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Écoles de la deuxième chance : la fabrique de l’espoir

Décodages | Insertion | publié le : 01.06.2023 | Frédéric Brillet

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Écoles de la deuxième chance : la fabrique de l’espoir

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Les Écoles de la deuxième chance constituent un passage court, mais souvent décisif dans les parcours chaotiques des jeunes qui y reprennent espoir en leur avenir. Reportage à Sevran.

En ce jeudi 11 mai, les nouvelles recrues de l’École de la deuxième chance (E2C) de Sevran, l’une des quatre de Seine-Saint-Denis qui accueillent au total plus de 500 stagiaires par an, s’installent dans une vaste salle aux tables disposées en cercle. Une classe on ne peut plus hétérogène avec des filles voilées ou pas, des majeurs et des mineurs, des jeunes nés dans les cités voisines et d’autres récemment venus d’Afrique ou d’Asie à en juger par leur accent. Certains semblent rongés par la timidité quand d’autres réagissent au quart de tour à la moindre question. Mais tous, après un parcours scolaire, familial ou de vie souvent chaotique, partagent comme objectif de rebondir, tant sur le plan professionnel que personnel.

Invités par le formateur à faire part de leurs aspirations, ils expriment des ambitions réalistes, à la mesure de leur CV : ils veulent devenir agent de sécurité, employé de supermarché ou de bureau, professionnels des services à la personne… Compte tenu de leur situation, on pourrait imaginer que l’E2C se limite à leur inculquer les bases de l’orthographe, de la grammaire, du calcul et du savoir-être. À les accompagner vers une formation professionnelle, un contrat d’apprentissage ou de travail.

Erreur : depuis leur fondation il y a vingt-six ans, les E2C assurent la formation et l’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi mais aussi une éducation à la citoyenneté. À côté d’enseignements très pragmatiques qui remettent les stagiaires sur les rails, elles s’assignent donc la mission de développer l’esprit critique, la compréhension du monde et de défendre le vivre-ensemble. Et le site de Sevran n’échappe pas à la règle : « Les enseignements humanistes contribuent à limiter l’emprise des discours extrémistes et des fake news. Régulièrement, je suis amené à déconstruire des mythes comme le complot des Illuminati qui circule sur Internet », explique Dimitri Sandler, responsable de la communication des E2C de Seine-Saint-Denis qui initie par ailleurs ces jeunes à la réflexion philosophique. Dans le même esprit, les stagiaires participent à des ateliers théâtre, à des visites dans divers lieux de culte, monuments et musées et à des excursions. La semaine de notre passage, un groupe planchait sur un projet de séjour à Marseille incluant notamment une visite de la réplique de la grotte Cosquer. « Ils conçoivent le programme d’activités et les aspects pratiques en vue d’une présentation devant la direction de l’école. C’est motivant et un bon moyen de leur faire travailler l’expression orale et écrite », précise leur formatrice Ilham Lheimeur. Les E2C fonctionnant de manière décentralisée et échappant aux contraintes de l’Éducation nationale, les formateurs y disposent d’une grande liberté pédagogique. « On peut mener une réflexion sur ce que les selfies disent du culte de soi et l’associer à un atelier photo. Visionner Le Nom de la Rose pour organiser une discussion sur la liberté religieuse et de conscience », poursuit Dimitri Sandler.

Pour autant, contrairement à ce que suggère son intitulé, l’E2C n’est pas une école mais un centre de formation préqualifiante. On y suit des ateliers et non des cours. On y côtoie des stagiaires – rémunérés quelque 500 euros par mois quand ils sont majeurs – et non des élèves. Des formateurs et non des professeurs. L’E2C tient à cette terminologie qui contribue à convaincre des jeunes souvent fâchés avec l’institution scolaire qu’ils vont y vivre une autre expérience. Mia, 16 ans, qui accumule les mauvaises notes depuis l’école primaire et a décroché en fin de troisième, apprécie cette différence : « Ici je me sens moins sous pression. Je travaille sur d’autres choses, j’apprends à choisir mon métier. »

« Ici c’est l’institution qui s’adapte aux jeunes. »

Autre particularité, les apprenants intègrent l’E2C à n’importe quel moment de l’année pour une durée indéterminée de six mois en moyenne, découpés entre trois semaines de stage découverte d’un métier en entreprise et trois semaines sur site. Ils en sortent à leur convenance dès qu’ils ont trouvé une formation qualifiante les menant à un métier qui leur plaît, un contrat d’apprentissage ou de travail. Quand ils ne sont pas en stage, ils viennent à l’E2C 35 heures par semaine suivre des ateliers accueillant une dizaine de personnes maximum sous la supervision d’un formateur. Soit un ratio nombre d’apprenants par formateur bien plus favorable que dans l’Éducation nationale. L’E2C propose à chacun des exercices et modules pédagogiques différents puisés sur son site, les formateurs passant d’un apprenant à l’autre pour les encourager dans leur progression. « Ici c’est l’institution qui s’adapte aux jeunes, pas l’inverse », résume Frédéric Miquel, formateur en connaissance du monde contemporain.

Grâce à cet accompagnement pédagogique renforcé, l’E2C de Sevran, comme ses consoeurs, parvient à construire un programme de formation individualisé. Ce système est d’autant plus nécessaire que les groupes sont de plus en plus hétérogènes. Initialement, l’établissement recrutait des jeunes majeurs sortis sans diplôme de l’Éducation nationale. « Depuis deux ans nous prenons en charge des mineurs à partir de 16 ans. Ils n’ont pas la même maturité que les adultes, flottent davantage, sont plus difficiles à motiver » observe Idris Bahfir, responsable du site. Mission difficile mais pas impossible comme le montre le parcours de Ryad, 17 ans. Après avoir abandonné le lycée en première Bac pro en maintenance des équipements industriels (« Ça ne m’intéressait pas, j’étais ailleurs », répond-il évasivement), il a rejoint l’E2C Sevran en janvier et a découvert la mécanique automobile à l’occasion d’un stage chez un garagiste. Le jeune homme voit désormais son avenir professionnel dans ce secteur.

À l’autre extrémité du spectre, Sevran accueille aussi des bacheliers et diplômés post-Bac qui peinent à se réorienter, à l’instar de Rebecca. Déjà titulaire d’un BTS assurances, mais déçue par son expérience dans ce secteur, la jeune femme ambitionne de travailler dans la banque en misant sur l’alternance pour décrocher une licence professionnelle. On trouve aussi au sein de l’établissement de récents immigrés qui parlent mal le français. Des apprenants affectés de fragilités psychologiques, liés à des échecs ou à des traumatismes familiaux. « Tous aspirent à la normalité, à devenir autonomes, mais certains peuvent se sentir dépassés par de simples formalités administratives. D’où leur mal-être. L’E2C est un espace de transition qui sert à les faire grandir et à s’en sortir », explique Virginie Paul, une psychologue rattachée à l’école, qui vient de prendre en charge une jeune femme en proie à une crise d’angoisse, sortie en pleurs d’un atelier.

Pour se remettre sur les rails, les nouveaux admis ébauchent ce jour-là leur projet professionnel sous la tutelle de leur formateur Rumesh Corera. La plupart ont passé plusieurs mois, voire un an à ruminer à domicile avant de se présenter à l’E2C, souvent sur le conseil de la mission locale. Ce qui leur a laissé le temps de réfléchir à leur avenir et d’envisager un métier.

Accompagner vers l’autonomie.

Il n’en demeure pas moins que, faute d’expérience, ils s’en font une représentation « un peu faussée », remarque Idris Bahfir : « Par exemple, ils peuvent ignorer que les métiers d’aide à la personne ne se limitent pas aux repas, mais peuvent impliquer de faire des toilettes, de travailler les jours fériés, d’accepter des astreintes… » Il revient donc à l’école de leur faire prendre conscience de ces réalités avant même de les envoyer en stage.

L’accompagnement vers l’autonomie constituant l’un des principes fondateurs des E2C, les jeunes sont encouragés à trouver eux-mêmes leurs stages, ce qui n’a rien d’évident quand on a ni qualification, ni expérience professionnelle. Les formateurs enseignent les rudiments de la recherche d’emploi sur Internet, la rédaction du CV et de la lettre de motivation, à charge pour les stagiaires de démarcher. La plupart se tournent vers les PME et TPE des alentours, sachant qu’il est plus facile de contacter directement le décideur que s’il s’agit d’une grande firme. Une prospection où ils apprennent à se présenter à et se vendre mais qui n’a rien d’évident. Sachka, 17 ans, qui a décroché de son lycée technologique en première et aspire à effectuer un stage dans un cabinet dentaire en sait quelque chose. « J’ai dû passer une cinquantaine d’appels pour décrocher un entretien avec une responsable. J’attends encore la réponse… »

Autre cheval de bataille de l’E2C, la lutte contre les stéréotypes de genre : les candidats qui veulent travailler dans le BTP sont presque toujours des garçons ; ceux qui visent les métiers de la petite enfance ou le secrétariat, presque toujours des filles. C’est pourquoi des ateliers insistent sur l’égalité des sexes et encouragent les apprenants à aller là où on ne les attend pas. Avec un certain succès : de retour d’un stage dans le BTP où elle a découvert le métier de couvreur qui manque de candidats, Kaprioky, 19 ans, fait défiler avec enthousiasme sur l’écran de son téléphone portable les photos qu’elle a prise sur le toit d’un monument historique parisien. « Je n’ai pas le vertige et j’ai découvert plein de choses sur ce chantier où l’on m’a bien accueilli. Et puis aller vers un métier réputé masculin ne me fait pas peur. Ma soeur travaille chez Vinci comme coffreuse-boiseuse. J’ai envie d’aller sur ses traces… »

L’E2C, qui sert de voiture-balai aux exclus du système scolaire, peut même s’enorgueillir d’avoir contribué à quelques parcours exceptionnels. Ali Sidhoum, 38 ans, un ancien d’E2C, fait partie de ces outsiders que l’on n’attendait pas. Fondateur de Trust IT, il dirige aujourd’hui cette entreprise de services numériques qui emploie plus de 80 salariés. Et il ne cache pas que l’E2C lui a servi de tremplin pour rebondir dans la vie : à l’aube de la vingtaine, il sortait d’un parcours scolaire chaotique, entrecoupé de galères et de petits boulots. Sa chance a été de frapper à la porte de l’E2C, avec l’idée de travailler dans l’informatique. « Je savais tout juste graver un CD et installer Windows mais on m’a accepté avec ce projet. J’ai appris à me présenter, à passer un entretien, à améliorer mon savoir-être. Mais, surtout, l’E2C m’a redonné confiance en moi. C’est la grande force de l’école et ce qui m’a permis d’arriver là où je suis. » Un ancien reconnaissant, puisqu’il siège désormais au conseil d’administration de l’E2C qu’il soutient financièrement et où il vient dispenser ses conseils aux stagiaires.

Auteur

  • Frédéric Brillet