait, outre le regroupement au sein d'une seule structure des travailleurs sociaux d'un même département, à développer les mesures alternatives à l'incarcération (semi-liberté, placement à l'extérieur, libération conditionnelle), considérées comme plus efficaces en vue de la réinsertion sociale et professionnelle. « Ce sont des mesures intéressantes qui luttent contre la récidive, souligne Céline Sodlahovsky. Dans le cadre des semi-libertés, les détenus ont la clé de leur chambre. Ils travaillent en dehors du centre sans surveillance et gagnent de l'argent. La seule obligation est de rentrer le soir. »

Autre exemple ? les placements à l'extérieur où les détenus sont confiés à des structures indépendantes. L'Afpa de Lorient encadre ainsi deux chantiers dans le Morbihan pour des durées de trois à six mois : le premier à Bubry, pour toxicomanes et alcooliques, le second à Belle-Ile, pour des longues peines en fin de parcours. « Nos stagiaires font de la rénovation de bâtiments anciens et de l'entretien d'espaces verts, explique Gabriel Danino, responsable départemental de l'Afpa. Nous leur donnons une formation, les suivons médicalement et préparons leur projet professionnel. » Avec, comme souvent lors des placements à l'extérieur, un taux de récidive deux fois moindre et des détenus qui, à leur libération, se font embaucher sans trop de difficultés dans les collectivités avoisinantes ou intègrent un centre de l'Afpa pour parfaire leur formation.

En 1999, 3 300 détenus ont ainsi bénéficié de placements à l'extérieur, 5 400 de libérations conditionnelles et plus de 7 000 de semi-libertés. Des chiffres en hausse mais encore insuffisants aux yeux de nombreux responsables de centre de réinsertion. « Ces mesures sont encore peu utilisées parce qu'elles coûtent cher, dénonce un directeur de chantier. 400 francs par jour contre 25 en détention. » Et ce ne sont pourtant ni les places ni les bonnes volontés qui manquent. L'Arapej, une association d'aide aux détenus qui possède un centre de placement de 25 places en région parisienne, n'affiche ainsi jamais complet.

Un atelier certifié ISO 9002

Quant au milieu fermé, l'État croit dur comme fer aux vertus du travail, de la formation professionnelle et de l'enseignement. « Dans les maisons d'arrêt, l'activité est structurante parce qu'elle permet à certains d'avoir une première approche du monde du travail, souligne Anne Trebucq, chef de l'emploi et de la formation à l'administration pénitentiaire. Beaucoup de détenus apprennent le respect des règles, des horaires, le suivi de directives ou le travail en équipe. » Pour Monique Mariotti, responsable de la réinsertion professionnelle des détenus à l'ANPE, il n'y a pas de petites expériences. Même en taule. « Toute activité, à l'exception du travail en cellule, est valorisante. » Mais tous les détenus ne sont pas concernés ou intéressés par un travail ou un parcours de réinsertion. Un proxénète considérera son passage en prison comme un « accident du travail ». Un détenu âgé aura peu de chances de décrocher un emploi après une longue incarcération. Et un toxicomane devra d'abord se sevrer avant de pouvoir retravailler.

Autre obstacle au travail en prison : le niveau de formation des détenus. Un sur cinq est analphabète ou illettré et la moitié en échec scolaire. Cette réalité conduit l'administration à proposer des tâches peu qualifiantes : du façonnage, du triage, du conditionnement de produits divers, et souvent à la chaîne, dans ses régies industrielles (5,7 % de l'activité) ou dans des ateliers gérés par un millier d'entreprises privées (46,2 % de l'activité), avec lesquelles elle passe des contrats de concession. Quelques établissements, à l'instar de celui de Saint-Maur, dans l'Indre, ou de Poissy, dans les Yvelines, confient aux détenus des travaux plus qualifiés, comme la restauration d'archives sonores de l'INA ou l'assemblage de pièces de moteur du Rafale ! Mais seul l'établissement de Montmédy, dans la Meuse, possède aujourd'hui un atelier certifié ISO 9002 et propose à des détenus triés sur le volet une expérience professionnelle vraiment recherchée à l'extérieur. Cette structure travaille ainsi pour des équipementiers automobiles, des imprimeurs et même pour une entreprise de clouterie-quincaillerie.

« Notre offre de travail doit correspondre à la qualification des détenus, plaide Anne Trebucq. Nous ne pouvons pas proposer des activités qualifiées à des gens qui ne le sont pas, ni les obliger à suivre une formation ou un enseignement s'ils n'en ont pas envie. » En 1999, sur plus de 52 000 détenus, moins de la moitié (42 %) ont exercé une activité ou reçu une formation professionnelle, principalement dans le bâtiment, l'électricité ou la restauration, et un sur six une remise à niveau scolaire.

Mais les efforts en amont de la libération ne sont pas souvent couronnés de succès. « Lorsque nous venons les voir pour préparer leur sortie, les détenus nous disent souvent qu'ils n'ont pas besoin de nous, remarque Pierrette Catel, ex-responsable de l'Espace Liberté Emploi (ELE) de Paris, seule ANPE en France spécialisée dans l'accueil des libérés de prison. Leurs proches leur ont affirmé qu'ils leur trouveraient un logement, un emploi. Ils croient que la liberté est la clé de toutes les réussites. » Mais la réalité est tout autre. Car les problèmes s'enchaînent rapidement. Libéré sous contrôle judiciaire en septembre dernier après avoir purgé une peine de neuf mois, Guy, un multirécidiviste de 42 ans, ne peut pas rechercher un emploi parce qu'il n'a plus de papiers. Et il est interdit de séjour dans son département d'origine, où il faudrait qu'il se rende pour obtenir d'autres titres. « Je ne peux entamer aucune démarche, explique-t-il. Je ne peux pas trouver de logement ni demander le RMI et encore moins essayer de trouver un travail. »

Cinq ans pour trouver un job

« Il est fréquent que les libérés de prison se retrouvent seuls, constate Édith Fiquet, vice-présidente d'Aselpi, association d'aide aux détenus de la centrale de Muret, près de Toulouse. Leur famille et leurs amis les ont souvent laissé tomber. Ils n'ont personne vers qui se tourner et sont complètement perdus. » Cette aide d'urgence, une minorité la trouve auprès des associations qui les accueillent, les hébergent et les orientent dès leur sortie. Histoire de les remettre sur pied. L'Arapej dispose ainsi d'une centaine de places en Ile-de-France pour des séjours allant de quelques jours à six mois, notamment une structure de 40 lits, située à dix minutes de la centrale de Fleury-Mérogis, la plus peuplée de France. Mais le centre n'est qu'à moitié rempli. « Nous avons parfois un problème de communication avec les conseillers d'insertion, regrette Denis Serrière, directeur général de cette association. Ils se plaignent de manquer de places mais ils n'exploitent pas toutes nos installations et ne font pas toujours passer l'information. »

Une fois réglés les problèmes prioritaires d'hébergement et de santé, alors seulement se pose la question de l'emploi. Les détenus qui ont suivi une formation professionnelle ou bénéficié d'un placement à l'extérieur s'en tirent généralement avec un contrat aidé, du type emploi solidarité, voire un CDD en entreprise. Ceux qui ont eu une activité en prison se prévalent parfois de l'appui de leurs employeurs d'alors pour trouver un nouveau travail. « Il nous est arrivé de recommander d'anciens détenus auprès d'entreprises et d'en embaucher à leur sortie, reconnaît ce patron d'une filiale du groupe Vinci, concessionnaire d'une prison dans le sud de la France. Mais il ne faut pas faire d'angélisme. Le taux d'échec reste important et notre propension à les employer en dehors de l'univers carcéral limitée. » Dans les ANPE, les détenus font partie des publics prioritaires, mais rien ne les oblige à se déclarer comme anciens détenus. Ils le font d'ailleurs très rarement.

L'ANPE ne démarche pas non plus les entreprises pour proposer des ex-taulards. « Les patrons recrutent des profils et des compétences, note un conseiller d'une agence parisienne. Rares sont ceux qui n'éprouvent pas une crainte à l'idée d'embaucher quelqu'un qui a fait un séjour en prison. » Paradoxalement, l'Espace Liberté Emploi ne dispose pas d'un réseau d'entreprises susceptibles de faire des offres d'emploi à d'anciens détenus. Et si le cas se présente, c'est surtout en raison des relations privilégiées que l'agence aura su nouer avec un employeur. Et non dans le cadre d'une démarche citoyenne de l'entreprise. « Les libérés de prison forment une population difficile qui n'a parfois pas intégré la culture et les règles de l'entreprise, explique Pierrette Catel. Ils ont une motivation cyclothymique et des baisses de moral aussi inattendues que puissantes. » Leur reconstruction est donc «longue en raison de leurs nombreux handicaps initiaux et de leur profond traumatisme ». Selon les experts, il faut cinq ans à une personne sortant de prison pour accéder à un métier correspondant à ses envies et à ses compétences. « C'est un travail de fourmi, où chaque petite réussite compte, complète Pierrette Catel. Arriver propres et à l'heure à leurs rendez-vous, c'est pour certains une première victoire. En plus de les aider à trouver un emploi, nous leur apprenons parfois à se resocialiser. »

Un docteur en prison

Philippe Maurice est probablement l'un des seuls détenus entrés en prison avec un CAP (de comptabilité) et ressorti avec un doctorat (d'histoire).

Condamné à mort en 1980, gracié par François Mitterrand un an plus tard, il aura passé plus de la moitié de sa vie derrière les barreaux avant de recouvrer la liberté le 8 mars 2000, à 43 ans. « Je savais que les études étaient pour moi la seule porte de sortie. Je voulais prouver que je pouvais faire autre chose que ce que j'avais déjà fait. » Des séjours réguliers au mitard à la destruction de tous ses livres de travail en passant par l'interdiction faite à son correspondant de l'université de lui rendre visite et les fouilles corporelles avant de passer ses examens, l'administration pénitentiaire aura tout tenté pour le faire plier. « Il lui était inconcevable que je puisse m'en sortir et me réinsérer. » Mais Philippe – pris en grippe par les surveillants parce qu'il a blessé l'un d'eux au début de sa détention en tentant de s'évader et participé à plusieurs mutineries – s'accroche et finit par soutenir en 1995 sa thèse sur « les relations familiales en Rouergue et Gévaudan au XVe siècle », pour laquelle il obtient la « mention très honorable avec félicitations du jury ». Grâce à ses nombreux travaux, il est devenu un chercheur renommé.

Quatre ans après sa thèse, il obtient enfin sa libération conditionnelle et décroche une bourse d'assistant de recherche dans un laboratoire d'archéologie à Tours. Pour l'heure, Philippe attend que la justice rétablisse une partie de ses droits afin qu'il puisse enseigner à l'université. Il a publié au printemps « De la haine à la vie », au Cherche Midi Éditeur, un ouvrage relatant ses vingt-trois années de détention, et termine actuellement une biographie de Guillaume le Conquérant.

Auteur

  • Marc Landré