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Débat

Quel est l'avenir du paritarisme de la protection sociale après le départ du Medef ?

Débat | publié le : 01.11.2001 |

Big bang à la Sécurité sociale : depuis le 1er octobre, le Medef comme la CGPME ont déserté leurs sièges au sein des conseils d'administration des caisses du régime général, mettant de facto un terme à son fonctionnement paritaire. La participation des partenaires sociaux à la gestion de la Sécu a-t-elle encore un sens, le système va-t-il évoluer vers une étatisation ou une privatisation ? La réponse de trois experts.

« Entre la privatisation qui pointe et l'étatisation, la voie est étroite. »

MICHEL BORGETTO Professeur à l'université de Panthéon-Assas (Paris II).

En mettant un terme à plus d'un demi-siècle de cogestion du système mis en place à la Libération, la décision du Medef et de la CGPME de sortir des conseils d'administration des caisses de Sécurité sociale peut apparaître comme une décision hautement symbolique marquant une date importante dans l'histoire mouvementée de la « démocratie sociale ».

Pour autant, cette décision n'en mérite pas moins d'être relativisée. D'abord parce qu'elle n'a pas, sur le plan pratique, de portée décisive : outre qu'elle se révèle sans incidence immédiate sur le fonctionnement des conseils dans la mesure où le quorum exigé par les textes est atteint, force est de constater que la répartition des sièges en vigueur ne s'est trouvée nullement modifiée en prévision ou à la suite de ce départ ; le Medef et la CGPME ont toujours la possibilité de désigner à tout moment leurs représentants.

Ensuite et surtout parce que cette décision ne saurait avoir, sur le plan des principes, qu'une signification purement symbolique. La notion de « démocratie sociale », invoquée dans la plupart des discours, se révèle très largement absente des institutions paritaires du régime général. Alors que cette notion suppose à la fois la mise en œuvre du principe de l'élection et l'existence de pouvoirs importants dévolus aux responsables élus, les administrateurs sont simplement désignés par des organisations syndicales faiblement représentatives de l'ensemble des assurés et les pouvoirs dont ils disposent ne sont en réalité que des pouvoirs d'exécution : les représentants des assurés n'étant chargés pour l'essentiel que d'appliquer ou de gérer des décisions qui leur sont largement étrangères.

C'est ce contre quoi s'est élevé une partie du patronat, appelant de ses vœux une réduction substantielle du rôle de l'État assortie d'un nouveau compromis « reposant sur le dialogue social et les accords librement négociés ». La question souffre d'un défaut rédhibitoire : méconnaître, voire nier la légitimité pleine et entière du rôle de l'État. Or, compte tenu de l'importance des sommes en jeu, des responsabilités financières qui sont les siennes et de la place stratégique qu'occupe le système de protection dans le maintien du lien social et de la cohésion nationale, l'État ne saurait renoncer à jouer un rôle éminent dans la protection sociale.

Plutôt que de prétendre protéger une démocratie sociale qui n'a jamais existé et qui ne saurait véritablement exister qu'au prix d'un effacement improbable de l'État, mieux vaut s'attacher à démocratiser la protection sociale : ce qui implique notamment que soit assurée une meilleure représentation des forces vives du pays au sein des conseils des caisses (intégration des usagers et des secteurs qui en sont absents tel celui de l'économie sociale et solidaire) et que soit reconnue aux partenaires sociaux une fonction renforcée de conseil, d'étude et de proposition.

Entre la privatisation qui pointe derrière l'attitude du patronat et l'étatisation qui a tout lieu de se développer si les institutions paritaires ne sont pas démocratisées, la voie est étroite. En plaçant chacun devant ses responsabilités, la décision du Medef aura eu au moins un mérite : celui de souligner que le temps est aujourd'hui venu d'explorer cette voie sereinement.

« Le pouvoir de décider cotisations et prestations a toujours appartenu à l'État. »

REMI PELLET Maître de conférences au Cnam et à l'IEP de Paris.

Si l'on est rigoureux, le paritarisme dans les conseils d'administration des caisses de Sécurité sociale n'a véritablement existé qu'entre 1967 et 1982 : avant 1967, les syndicats de salariés détenaient 3/4 des sièges, et sont redevenus majoritaires entre 1982 et 1996. Depuis le plan Juppé, il y a eu retour à la parité entre administrateurs patronaux et salariés, mais les conseils ont été ouverts à des personnalités qualifiées issues d'autres secteurs de la vie économique et sociale. Le départ du Medef n'est donc celui que d'une composante minoritaire des conseils. Mais il est l'occasion de s'interroger sur l'utilité et la légitimité de la représentation des partenaires sociaux dans les caisses de Sécurité sociale.

Utilité ? Là encore un rappel est nécessaire : les administrateurs des caisses n'ont jamais eu le pouvoir de prendre les décisions d'équilibre du régime général. Contrairement à ce que veut faire croire la complainte rituelle sur l'« étatisation », le pouvoir de décider du niveau des cotisations ou des prestations a toujours appartenu à l'État. Au nom de quelle légitimité sociale devrait-il en être autrement ?

Les prestations familiales et celles de l'assurance maladie n'ont aucun caractère salarial puisque leur montant ne varie heureusement pas en fonction du salaire. C'est pour cela que leur financement a été en grande partie fiscalisé, avec la CSG et des taxes diverses, en remplacement des cotisations salariales, et la prise en charge par le budget de l'État des allégements de cotisations patronales. Or les représentants légitimes des contribuables sont les parlementaires, pas les organisations des employeurs et des salariés qui ne représentent que les seuls cotisants. Quelle légitimité particulière auraient-elles à décider des nécessaires mesures de maîtrise des dépenses de santé qui ne sont pas liées aux conditions de travail ?

Les seules véritables « assurances de salaire » sont l'assurance vieillesse et l'assurance maladie lorsqu'elle verse les indemnités journalières. Dans les deux cas, la cotisation est proportionnelle au salaire pour financer des prestations elles aussi en rapport avec le salaire perdu du fait de l'âge ou de la maladie. Ces assurances du revenu professionnel restent logiquement financées par des cotisations assises sur les salaires. Leur gestion peut donc être légitimement mise sous la surveillance des employeurs et des salariés. Toutes les analyses montrent qu'il n'y a pas de cotisations véritablement patronales, toutes les charges étant de fait salariales : les cotisations employeur se traduisent par une réduction du salaire direct et ne sont donc pas une taxation du capital. Dans ces conditions, il faudrait laisser la gestion des cotisations aux seuls représentants des salariés, qui seraient libres de fixer le niveau d'équilibre entre le revenu professionnel direct et le revenu différé attendu. Le patronat est parti, de son fait : serait-il véritablement utile et légitime qu'il revienne pour gérer des prestations qui sont financées par les salariés ou sont le produit de la solidarité fiscale et nationale ?

« Le départ du patronat manifeste l'épuisement d'une forme détournée du paritarisme. »

PIERRE VOLOVITCH Chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales.

Le départ du Medef manifeste l'épuisement non du paritarisme mais d'une forme détournée du paritarisme. Le paritarisme a du sens si l'on pense qu'il y a deux acteurs différents. Quand le patronat « choisit » son partenaire syndical, que reste-t-il de « paritaire » ?

Le départ du Medef accompagne un discours sur la nécessaire « autonomie » des partenaires sociaux par rapport à l'État. Dans le champ de la protection sociale ce discours est porteur d'un grave danger de dualisation. Séparer, c'est aller vers une étatisation non pas de toute la protection sociale, mais de la protection sociale destinée aux plus pauvres. La privatisation de la couverture sociale de ceux qui peuvent payer étant l'autre face de la séparation.

Ce discours dangereux est-il même réaliste ? Les débats autour de l'accès au Pare pour les chômeurs relevant du régime de « solidarité » comme le renoncement du Medef à ouvrir, dans le cadre de la refondation sociale, le chantier de l'assurance maladie font bien apparaître le côté largement illusoire d'un partage étanche des champs de responsabilité de l'État et des partenaires sociaux.

Le départ du Medef intervient dans une période au cours de laquelle aucune décision ne sera prise. Ce temps peut-il être celui d'une réflexion sur la construction d'un partenariat entre l'État et les caisses de Sécu ? Pour qu'il y ait partenariat il faut qu'il y ait légitimité. Les caisses peuvent-elles retrouver cette légitimité dans la vitalité de leurs structures locales et dans leur capacité à porter le débat public ?

Aujourd'hui les caisses sont des têtes sans corps. Et comment les caisses locales pourraient-elles exister quand on sait la misère du statut d'administrateur. En comparant le statut, les moyens dont dispose un élu local à ceux dont dispose un administrateur de caisse, on mesure la place que l'on a voulu donner jusqu'à présent à la « démocratie sociale ». Le conseil d'administration des caisses nationales n'a de plus aucun compte à rendre aux caisses locales. La Sécu a besoin de caisses locales existant réellement. Il faut un statut, des moyens, une formation, pour les administrateurs.

On le sait aujourd'hui, les nécessaires évolutions de la protection sociale ont besoin, pour être mises en place efficacement, d'être auparavant débattues, discutées, transformées, intégrées par le corps social. Qui peut, mieux que les partenaires sociaux, porter le débat public sur ces questions ? L'affaiblissement, malheureusement incontestable, des syndicats ne fait pas disparaître le fait qu'ils ont localement une réelle implantation au cœur de la société.

Quel autre acteur social peut se targuer d'une implantation équivalente ?

Les partenaires sociaux peuvent-ils cependant revendiquer l'exclusivité de la représentation sociale ou doivent-ils au contraire donner toute leur place au monde associatif ? Toute légitimité en démocratie ne doit-elle pas être régulièrement ressourcée dans le vote ? Les questions sont nombreuses et difficiles. Il faudra les aborder si l'on pense, loin de l'illusion dangereuse d'une séparation, qu'une protection sociale solidaire a besoin d'un partenariat, parfois conflictuel, entre l'État et des caisses puisant leur légitimité dans leur capacité locale à faire vivre le débat public.