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« L’environnement de travail ne fait pas seul la performance »

À la une | publié le : 01.06.2023 | Irène Lopez

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« L’environnement de travail ne fait pas seul la performance »

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Six questions à Séverine Pilverdier, présidente de l’Idet, l’association des directeurs de l’environnement de travail.

Malgré les besoins inévitables de transformation, les entreprises françaises semblent encore être dans l’expectative concernant leurs projets d’aménagement. Pourtant, les espaces de bureau participent à la réussite d’une société pour 85 % des entreprises selon une enquête réalisée par Aktis-partners. Êtes-vous d’accord avec ces deux affirmations ?

Séverine Pilverdier : Ces deux affirmations sont justes, mais il faut être vigilant à la façon dont on les articule. Il est important de dissocier un projet de transformation et un projet d’aménagement. Ce sont deux projets différents qui peuvent s’emboîter, mais l’un ne peut pas constituer l’unique réponse aux problématiques de l’autre.

Ce qui fait le succès d’une entreprise, c’est sa capacité à concevoir son identité, sa stratégie commerciale ou industrielle, à s’entourer de personnes compétentes, développer ses savoir-faire, bien définir ses moyens de production et de distribution. Le succès vient de la capacité à se challenger en permanence tout en consolidant ses acquis, à s’adapter et à se transformer pour être en phase avec les exigences de son écosystème.

Les espaces de bureau et leurs services peuvent favoriser la coopération, l’innovation, l’attention, la concentration, la réassurance et contribuer à ce succès. Ils montrent aux salariés l’implication de l’entreprise en soutien du travail, ils peuvent attirer, séduire et fidéliser leurs talents de façon à disposer des bons éléments pour servir leur stratégie. Mais s’ils ne sont pas homogènes à l’offre sociale de l’entreprise, déconnectés de l’organisation du travail, ils seront très rapidement convaincus de publicité mensongère, démonétisés, et inopérants en support de la performance.

Ce n’est donc pas l’environnement de travail qui fait seul la performance, mais la maturité de l’entreprise dans la connaissance du travail qui s’opère réellement en son sein, et de ses changements, qui lui donne la capacité à prescrire les environnements de travail efficaces pour elle.

Plus de 58 % des entreprises en France estiment qu’il est beaucoup plus compliqué aujourd’hui de trouver des locaux et d’aménager des espaces de travail qu’auparavant. Est-ce votre sentiment ?

S. P. : Je ne partage pas cet avis. L’offre est là, il y a du choix et le spectre des services n’a jamais été aussi ouvert. La difficulté que les entreprises rencontrent aujourd’hui est qu’elles demandent tout et son contraire aux espaces de travail ; et tout de suite. À chercher du beau mais pas cher, sexy mais rationnel, en centre-ville mais à la campagne, avec des collaborateurs mais pas trop, comme à la maison mais comme au bureau, attractif pour l’emploi mais déceptif pour les coûts, on s’expose à un cahier des charges impraticable et à des difficultés insurmontables. Il est important de réfléchir en amont au projet d’entreprise auquel on veut donner un lieu, de le faire mûrir, de se fixer enjeux et objectifs atteignables, de les partager avec les parties intéressées. Il sera dès lors beaucoup plus facile de trouver ses locaux et d’aménager les espaces de travail.

Ce n’est donc pas tant de trouver l’espace de travail qui est compliqué, que de définir exactement ce que l’on souhaite et de conserver la ligne directrice du projet en résistant aux sollicitations diverses et variées. C’est une maturité qui suppose de s’y être pris bien avant la date de résiliation du bail.

Quels sont les facteurs qui complexifient les réflexions autour de l’environnement de travail ?

S. P. : Il est important de garder en tête la définition de l’environnement de travail : un ensemble stable et régulé de conditions matérielles et humaines, individuelles et collectives, qui fournissent à tous un milieu sûr, sain, sobre, social, simple au travail engagé par l’activité.

Depuis cinq ans, et plus encore depuis la Covid, l’environnement de travail est un sujet qui interroge et qui fait réagir parce que le travail lui-même fait question, au moins sous trois aspects : après trente ans de ressource excédentaire, l’emploi est en tension ; nous faisons face aux conséquences psychosociales de la digitalisation du travail tertiaire conduite également depuis trente ans ; le cadre commun immobilier et social du travail tertiaire est remis en cause par le télétravail.

On demande donc plus d’attractivité, de mieux s’adapter aux besoins réels des salariés tout en intégrant les situations de travail présentielles et distancielles.

Un état des lieux concret de ces nouveaux besoins est nécessaire pour répondre à la question : quel nouvel environnement de travail pour l’entreprise ? Le travail est massif parce qu’il détricote des solutions qui résultaient de trente ans d’optimisation de contraintes techniques, économiques, juridiques, réglementaires, auxquelles les marchés et les utilisateurs s’étaient adaptées. On redécouvre la complexité et la technicité d’un métier, celui des DET (directeurs de l’environnement de travail).

La difficulté est encore accrue par la nouveauté : chacun connaît à peu près la sienne, mais il faut tenir compte de celle de l’autre si l’on veut rester dans le cadre d’une culture commune. Ce dialogue peut paraître fastidieux face à la tentation de faire comme chez le voisin, mais il est la source d’un renouvellement bien plus robuste qu’un assemblage d’innovations mal digérées.

Une difficulté moins évidente et moins exprimée est celle de rencontrer ou de détecter des partenaires capables d’accompagner ces entreprises dans la réussite de leur stratégie immobilière. Êtes-vous d’accord ?

S. P. : En effet, tant que l’objectif n’est pas clair et que les entreprises pensent que la transformation et la stratégie immobilière sont un seul et même projet, la difficulté persistera. On ne peut pas faire de la transformation avec des acteurs immobiliers. En choisissant les bons acteurs pour les bonnes compétences, il est plus simple de trouver les bons partenaires.

79 % des entreprises seraient en manque de repères et d’expérience pour des aménagements optimaux. Que peut faire l’IDET pour elles ?

S. P. : Je ne valide pas ces propos. Toutes les entreprises ont le recul nécessaire pour se poser les bonnes questions, définir leur besoin et s’entourer des professionnels compétents pour déterminer les aménagements et les services qui leur conviennent. Si elles savent se digitaliser, passer un accord d’entreprise sur le temps de travail, franchir un saut industriel, elles savent aussi agir sur leur environnement de travail.

La difficulté est d’accepter que changer ses espaces pour améliorer sa performance ou remotiver les troupes ne se résume pas à repeindre les cloisons ou changer d’adresse, mais suppose, comme pour les autres projets dont je viens de parler, un travail de projection collective et une capacité à passer des conventions entre toutes les parties concernées. Ce travail nécessite du temps. À cette condition, un projet d’aménagement de l’espace, comme un des livrables du projet d’entreprise, sera le porteur au quotidien de la transformation et de la performance.

Les entreprises sont donc équipées, mais en retard. On ne pense pas son cahier des charges cible quelques mois avant la résiliation du bail, mais on le prépare plusieurs années auparavant, et d’autant plus tôt que le projet est ambitieux.

Les DET ont cette vision transversale de l’entreprise et savent ce que le marché propose. Notre métier est en pleine expansion et l’Idet anime un collectif d’experts de plus en plus nombreux et reconnus. Il faut juste savoir écouter les DET et leur faire confiance.

Il existe des sites équivalents à Airbnb pour les entreprises. Ces dernières louent des espaces chez des particuliers. Est-ce une vraie tendance ou est-ce que ça reste anecdotique ?

S. P. : Ce phénomène remonte à 2015, lorsqu’apparaissent en France ces premières propositions d’environnement de travail. Tant qu’ils fournissent des solutions à la flexibilité, ils s’apparentent aux tiers lieux, aux solutions de coworking et aux hôtels qui louent leurs chambres pour y travailler. N’oublions pas que l’employeur est garant des impacts de l’environnement de travail sur le salarié et qu’à ce titre il doit en contrôler la nature et l’usage. C’est plus difficile et plus coûteux concernant les offres flexibles que sur les emprises immobilières classiques. Ça l’est encore davantage chez les particuliers dont l’immobilier ne relève pas des mêmes réglementations que l’immobilier professionnel. Tant que ces différences subsistent, le recours à ce type d’offres restera marginal.

Bio

Séverine Pilverdier est présidente de l’Idet (ex-Arseg, association nationale des directeurs des services généraux), qui représente la filière des environnements de travail (un marché de 204 milliards d’euros et plus d’un million d’emplois directs) et directrice de l’environnement de travail et de l’immobilier chez BNP Paribas Real Estate.

Auteur

  • Irène Lopez