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Cécile Duflot, « la patronne »

Décodages | Portrait | publié le : 01.05.2023 | Irène Lopez

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Cécile Duflot, « la patronne »

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On ne retient de Cécile Duflot que son engagement écolo, ses années politiques, sa robe à fleurs et son autorité. Le nombre des années passées dans le privé dépasse pourtant sa carrière dans le public. Au fil de ses expériences, l’ex-ministre, aujourd’hui DG d’Oxfam France, est devenue une cheffe qui aime partager son leadership.

Cécile Duflot va vite. « Très vite, trop vite pour nous », confie Corinne Rufet, aujourd’hui maître d’œuvre à Chinon, qui a travaillé avec elle il y a vingt ans. Cécile Duflot est devenue mère de famille nombreuse à 25 ans. Elle est à peine âgée de 31 ans quand elle est élue secrétaire nationale du parti Les Verts et, par la même occasion, la plus jeune à avoir occupé ce poste.

Plus que la vitesse, c’est la force que met en avant Frédéric Lenica, son directeur de cabinet quand elle est ministre de l’Égalité des territoires et du Logement. « Cécile Duflot est une force qui va. Quoi qu’il arrive, elle avance. Elle n’a pas un côté borné ni obsessionnel, mais elle pousse. Elle avait coutume de me dire : Tant qu’on ne t’arrête pas, tu pousses. »

Celui qui est aujourd’hui directeur de cabinet d’Anne Hidalgo ajoute : « Elle est formidablement imaginative, elle a des idées qui sortent de la boîte. Par exemple, si à l’issue d’une réunion, trois options se présentent à nous pour résoudre un problème, vous pouvez être sûre que Cécile Duflot trouvera une autre solution. Ce sera la quatrième option. » Il y a encore dix ans, l’acronyme HPI (haut potentiel intellectuel) n’était pas utilisé. « Mais elle l’est ! affirme Frédéric Lenica. C’est une personne totalement hors norme qui possède une intelligence hors du commun. Elle n’a pas une intelligence à la Macron qui, au bout de dix minutes, a mieux compris que vous votre dossier. Cécile Duflot ne vous dit pas ce que vous devez penser de votre dossier, elle s’en nourrit et apporte des solutions. » Brillante, il faut assurément l’être pour mener plusieurs vies en même temps : maman et étudiante (elle négocie une pause lors d’un examen pour allaiter son bébé), salariée du privé et femme politique, etc.

J’ai été élevée dans la défiance de la politique.

Cécile Duflot sourit : « Je peux faire deux choses en même temps, c’est un de mes défauts. » Sa vie a commencé comme une blague. Elle est née un premier avril, « un vaccin contre la grosse tête et la connerie », aime-t-elle dire.

Aînée d’une fratrie de trois, elle se souvient d’une enfance heureuse en Seine-et-Marne, même si elle « subit les balades à Fontainebleau en famille les dimanches après-midi. » Sa mère était professeure de physique-chimie et son père, chef de district à la SNCF. Sa mère est une « vraie » écologiste. Elle décrit : « C’était original dans les années 1970-1980. Elle abordait ses réflexions sur l’environnement de façon scientifique. Elle était antinucléaire, contrairement à mon père qui embrassait l’idée du progrès technologique. Leurs divergences donnaient lieu à de grands débats, très formateurs pour moi. Cela m’obligeait à me poser des questions. »

La politique avait peu de place chez les Duflot. « Mes parents n’ont jamais été sur une liste. Ils n’ont jamais été encartés dans aucun parti. Pour eux, ce n’était que des combines. Ils votaient. Pour le moins pire. J’ai été élevée dans la défiance de la politique », dit Cécile Duflot. Quand elle prendra sa carte chez les Verts, elle ne saura s’il faut la ranger dans le portefeuille à la vue de tous une fois ouvert, ou la cacher…

Plus jeune, enfant très réservée, Cécile Duflot passait sa vie dans les livres. Ils étaient sa passion absolue. « Les études m’ont abîmé la lecture. Je me suis mise à lire de façon efficace et analytique. Depuis, je lis les livres professionnels sur tablette, mes lectures personnelles sur papier. Quant aux audio livres et autres podcasts, je les écoute lorsque je bricole ou jardine pour laisser mon cerveau être imbibé par les connaissances. »

Elle passe son bac en 1992, rate de peu la mention très bien à cause d’un hors sujet en histoire-géographie, ce qui ne l’empêche pas de s’inscrire en première année à la faculté de géographie, en parallèle d’une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce.

Admise à l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales), elle opte pour l’alternance. Elle explicite : « Je ne pouvais pas me payer ce genre d’études. J’ai découvert qu’il était possible de le faire sous le régime de l’apprentissage. Cela payait les frais de scolarité et je percevais 60 % du Smic tous les mois. »

Elle fait son apprentissage à Créteil, au sein d’un groupe immobilier à vocation sociale. C’est aussi à cette période qu’elle lit un texte d’André Gorz, pionnier et figure majeure de l’écologie politique : « Leur écologie et la nôtre ». Alors que ses camarades se passionnent pour la bulle Internet, elle contacte les Verts de Villeneuve-Saint-Georges dès 1999, à 24 ans, et s’engage à l’échelle locale.

Pendant dix ans, elle travaille dans le secteur privé. Ce que tout le monde a tendance à oublier aujourd’hui. Peut-être parce qu’elle y était connue sous son nom de femme mariée ; laissant le patronyme Duflot pour la vie publique.

Elle garde un excellent souvenir de ces années. Ses collègues sont devenues ses amis. Corinne Rufet garde en mémoire des fous rires : « Cécile a beaucoup d’humour. Elle est aussi très exigeante. Elle est capable d’être très précise, très pointue, d’avoir étudié un sujet à fond tout en étant décalée. Par exemple, lors de certaines réunions, nous donnions des surnoms d’animaux à nos interlocuteurs tels que Pélican, Balou… Ces codes, que nous seules comprenions, sont restés. »

L’ancienne collaboratrice se souvient également des stratégies managériales très imagées, notamment celle du paquebot : « Sur notre route maritime, il va y avoir un tas de petits bateaux remorqueurs qui vont vouloir nous faire changer de direction. Nous avons mis du temps à démarrer, mais maintenant que nous sommes lancés, nous n’allons pas changer de direction. Nous adoptons la stratégie du paquebot. »

Militante et manager.

En parallèle de sa carrière dans le privé, elle poursuit un engagement politique, en adhérent en 2001 au parti écologiste Les Verts. Corinne Rufet précise : « Il ne faut pas oublier qu’elle a commencé à faire de la politique sans être élue. Cela l’a formée à l’institution et à la gestion du personnel. Avec les Verts, elle a été à bonne école : manager des personnes où se mêlent militance et travail est particulièrement compliqué. On l’a surnommée la patronne. Ce sobriquet, dont elle ne prend pas ombrage, lui est resté. »

Militante au niveau municipal, Cécile Duflot s’implique progressivement dans la gouvernance du parti. Dès 2003, elle rejoint le collège exécutif, l’instance de direction des Verts, puis en devient la porte-parole en 2005.

En 2006, elle est élue secrétaire nationale du parti et occupe cette fonction jusqu’en 2012.

Œuvrant pour le rassemblement, Cécile Duflot contribue à la création d’Europe Écologie-Les Verts, qui fédère différents courants politiques écologistes, en vue des élections européennes de 2009, avec une stratégie payante qui conduira à un fort succès électoral.

De 2012 à 2014, sous la présidence de François Hollande, elle devient ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Elle ne s’étend pas sur cet épisode décevant ; elle a écrit un livre pour le raconter. Dans « De l’intérieur. Voyage au pays de la désillusion » (Fayard, 2014), elle a consigné : « J’y ai cru. J’ai cru en François Hollande, en sa capacité de rassemblement. J’ai cru en nous tous. Je me suis trompée. J’ai essayé d’aider le président de la République à tenir ses promesses, de l’inciter à changer la vie des gens, de le pousser à mener une vraie politique de gauche. Et j’ai échoué. Alors je suis partie. »

En 2012, à l’Assemblée nationale, alors qu’elle est interpellée par Jean-Christophe Fromantin, député-maire de Neuilly et membre de l’UDI (centriste), elle prend la parole pour répondre à la question sur l’avenir du Grand Paris. Elle se fait huer, victime de moqueries concernant sa tenue, une robe à fleurs bleue et blanche, devenue depuis le symbole d’un sexisme politique que les femmes subissent.

Elle est élue dans le même temps députée de la sixième circonscription de Paris, mandat qu’elle occupe jusqu’en juin 2017.

En août 2016, l’ex-ministre est éliminée dès le premier tour de la course préparatoire des écologistes à l’élection présidentielle. Elle reconnaît : « Cela a été douloureux de perdre la primaire. Tout le monde me prédisait une dépression. Cela n’a pas été le cas. J’ai jugé que le moment était venu de m’engager différemment. » Un de ses ex-partenaires aurait tenu les propos suivants : « Si tu quittes la politique, qu’est-ce que tu vas faire ? À part donner des ordres, tu ne sais rien faire ».

« Une personne très humaine et très engagée dans son travail. »

En 2018, Cécile Duflot prend la direction générale d’Oxfam France, une association de loi 1901 qui épingle les groupes du CAC 40. Elle poursuit ainsi les combats qu’elle a menés en tant que femme politique et citoyenne, animée d’une volonté constante de s’engager pour un monde plus juste, durable et solidaire. Elle argumente : « Pour lutter contre la pauvreté, pour faire reculer les inégalités, pour aider celles et ceux qui en ont besoin, il faut influer sur les choix politiques et économiques. C’est ce que fait Oxfam France depuis trente ans et c’est pourquoi je la rejoins. » C’est une membre de l’association (qui compte cinquante salariés et 24 000 donateurs en France) qui l’a sollicitée pour poser sa candidature. Elle revendique avoir suivi le processus de sélection pour l’intégrer.

À son arrivée, elle a été attentivement observée. Marion Cosperec, qui était responsable de la communication et déléguée du personnel à son arrivée, raconte : « Nous avions de grands a priori. Elle avait été ministre. Faudrait-il l’appeler madame ? » De l’avis de ses collaborateurs, la nouvelle directrice a pris ses marques petit à petit. « Cécile Duflot est une personne très humaine et très engagée dans son travail. On peut lui demander de faire beaucoup de choses, comme de remettre une médaille à tous ceux qui passent la ligne d’arrivée du trailwalker Oxfam (événement sportif et solidaire de 100 km), ou encore de faire un discours en anglais alors que le texte préparé était initialement en français », commente l’ancienne responsable de la communication.

Le fait de rejoindre Oxfam France a-t-il changé quelque chose à sa façon de diriger ? Marion Cosperec répond : « Chez Oxfam, on ne peut pas décider tout seul. Elle a son comité de direction et elle doit composer avec lui et toutes les équipes. » C’est une façon de manager qui correspond à Cécile Duflot : « Nous sommes quatre personnes au sein du Codir. Jamais je ne prendrais une décision seule. J’aime partager le leadership. Lorsque mon avis est minoritaire, je m’incline. Mais ils ont intérêt à avoir raison. »

4 dates clés

1998. Rejoint le groupe immobilier Construire à l’est de Paris

2006. Est élue secrétaire nationale du parti Les Verts

2012. Est nommée ministre de l’Égalité des territoires et du Logement

2018. Prend la direction générale d’Oxfam France

Auteur

  • Irène Lopez