logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“Un travail d’inventaire est à faire sur les standards de formation”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2023 | Murielle Wolski

Image

“Un travail d’inventaire est à faire sur les standards de formation”

Crédit photo

À l’automne dernier, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie a renouvelé le binôme à sa tête. Il y a désormais le médiatique Thierry Marx, et Éric Abihssira, qui a investi le secteur il y a plus de trente ans, et donc vice-président. Jeu de questions/réponses avec également Olivier Dardé, spécialisé dans le développement de résidences hôtelières, qui préside l’Umih 44, pour un secteur en mal de compétences, à un an de cette formidable exposition que sont les Jeux olympiques.

Sur la page d’accueil du site Internet de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), on peut lire « préparer sa check-list pour vendre son établissement ». Cela va si mal que cela ?

Éric Abihssira : Les sujets de tension sont nombreux, avec une inflation élevée, des prix de l’énergie qui ont été multipliés par quatre, six ou huit, des coûts qui deviennent insupportables. Deux tiers des établissements n’ont pas remboursé le prêt garanti par l’État, avec des reports de deux fois douze mois. Et ils se retrouvent aujourd’hui à devoir rembourser intérêts et capital en 48 mois. De quoi mettre à mal la trésorerie des entreprises. Aucune d’entre elles n’a aujourd’hui la capacité d’investir pour améliorer son outil de production. À la veille des Jeux olympiques sur le sol français, il y a le risque de ne pas être au niveau attendu des 15 millions de touristes annoncés.

Olivier Dardé : On a fait des efforts considérables. La pénurie de main-d’œuvre nous oblige à revoir les salaires à la hausse. Mais parfois, on est contraint de supprimer un service le soir, en semaine, et ce même en saison. Sans parler de la crise sociale, qui nous met un petit coup sur la tête aussi, avec les manifestations à répétition.

E. A. : Il y a des entreprises en difficulté, mais pas encore au bord du précipice. Et la vente de leur établissement constitue une possibilité de rebondir et de retirer les fruits de 25 années de travail. La FNAIM a attiré notre attention sur les ventes qui ont d’ailleurs explosé. Quand les dirigeants quittent le bateau avant qu’il ne coule, pour retirer un petit boni… On est dans le registre de la souffrance silencieuse, car ces ventes ne se font pas sur fond de tribunal de commerce.

250 000 postes à pourvoir, voilà ce que l’on pouvait lire en 2022. Qu’en est-il en 2023 ?

E. A. : Le chiffre sera moins élevé en 2023. Mais, pour parvenir à recruter, plusieurs départements ont organisé des forums. Il y a eu la Semaine des métiers du tourisme, entre les 3 et 9 avril dernier. À Nice, pas moins de 1 200 personnes nous ont rendu visite.

Pour doter les équipes, Thierry Marx parle de former plus vite, est-ce un pavé jeté dans la mare de l’Éducation nationale ?

E. A. : Les commis de cuisine, les collaborateurs qui sont à la plonge, les femmes de chambre… ces petites mains sont essentielles dans nos métiers. Quand elles font défaut, c’est compliqué. Thierry Marx l’a vu sur le terrain : proposer aux gens éloignés de l’emploi des formations courtes rentre aussi dans une dynamique. Une démarche qui permet de donner une vision de ce que sont nos métiers. Pas de pavé dans la mare donc, mais un travail d’inventaire est à faire avec l’Éducation nationale sur les standards de formation. La démarche n’est pas encore engagée. Des cursus courts permettent de pallier cette pénurie, sans faire appel à la main-d’œeuvre étrangère.

Qu’en est-il de cette convention, signée en 2022, pour faciliter la venue de jeunes tunisiens ?

E. A. : Pas certain que cela ait été suivi dans les faits. Peu d’entreprises y ont eu recours. Peut-être 3 000. Des chiffres qui restent à confirmer. Et il n’y aura pas de reconduction de la convention en 2023. 19 % de nos salariés sont étrangers. Il est souhaitable de régulariser les titres de séjour sans être contraint d’arrêter l’activité. Avec un délai de six mois, cela pousse peut-être des gens à faire des choses qui ne sont pas à faire.

O. D. : On n’a pas dit que l’on voulait moins de compétences étrangères. On est preneur. Et 3 000 versus 230 000, c’était « peanuts ». Cela avait le mérite d’exister. 3 000 peuvent être totalement absorbés.

Aujourd’hui, on voit arriver des gens d’univers différents, d’activités variées. Ces gens se cherchent. Il faut être en capacité de répondre à leurs demandes, de les former rapidement, en s’appuyant sur les centres de formation d’apprentis (CFA). Mais, il faut des budgets pour cela. Les sommes sont réduites d’année en année. On est passé de 15,6 millions à 9 millions d’euros.

E. A. : Nous sommes profondément inquiets de cette situation. Dans la banque, la grande distribution, les automates prennent de plus en plus de place. Les caisses automatiques sont de plus en plus nombreuses. L’intelligence artificielle va accentuer la robotisation. Il n’y aura jamais de robot pour accueillir un client dans nos métiers. De quoi motiver nos jeunes, susciter des vocations. Ils ne sont pas mis en danger. L’humain sera toujours au cœur de nos métiers.

Comment travailler l’attractivité du secteur ?

E. A. : La convention collective a quinze ans. Dans un monde qui bouge, il faut peut-être envisager un aménagement.

Un aménagement ? Ou une réécriture de la convention collective serait-elle souhaitable ?

E. A. : L’aménagement doit la rendre plus en adéquation avec le monde actuel. Ainsi, les contrats à temps partiel ne peuvent pas aujourd’hui descendre en deçà de 24 heures hebdomadaires.

O. D. : La jeune génération – les 18-25 ans – veut plus de liberté. Elle n’a pas envie de contrat à durée indéterminée (CDI). Elle veut pouvoir travailler peu, quand elle le veut. Il y a des postes pour lesquels cette demande de liberté est intéressante : barman, service de chambre, réception de nuit… On nourrit une réelle réflexion sur ce type de contrat de travail. Avant, quand on ne parlait pas de CDI, les candidats étaient effrayés. Maintenant, c’est l’inverse.

Les chefs d’établissements sont pris en tenaille, entre qualité de vie au travail et niveau d’attentes des collaborateurs, et une activité qui part dans tous les sens, avec des réservations au dernier moment…

E. A. : Un vrai casse-tête. Cela rend l’exercice très difficile. Les ressources humaines ? Une véritable science.

Et le sujet des salaires dans la convention collective ?

E. A. : On est dessus. En raison de la pénurie, payer au Smic et dire « welcome », ce n’est plus un sujet.

O. D. : Ce sont les collaborateurs qui positionnent leurs salaires. On plie. On ne se pose pas de question. On fait une grille avec des minima, mais les montants réels se trouvent au-dessus.

E. A. : En grande difficulté, les entreprises n’ont pas le choix. Il y a une telle surenchère ! Mais, nos minima sociaux ont le mérite d’exister. Et le salaire n’est pas au cœur du sujet. Ce qui l’est ? La qualité de vie au travail. On avance sur le sujet. Le levier est plutôt sur cet axe.

O. D. : L’attractivité de notre métier est mise à mal, avec le travail le dimanche, la coupure en journée. Certains sont heureux d’y trouver un ascenseur social. Mais des collaborateurs ont des envies différentes. Trouver un message commun pour tous est difficile. Des négociations sont en cours, soumises aux organisations syndicales, plus on sera proche de l’inflation… Réponse le 12 mai. Depuis 2009, la pratique s’appuie sur le principe du Smic + 1 % pour le plus bas niveau de l’échelle.

Votre secteur est-il concerné par ces salariés qui cumulent un emploi et un job d’appoint pour faire face aux difficultés économiques actuelles ?

E. A. : J’ai en tête une situation semblable, avec un emploi à raison de cinq jours par semaine, et de trois ou quatre extras en plus pour du service en salle. Cela soulève la question du régime fiscal des heures supplémentaires. Il serait de bon ton de permettre aux entreprises de bénéficier d’une exonération fiscale en la matière…

Le secteur n’est-il pas menacé par les nécessaires politiques de développement durable ? Et la demande, formulée par des experts, de voir limiter les déplacements ?

E. A. : On n’en prend pas le chemin. La clientèle nord-américaine revient en force. On peut imaginer une remontée en puissance de la clientèle asiatique. C’est même l’inverse qui se produit, alors que les prix des billets ont été multipliés par trois… Il y a un problème de cohérence entre ce qui est annoncé et ce qui se fait. Les avions sont pleins à craquer.

O. D. : « Gilets jaunes », actions terroristes, crise sanitaire ou énergétique, l’Ukraine, maintenant l’inflation… Il faut que l’on souffle. Ce climat ? Pas sûr que cela motive nos chefs d’entreprise.

Êtes-vous un secteur sous perfusion ?

O. D. : On ne demande pas de subventions, mais pas trop de charges. Aujourd’hui, on est surtaxé. On n’arrive pas à donner de quoi vivre.

E. A. : Avec pourtant des chiffres d’affaires supérieurs à ceux enregistrés en 2019, nos marges ont fondu. Les salaires ont augmenté de 16 %, quels que soient les échelons. Les coûts matières ne sont pas répercutés. On arrive tout juste à l’équilibre.

Éric Abihssira et Olivier Dardé

Éric Abihssira Vice-président confédéral de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH).

Olivier Dardé Président de l’UMIH de Loire-Atlantique, porte-parole de la commission sociale de l’UMIH.

Auteur

  • Murielle Wolski