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Opération reconversion dans le civil pour les ex-militaires

Décodages | Carrières | publié le : 01.06.2023 | Irène Lopez

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Opération reconversion dans le civil pour les ex-militaires

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On les reconnaît comme « engagés », « motivés », « rigoureux » ou encore « charismatiques ». Les anciens militaires, reconnus pour leurs compétences, deviennent une matière très recherchée par les DRH. Une fois qu’ils ont fait le deuil de l’uniforme, les portes du secteur privé leur sont grandes ouvertes.

Le visage buriné et le corps athlétique, Marius – son nom de code dans l’armée – est un ancien instructeur ayant fait ses armes chez les commandos de marine, dans l’une des sept unités des forces spéciales. Il a laissé une forte empreinte dans l’armée et reste aujourd’hui un modèle pour les jeunes recrues. À 57 ans, il fait figure de vieux briscard dans une profession où la moyenne d’âge avoisine plutôt la trentaine. En 2006, il a intégré le port autonome de Marseille et exerce la fonction de responsable sûreté-défense des bassins ouest.

Sa formation, son respect de la hiérarchie et la façon dont il sait fédérer une équipe l’ont naturellement favorisé à ce poste. Il a cependant rencontré une difficulté qu’il décrit : « Au sein de l’armée, vous avez une respiration collective. Nous avons toujours besoin des uns et des autres pour avancer et pour aller au bout de notre travail. Un militaire est toujours éduqué dans un esprit de cohésion. En fonction du secteur d’activité qu’il va épouser dans le civil, en quittant l’armée, il risque d’être confronté à un manque de cohésion. »

Loin de la médiatisation de Marius, ils sont nombreux à se reconvertir dans le privé. C’est le cas d’Arnaud, aujourd’hui conducteur de poids lourds, dans la banlieue lyonnaise, pour le groupe de transport Bert. Pendant ses onze ans de service, il a passé et obtenu tous les permis. Sa vie passée ? « Bien remplie et extraordinaire. Mais extraordinaire dans les deux sens du terme… » précise-t-il. Explication : atteint d’un syndrome de stress post-traumatique, son état psychologique était jugé incompatible avec sa carrière sous les drapeaux. Arnaud a donc engagé une reconversion dans le civil. Yann Bolliet, responsable d’exploitation chez Bert, a choisi de l’embaucher pour son expérience militaire, sa ponctualité, sa rigueur, et son savoir-être. Il explique : « Cette qualité est très importante car nos livreurs sont les premiers acteurs commerciaux de l’entreprise. »

« J’essaye d’apporter ce que j’ai appris à l’armée. »

D’autres anciens militaires se lancent dans l’entrepreneuriat, comme Frédéric qui a servi sept ans à Nantes. Sa petite entreprise de jardinage compte trois salariés et le chiffre d’affaires augmente tous les ans. Ses services s’adressent aux particuliers, aux collectivités et aux entreprises. Un métier de plein air, avec une dimension artistique et du contact humain l’ont séduit, d’autant plus que « la passion du végétal, [il] l’a toujours eu. Elle s’est même intensifiée au fil des voyages effectués avec l’armée. » Lucide quant à ses atouts, il les énumère : « La réactivité, l’adaptation au terrain et à la demande des clients ainsi que la rigueur, notamment dans l’utilisation des machines qui peuvent être dangereuses. » « J’essaye d’apporter ce que j’ai appris à l’armée : la cohésion, l’esprit d’équipe, l’entraide… » dit-il humblement. Anthony, l’un de ses ouvriers commente : « Cela se voit qu’il a été militaire. Il est particulièrement organisé, il donne des directives, il demande à être à l’heure sur les chantiers. »

Pour changer de vie, Frédéric a suivi une formation d’ouvrier du paysage au sein de Défense mobilité, l’agence de reconversion de la Défense, un service ministériel dépendant de la direction des ressources humaines du ministère des Armées.

Défense mobilité propose gratuitement ses services aux militaires ou anciens militaires ayant quitté l’institution. Sa directrice, Bénédicte Le Deley, ancienne secrétaire générale de l’Association nationale des DRH, décrypte : « Le modèle des armées n’est pas celui de la fonction publique ni du secteur privé. Le contrat d’engagement des militaires prévoit une fin. Nous sommes dans une politique de flux. Les armées recrutent plus de 20 000 personnes par an, [NDLR : soit 10 % des effectifs totaux]. Cela s’explique par l’impératif de jeunesse des soldats. Les militaires sont engagés à 200 % pendant une période donnée et notre promesse est de les accompagner à la fin de leur contrat. Nous les aidons à transposer les compétences qu’ils ont acquises vers le public ou le privé. »

L’agence possède un centre de formation en Vendée et propose plus de 50 formations sur les premiers niveaux de qualification. « Même si la tendance est à la fidélisation des militaires dans un contexte marqué par la montée des conflits, l’objectif est d’insérer les ex-militaires durablement dans l’emploi », ajoute Bénédicte Le Deley. Et de poursuivre : « Au sein des forces armées, les militaires sont projetables en opération, mutés pour ordre avec des délais très courts. Nous leur devons un accompagnement pour valoriser leurs compétences. La politique de reconversion est indispensable de la politique RH des armées. Les spécificités militaires n’ont pas d’équivalent. C’est également une politique de reconnaissance de la Nation. Nous les accompagnons sans limite de durée. » Marius, Arnaud et Frédéric ont tous les trois été accompagnés par Défense mobilité.

80 % des militaires se reconvertissent dans le secteur privé.

De façon surprenante, les militaires ne souhaitent pas rester dans les forces armées à l’issue de leur contrat. 80 % d’entre eux se reconvertissent dans le privé, secteur où ils sont particulièrement réclamés. Miguel Labourg est directrice des synergies et de l’excellence RH chez GXO, société américaine de logistique contractuelle qui gère les chaînes d’approvisionnement et l’entreposage externalisés. En France, le groupe emploie 6 000 collaborateurs permanents et 3 000 intérimaires, répartis sur quatre-vingts sites. Miguel Labourg déclare : « La crise sanitaire a provoqué un véritablement changement. Des saisonniers ne sont pas revenus, par exemple. Nous sommes face à une double problématique : un métier en tension et des besoins en personnel capable de s’adapter rapidement. »

« Des gens qui vont piger vite. »

Dix anciens militaires se sont déjà reconvertis chez GXO. Pour huit d’entre eux, la transition a été un succès. Nathan a été recruté par Miguel Labourg avec l’aide du cabinet de recutement Pépite, spécialisé sur les profils d’anciens militaires. Aujourd’hui responsable d’exploitation, il travaille pour un nouveau site de l’enseigne Intermarché avec un poste d’encadrant. Sa capacité d’adaptation a fait la différence. Il est tout aussi capable d’évoluer dans des entrepôts à température ambiante que dans des lieux où elle descend à – 22 °C (avec un équipement de protection adéquat). Ce que Miguel Labourg apprécie particulièrement chez les ex-militaires, c’est leur côté « couteau suisse ». En clair : « Ils s’adaptent à tous les environnements et comprennent très vite les tenants et les aboutissements des missions. En tant que DRH, mon souci est de trouver des gens qui vont piger vite. » Les autres qualités citées par Miguel Labourg relèvent de l’inventaire à la Prévert : « Ils peuvent dialoguer avec tout le monde, de la direction aux syndicats. Ce sont des personnes à l’écoute. Ils ont le sens de la discipline. Ils sont aussi très bons pour dynamiser et fédérer les équipes ». Etc.

En résumé, « quand nous faisons appel à des militaires, nous sommes sûrs de trouver des gens engagés et motivés qui savent gérer des équipes. » Et de citer l’exemple de cette équipe de logisticiens complètement démotivée car successivement rachetée par plusieurs groupes avant de rejoindre GXO. Désengagés, peu familiers des méthodes de travail de cet énième employeur, les salariés ont failli planter la gestion du site. L’ancien militaire, envoyé en mission pour « remettre la machine en route », n’a pas mâché ses mots en avertissant l’équipe que la remise à niveau n’allait pas être une promenade de santé, mais en pratiquant le dialogue, il a compris leurs attentes et, même s’il n’a pas donné satisfaction à toutes leurs revendications, il a pu réinstaurer un climat de confiance. La solidarité a fait la différence. « Il est venu donner un coup de main aux équipes. Il n’est pas rare que les militaires viennent travailler la nuit si besoin. Et cela n’a rien d’un coup de communication. Ils n’hésitent pas, en cas de retard par exemple, à mettre les mains dans le cambouis. Cela change tout aux yeux des collaborateurs. Cette solidarité est le credo de l’armée. Les militaires ont le sens de la mission : tout me monde doit rentrer à la maison sain et sauf », témoigne la DRH. Mais toutes les collaborations ne sont pas aussi idylliques. Deux expériences se sont ainsi soldées par des échecs à cause d’anciens militaires à l’attitude trop rigide… Tout est question de dosage.

Clément Têtu est le fondateur du cabinet Pépite. Il y a dix ans, après avoir suivi des études à l’Essec, il est allé chez les commandos marines en tant qu’officier volontaire pour une année. Il dit y avoir découvert des personnes aux « soft skills extraordinaires ». C’est cette expérience qui lui a donné l’idée de devenir « agent de talents » comme il aime se définir. « Avec le cabinet, je leur ouvre le champ des possibles. Dans le monde des RH, il manque des profils management et leadership. Pépite est un pont entre les entreprises qui recherchent des meneurs d’équipes et des profils militaires. » Au sein de son jeune cabinet (créé en 2021), il a déjà reçu 1 500 candidats. Il n’en accompagne en général que 15 %. « Les entreprises ont peur des profils obtus. D’où la sélection. » Et les reconversions sont parfois suprenantes. Tel cet ancien engagé déployé dans la lutte contre le terrorisme aujourd’hui épanoui dans une entreprise de distribution de colis. Ou ce vétéran de la DGSE à la tête d’une agence de services à domicile…

Auteur

  • Irène Lopez