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Au Canada, le dialogue social avant tout

Dossier | publié le : 01.06.2023 | Ludovic Hirtzmann

« Valorisée. » C’est le premier terme qu’emploie Selma, étudiante à la Sorbonne, en échange universitaire au Québec pour décrire son expérience professionnelle canadienne en parallèle de ses études. Cette étudiante de 20 ans s’émerveille de ce pays qui lui a non seulement permis de trouver une « jobine » de vendeuse en un tour de main en parallèle de ses études, mais qui a été une révélation. « J’ai gagné en autonomie, réussi à faire des choses seule », confie la Parisienne. C’est l’une des grandes différences entre la vision canadienne de l’entreprise et celle de la France. « Dans l’ensemble, les structures hiérarchiques sont plus aplanies, mais, surtout, le rapport à la compétence n’est pas le même. On part du principe que les employés sont capables et qu’on va les accompagner », confie Sylvie Guerrero, professeur au département organisation et ressources humaines de l’université du Québec, à Montréal. Cette enseignante, d’origine française, ajoute que les employeurs canadiens ne voient pas les salariés « comme incapables ou incompétents » ni ne portent un regard de méfiance. « La relation d’emploi est une relation de confiance centrée sur l’idée qu’on essaie d’avancer dans la même direction », précise la professeure. Plus de 130 000 Français vivent à Montréal, notamment parce que les procédures d’embauche y sont plus rapides qu’en Europe. Il est toujours possible de dénicher un « petit boulot », un terme qui d’ailleurs n’existe pas au Québec. Tout emploi est un emploi, sans jugement de valeur. L’eldorado canadien a ses limites. « Pour un emploi plus qualifié, il est souvent très difficile pour un immigrant de trouver un poste rapidement. J’ai mis plus de quatre mois et envoyé une centaine de candidatures pour obtenir quatre entretiens et trouver un emploi. Les employeurs ne reconnaissent pas l’expérience acquise en Europe », confie Pierre, un ingénieur civil architecte belge, installé à Montréal avec son épouse depuis huit mois. Le monde du travail québécois, ultra-protectionniste, est réglementé par une quarantaine d’ordres professionnels qui bloquent souvent l’embauche de travailleurs étrangers.

Négociation et paix sociale

Malgré ce désagrément, syndicats et patronat privilégient le dialogue social. Les conflits sont souvent réglés en amont, ou avec un médiateur. La grève historique des fonctionnaires fédéraux fin avril dernier reste une exception. Les partenaires sociaux évitent à tout prix des conflits coûteux. « Au Canada, la paix sociale est la règle. La négociation est de mise d’ordinaire entre patronat et syndicats », confie David Gray, professeur de sciences économiques à l’université d’Ottawa. L’État n’intervient que dans des cas exceptionnels. Le dialogue social est d’autant plus efficace que les syndicats canadiens sont puissants, financés par des cotisations prélevées à la source sur les feuilles de paie. Le Québec compte près de 40 % de syndiqués et, à l’échelle nationale, le taux de syndicalisation est de 30 %. Sylvie Guerrero, également auteure du livre Les outils des RH, publié chez Dunod, note des inégalités entre les salariés des sociétés où les employés sont syndiqués et ceux où ils ne le sont pas. Notamment pour ce qui a trait aux avantages sociaux. Si certains non syndiqués n’ont que deux semaines de congés payés, aucun régime de retraite, ni de mutuelle, les syndiqués bénéficieront de fonds de pension, de mutuelles et de plusieurs semaines de congés payés. Même si ces dernières ne sont pas aussi nombreuses qu’en France. Le Canada demeure une société du travail. Il est difficile de généraliser pour ce qui a trait au droit du travail, une compétence provinciale. Chacune des dix provinces a sa législation propre. Chose certaine, la protection sociale et les avantages sociaux sont moins généreux qu’en France. « Les deux premières années, un employé peut être remercié sans que l’employeur ne donne aucune raison », souligne Sylvie Guerrero. Cela se fait parfois sans acrimonie. Un travailleur pourra être réembauché quelques années plus tard si les conditions le permettent. Il n’y a pas d’attachement à l’entreprise, précise María Eugenia Longo, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique. Notamment si les conditions de travail sont précaires. Les travailleurs canadiens n’hésiteront pas à quitter une entreprise si un patron leur propose un dollar de l’heure de plus. La chercheuse souligne aussi les différences en ce qui a trait à l’emploi des jeunes. « La France, par sa culture académique, a tendance à valoriser symboliquement et dans la pratique davantage les parcours linéaires de formation et ensuite de travail », dit-elle et de conclure qu’au Canada si les études comptent, « le travail des jeunes est très valorisé et constitue une source de développement et d’autonomie ».

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann