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À Cuba, le bureaucratisme pèse lourd sur le monde du travail

Dossier | publié le : 01.06.2023 | Hector Lemieux

Une immense file de Ladas s’est formée sur près de deux kilomètres pour faire le plein dans cette station essence située près de l’aéroport de La Havane, dans le quartier de Boyeros. Cuba est à sec et les pompistes ne distribuent plus l’essence qu’au compte-gouttes. Les moskvitch quadragénaires à l’arrêt côtoient les chevrolets des années 1940. Des centaines d’automobilistes attendent leur tour pendant des heures pour remploir leur réservoir. « Il y a parfois du carburant dans certaines stations, mais si l’on n’est pas originaire de la ville où se trouve ladite station, il faut aller chercher une autorisation auprès des autorités dans une autre municipalité et attendre des heures un fonctionnaire qui n’est pas là », confie Esteban, un chauffeur de taxi havanais. Et ce dernier d’ajouter : « Et lorsqu’on obtient l’autorisation, il n’y a généralement plus d’essence à la pompe. » La bureaucratie cubaine est une institution. « La conception d’un État soutenu par le parti communiste, en tant que parti des travailleurs, a configuré un réseau de relations de pouvoir qui devait assurer des garanties de travail dans une relation bipartite entre les travailleurs de l’entreprise. Dans la pratique, cette relation s’est traduite par une bureaucratie limitant la participation des travailleurs », note le professeur Osnaide Izquierdo Quintana, sociologue de l’université de La Havane.

L’héritage soviétique

Cuba a, jusqu’en 1991, opté pour une économie socialiste d’État artificielle, subventionnée par l’ex-URSS, où la part du privé était négligeable. L’Union soviétique s’est écroulée, mais les notions de performance et de rentabilité sont toujours absentes. Les employés cubains ne sont dans leur grande majorité jamais sortis de leur pays. Leur vision est celle d’îliens, dont le pays a longtemps été fermé au monde occidental. La publicité a disparu depuis 65 ans dans l’île. Les données chiffrées sont sous-évaluées ou surévaluées. Une journée de travail atteint de 10 à 12 heures, mais les chiffres les plus fous circulent sur l’absentéisme. Officiellement, le taux de chômage n’était que de 1,4 % en 2020 (dernière donnée), un chiffre stable depuis des années, mais il est au moins 20 fois supérieur ! Partout, des vigiles en uniforme gardent des entreprises fermées depuis belle lurette. Raúl Castro a tenté en 2010 de lutter contre ces déficiences et développé le secteur privé, mais si le régime a autorisé plus de 200 types de microentrepreneurs (« cuentapropistas »), des taxis privés aux coiffeurs, leur activité a toujours été encadrée. À Cuba, le privé est toujours suspect aux yeux du pouvoir.

Salaires bas et trafics dans l’entreprise

Le secteur touristique est le seul à être dynamique et profitable dans le pays. Les autres branches fonctionnent au ralenti. Les travailleurs cubains, faute de motivation salariale, affichent une bonne dose de fatalisme mêlé de je-m’en-foutisme. Le salaire moyen ne permet pas de vivre. « Je gagne 4 000 pesos (33 euros) par mois, ce qui est un bon salaire à Cuba, mais une misère qui ne me permet pas de vivre, alors je dois me débrouiller », confie ce barman quinquagénaire d’un hôtel touristique des plages de l’est de La Havane. Entendez par là, voler tout ce qui est possible dans l’entreprise, un sport national. L’extrême modicité des salaires explique ces comportements. Les travailleurs cubains considèrent que cette rapine est normale et qu’elle fait partie d’une lutte quotidienne. Autre point noir, si Cuba a fait avec la Révolution un grand pas vers l’égalité hommes-femmes, l’île fonctionne encore dans une logique latino-américaine machiste. Le cadre du travail ressemble théoriquement à l’Europe. La Havane a repoussé la retraite de 60 ans à 65 ans pour les hommes et de 55 ans à 60 ans pour les femmes en 2008. Les travailleurs sont payés toutes les deux semaines ou tous les mois, ont droit à cinq semaines de congés payés, à des congés maladie et à des congés de maternité. Dans les faits, depuis quelques années, rien n’est vraiment appliqué, ni applicable, crise économique oblige. La protection sociale est réduite à la portion congrue. La jeune génération, à l’instar de Miguel, début trentaine et technicien de formation, refuse désormais de travailler dans des entreprises d’État où la hiérarchie est pesante, lorsqu’elle ne fuit pas le pays. « Je préfère faire du negocio (« commerce », comprendre « trafic ») de pièces détachées de motos », confie Miguel. Une activité beaucoup plus lucrative !

Auteur

  • Hector Lemieux