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Décodages

« On considère les autres comme des écrans »

Décodages | Société | publié le : 01.05.2023 | Lucie Tanneau

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« On considère les autres comme des écrans »

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Quelle place a la politesse en entreprise ?

Dans le monde du travail, la politesse n’est pas une valeur mise en avant. Or, la politesse est un ajustement social pour supporter le vivre-ensemble : il permet à l’autre d’avoir sa place. La politesse permet de compenser, par un ajustement interindividuel, des positions dissymétriques. La société française, dans l’histoire, a été très dissymétrique, comme l’est le monde de l’entreprise. La politesse y est donc nécessaire, mais reste un bricolage social.

La Covid et l’augmentation du travail à distance ont-ils modifié notre pratique de la politesse ?

Avec la Covid, le vivre-ensemble et la convivialité ont diminué. Le nombrilisme s’est développé. Derrière nos écrans, nous avons oublié que nous devons conserver cette habitude française de politesse pour laisser la place à l’autre. Mettre sa caméra pour parler au cours d’une réunion à distance, ne pas quitter une réunion sans prévenir, dire au revoir plutôt que se déconnecter. L’outil remplace les normes sociales : on considère les autres comme des écrans, sans voir leurs efforts, par exemple pour gérer des enfants en télétravail. La baisse de la convivialité fait que l’on a encore davantage besoin de politesse, c’est-à-dire du respect que l’on doit à l’autre. Mais beaucoup de personnes pensent que le respect leur est dû, dans une totale inversion de valeurs, le nombrilisme et l’individualisme remplaçant la disponibilité à l’altérité. La politesse est une compensation pour accepter la présence de l’autre dans nos espaces, et le télétravail, avec la dilatation du temps et de l’espace, fait que cet ajustement est encore plus nécessaire, d’autant que, abruties de normes, les personnes ont envie de se retrouver chez elles, dans un espace où l’autre n’a pas sa place.

Sur cette question des normes, certaines entreprises adoptent des chartes pour rappeler l’importance de la politesse… Peuvent-elles changer les comportements ?

Les chartes sont un cache-misère : derrière chaque charte je vois un problème qui s’éternise. Les acteurs ressentent une pression supplémentaire de la hiérarchie. Cela montre aux gens qu’on ne leur fait pas confiance pour trouver les ajustements, mais qu’on leur dicte un comportement à avoir. Sur l’exemple du télétravail : il a toujours été pensé sur fond de défiance : on se dit que les gens chez eux, ne vont pas travailler. La défiance se traduit en normes et en chartes, ce qui incite les gens à s’opposer. C’est l’inverse qu’il faudrait : renforcer la confiance dans la liberté donnée et la politesse dans les échanges qui se modifient. La politesse, c’est ne pas engueuler celui qui vous engueule, ce qui ne manque pas d’arriver dans des situations devenues artificielles et conflictuelles. Souvent, dans notre société et en entreprise, on confond la convivialité, pour laquelle on a besoin de s’apprécier mutuellement, et la courtoisie qui est le fait d’être poli, y compris avec les gens que l’on n’aime pas. Tout ce qui permet à autrui de se sentir à sa place – politesse, courtoisie, convivialité – est d’une efficacité sociale et managériale redoutable. En tant que manager, j’ai toujours constaté que plus on simplifie la vie des gens, mieux ils vous le rendent !

Auteur

  • Lucie Tanneau