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« Il faut réconcilier les salariés avec leur lieu de travail »

À la une | publié le : 01.06.2023 | Irène Lopez

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« Il faut réconcilier les salariés avec leur lieu de travail »

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L’agence d’architecture Génie des Lieux vient de lancer le mouvement « Future is Now » pour un secteur immobilier plus engagé : un manifesto pour des environnements ingénieux, en accord avec les desiderata des collaborateurs, porté entre autres par Dorra Ghrab, directrice business et développement du cabinet.

Quelle est la genèse du mouvement que vous avez lancé le 1er février dernier ?

Dorra Ghrab : La période post-Covid a induit une magnifique opportunité de requestionner les environnements de travail, faisant émerger de nouvelles envies, pratiques et modes de travail. Passées les premières incertitudes, les nouveaux aménagements se sont naturellement tournés vers les solutions qui émergeaient déjà avant la crise. Mais alors qu’elles séduisent les directions immobilières, elles sont loin d’emporter la majorité des collaborateurs et ne sont pas toujours en phase avec leurs besoins. Les open spaces, flex office, ou encore la démultiplication des espaces collaboratifs s’aménagent aux dépens des espaces individuels. Pourtant, ces solutions prennent de plus en plus la forme d’une réponse unique, d’un modèle à suivre. Il ne correspond pas aux attentes des salariés. Par exemple, identifiées comme de grands enjeux RH, la diversité et l’inclusion ne sont pas encore prises en compte dans la conception des espaces de travail, sauf pour répondre aux obligations PMR (personnes à mobilité réduite). Or, les personnes en fauteuil roulant ne représentent que 3 % des situations de handicap. La non-conception de lieux adaptés fait obstacle à la réalisation du travail, isole socialement (par l’accessibilité au bâtiment, au poste, l’utilisation de certains espaces…) et prive les entreprises d’un vivier de talents. Sans compter que la diversité est un levier significativement positif pour les entreprises d’un point de vue organisationnel et social. Le premier enjeu majeur est donc un design universel. Nous avons travaillé avec l’association APF France handicap, pour intégrer dans la conception de nos aménagements tous les handicaps, visibles et invisibles.

Quel est le deuxième enjeu ?

D. G. : C’est la durabilité. L’immobilier tertiaire est générateur de grande consommation énergétique. Pour la limiter, nous agissons de plusieurs façons. Il y a tout d’abord le réemploi. Selon nos enquêtes réalisées sur l’ensemble de nos projets en 2021, 80 % des mobiliers et matériaux dans les espaces de travail sont neufs. Il est urgent de changer d’état d’esprit vis-à-vis du réemploi et de promouvoir une économie circulaire et responsable. Nous prônons une réutilisation la plus systématique possible du mobilier et des matériaux existants.

De plus, la meilleure consommation énergétique est celle qu’on ne produit pas ! Nous avons pensé un système de sécabilité fin qui permet de fermer les espaces non utilisés sans perturber l’organisation des équipes et en préservant la diversité des espaces et des services.

Quid de la performance et qualité de travail ?

D. G. : C’est notre troisième enjeu. Attirer, fidéliser et faire performer les talents est le nerf de la guerre. Les open spaces ne répondent pas toujours aux besoins des collaborateurs. Selon l’enquête internationale réalisée en 2021 par Actineo, seulement 36 % des collaborateurs sont satisfaits de leur open space. Et ce n’est pas une question de génération : 65 % des étudiants aimeraient avoir un bureau individuel d’après l’enquête Mon bureau post-confinement III, réalisée en avril 2021 par l’Essec. Pour répondre à cette problématique, nous avons donné la parole aux collaborateurs et pris en compte leurs besoins en matière de concentration. N’oublions pas que, contrairement aux idées reçues du tout collectif, 45 % du temps de travail au bureau est encore consacré au travail individuel. Le bureau doit donc y répondre pour la performance de tous. Nos espaces permettent d’offrir de meilleures conditions de réalisation du travail, tout en améliorant la satisfaction et le bien-être des collaborateurs.

Quels sont les engagements que vous revendiquez à travers votre manifesto ?

D. G. : Nous voulons relever le grand défi de construire un environnement tertiaire plus responsable et conscient de son impact, plus humain, plus efficace, plus sobre, plus juste, et plus enthousiasmant. Nous croyons qu’il faut revenir à l’essentiel et au bon sens pour se réinventer. Nous souhaitons agir de façon immédiate et sans démesure dans les moyens humains ou financiers. Nous voulons intervenir avec pragmatisme et réalisme. Nous avons à cœur que nos solutions d’avenir soient économiquement viables et raisonnables.

En ce qui concerne un design unique et ergonomique, nous souhaitons écouter les collaborateurs et la réalité de leurs besoins pour les traduire en environnement capacitant. Nous nous engageons à concevoir des lieux réalistes qui, loin des tentatives d’effets de séduction, facilitent la réalisation du travail en prenant soin des collaborateurs et de leurs activités.

Quant à un design juste et universel, nous souhaitons concevoir des lieux de travail qui permettent à chacun, quelle que soit sa différence, de réaliser son travail dans les meilleures conditions. Nous voulons créer des espaces qui favorisent l’embauche d’une grande diversité de salariés en réunissant les conditions opérationnelles de travail. Nous voulons concevoir des solutions organisationnelles, spatiales et servicielles accessibles et utilisables par tous.

En outre, pour un design sobre et raisonnable, nous nous engageons chaque jour à agir de la manière la plus contributive possible en imaginant des espaces respectueux de la planète. Pour cela, nous souhaitons revenir à l’essentiel et connecter l’économie de projet à la recherche d’impact. Nous voulons maximiser la réversibilité des espaces et des usages et ainsi limiter le besoin de démultiplication d’espaces. Nous croyons à la richesse de l’économie circulaire et aux solutions plus pérennes grâce à une utilisation bien plus étendue des ressources existantes en mobilier et en matériaux et à une sélection de produits auxquels nous pouvons aisément offrir une nouvelle vie.

Qui partage vos convictions ?

D. G. : Notre objectif est d’engager avec nous le plus grand nombre de partenaires et professionnels afin de créer un monde plus contributif. Nous sommes nombreux à vouloir évoluer dans un environnement tertiaire plus responsable et plus engagé. Le marché tertiaire réunit près de 22 millions de travailleurs et a progressé, en France, de plus de 20 % en 40 ans. Nous souhaitons donc profiter de cette puissance du secteur immobilier pour affirmer nos convictions et les porter haut et fort. Nous avons le pouvoir d’engager le changement, profitons-en. Appuyons-nous sur notre force pour faire bouger les lignes. Nos partenaires ont déjà répondu à l’appel et une vingtaine de professionnels se sont engagés en signant ce manifesto. Parmi eux : 3ds groupe, Geolocaux, Watt design and Build, Surfy, Komut, Oxygene, Sogeti ingenierie, Merci Raymond, Kinnarps, Scop 3, Bluedigo, Free space. Mais ce n’est que le début !

Concrètement, comment se manifeste votre engagement ?

D. G. : Pour appuyer nos engagements et les porter haut et fort, nous avons participé au concours Worknight. Une occasion précieuse de présenter notre démarche devant un auditoire de décideurs immobiliers avec nos partenaires Legendre Immobilier et Euro Disney. Nous nous sommes donc associés pour concevoir le design intérieur du bâtiment Mayfair 2, à Val d’Europe, en Île-de-France, pour démontrer la pertinence de cette démarche. Le bâtiment répond à tous les engagements du manifesto. À travers cette réalisation, nous démontrons que cela est possible !

Quels conseils donneriez-vous aux DRH et DAF et autres directions ?

D. G. : Le premier serait de faire attention à ne pas se laisser porter par les tendances qui ne correspondent pas aux collaborateurs. Le second serait d’oser casser des idées préconçues pour aborder la réalité des demandes des collaborateurs. Pour 87 % d’entre eux, le bureau doit leur permettent de mieux travailler. Une salle de sport au sein de leur entreprise n’est pas leur priorité. Ils ne viennent pas au bureau pour pratiquer une activité physique. Tout comme le service de conciergerie : ils déclarent pouvoir s’en passer. La salle de sport et la conciergerie arrivent en dernier des souhaits exprimés par les collaborateurs. Ils souhaitent, avant tout, être efficaces. Leur lieu de travail doit leur en donner les moyens.

Auteur

  • Irène Lopez