logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

« Les coûts indirects des restructurations sont parfois très supérieurs aux bénéfices visés »

Dossier | publié le : 01.05.2023 | Muriel Jaouën

Image

« Les coûts indirects des restructurations sont parfois très supérieurs aux bénéfices visés »

Crédit photo

Les réorganisations sociales n’ont pas seulement des effets brutaux sur le plan humain, elles s’avèrent souvent désastreuses à long terme pour les entreprises. Comment éviter la casse ? Regard croisé de Myriam de Gaudusson, avocate, et d’Erwan Le Tallec, DRH.

Quels sont le rôle et la place des DRH dans un processus de réorganisation sociale ?

Erwan Le Tallec : Leur responsabilité est essentielle autant que difficile : ils doivent éclairer les directions générales sur les conséquences de certaines décisions. Les réorganisations peuvent avoir un impact désastreux, en matière de pertes de compétences, de disruption business, de facture financière. Les coûts indirects des restructurations sont parfois largement supérieurs aux bénéfices visés. Une organisation soumise à un plan social va mettre des mois, des années, à revenir à son niveau de performance antérieur. C’est pourquoi il est toujours préférable d’anticiper, pour éviter d’en arriver à des ruptures souvent catastrophiques pour les entreprises. La responsabilité sociale et sociétale qui échoit aux DRH veut que le licenciement sec soit la dernière des hypothèses quand on a envisagé toutes les autres sans exception. Car il y a d’autres options. Quand bien même on associe souvent les réorganisations à des réductions de personnel, il est possible de réorganiser à iso effectifs, en misant sur des transferts de compétences vers de nouveaux métiers, sur des mobilités de ressources entre départements, sur un réalignement hiérarchique, etc.

Les réorganisations font-elles l’objet d’une définition juridique ?

Myriam de Gaudusson : Le terme de réorganisation stricto sensu n’est pas directement défini par les textes. En revanche, la loi qualifie différents types de mesures pouvant conduire à une réorganisation : modification collective de contrat de travail, rupture collective, plan de sauvegarde de l’emploi, mobilités sur le long terme, etc. De même, le droit encadre précisément les changements de modalités d’exercice du travail.

La décision de réorganiser renvoie-t-elle nécessairement à une situation de crise ?

Erwan Le Tallec : Comme toute organisation humaine, une entreprise évolue en permanence. Nous avons tous en tête des noms de sociétés ayant failli, faute d’avoir su s’adapter aux transformations. L’idée de réorganisation renvoie d’abord à la nécessité pour les entreprises de s’adapter. Soit de manière proactive, en se donnant les moyens de prendre en compte et si possible d’anticiper des évolutions de contexte. Soit de manière réactive, parce qu’il faut bien répondre à des phénomènes de rupture. Ce qui est frappant, c’est que les ruptures sont devenues récurrentes et que la crise est aujourd’hui la norme. Les décisions se prennent donc de plus en plus rapidement, tout en devenant de plus en plus complexes, car la globalisation place les entreprises dans une intrication de phénomènes hétérogènes qu’il faut intégrer, digérer, puis réussir à aligner sur une direction stratégique. De ce fait, la posture réactive prend le pas sur l’approche proactive.

Les avocats peuvent-ils aider les entreprises à se replacer dans une dynamique d’anticipation ?

Myriam de Gaudusson : Il est de notre rôle d’expliquer à nos clients qu’ils ont tout intérêt à ne pas foncer tête baissée au motif qu’ils se trouvent face à une situation délicate. Nous devons leur apporter une réponse structurée, qui projette leur décision sur le long terme. Mais ça n’est pas toujours simple. Si nous entretenons avec un client une relation de longue date, bâtie sur la confiance, il sera plus facile de l’aider à anticiper les conséquences négatives d’une restructuration ou d’une réorganisation brutale, de faire en sorte qu’il évite, si possible, d’en arriver à des licenciements secs, avec tous les risques de contentieux associés et les graves préjudices induits en termes d’image. Mais nous nous trouvons parfois face à des clients, notamment étrangers, dont le propos est beaucoup plus directif : « Nous fermons la filiale française, nous avons telle enveloppe budgétaire et tel calendrier, merci d’agir dans ce cadre. » Dès lors, il est beaucoup plus difficile de faire entendre que le risque peut être très supérieur au bénéfice attendu.

Du point de vue du DRH, cet accompagnement juridique est-il indispensable ?

Erwan Le Tallec : L’éclairage des juristes est déterminant. Le DRH a dans le processus de réorganisation un rôle de chef d’orchestre, mais il a besoin, pour le remplir, de s’appuyer sur des expertises techniques, en l’occurrence juridiques. Pour autant, si indispensables soient-elles, ces expertises doivent à mes yeux fournir des réponses opérationnelles et des scénarios au service d’une décision stratégique. La mission d’une bonne équipe de juristes ou d’avocats, pour moi, ça n’est pas de dire « non ». C’est d’expliquer ce qu’il est possible de faire, dans quelles limites et avec quels risques, pour mettre en œuvre la stratégie arrêtée par la direction générale. Charge à celle-ci, avec la DRH, d’apprécier les scénarios qu’on lui soumet, d’en sous-peser les risques au regard de cette stratégie.

Myriam de Gaudusson : Je suis tout à fait d’accord avec cette partition des rôles. À cette nuance près que chez certains de nos clients, il n’y a pas de chef d’orchestre au niveau des ressources humaines. J’ai personnellement déjà été confrontée à ce genre de situation, par exemple avec une holding asiatique du secteur du retail qui souhaitait prendre des mesures décisives à l’échelle de sa filiale française, sans que cette dernière soit en mesure d’affecter un profil compétent pour gérer le process avec nous. C’est une situation assez inconfortable pour un avocat, qui doit assumer seul la responsabilité de limiter la casse sociale alors qu’il se serait volontiers contenté d’exercer son rôle technique d’expert.

Le droit social en France est-il particulièrement contraignant en matière de réorganisations ?

Myriam de Gaudusson : Le droit social français propose un arsenal dense et évolutif, qu’il faut savoir suivre et digérer. Cette expertise est clairement notre valeur ajoutée. Mais il est vrai que nos clients voient souvent le droit français comme un frein à leur liberté d’action.

Erwan Le Tallec : La complexité appelle un effort d’explication. Il faut à cet égard la considérer comme une source d’opportunité, qui doit nous encourager à jouer cartes sur table avec les salariés et leurs élus, à exposer les enjeux et à partager les informations, avec le maximum de transparence. La vraie difficulté, à mon sens, est plutôt dans la méconnaissance des process au sein de nos équipes. Je peux citer par exemple le principe de priorité d’information donnée aux IRP, qui veut que les salariés, bien que premiers concernés par un projet de réorganisation, peuvent rester tenus longtemps à l’écart de toute information. La qualité de la relation sociale a ici une réelle importance. Elle est à la fois une condition et une conséquence de la capacité des entreprises à convaincre les partenaires sociaux de l’intérêt d’une communication transparente auprès de l’ensemble des salariés.

Myriam de Gaudusson : Nous ne pouvons qu’encourager la transparence – dès lors qu’elle ne contrevient pas aux règles élémentaires de discrétion. Elle est d’ailleurs de plus en plus souvent la norme dans le cadre de projets globalisés impliquant plusieurs pays, ne serait-ce que pour prévenir le risque de délit d’entrave. La transparence, c’est aussi faire comprendre que le maintien de la structure et des emplois passe parfois par la mise en œuvre de procédures ayant un impact social. Cela suppose que l’on réponde aux interrogations légitimes des salariés. Que l’on explique par exemple comment l’organisation fonctionnera à effectif réduit, comment elle prendra en compte l’éventuelle surcharge de travail.

Auteur

  • Muriel Jaouën