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Se reconvertir : un long chemin du rêve à la réalité

À la une | publié le : 01.05.2023 | Gilmar Sequeira Martins

Si les désirs de reconversion sont nombreux, les possibilités de les concrétiser sont déjà plus réduites. Quant à la probabilité que ces souhaits coïncident avec les besoins des secteurs à la recherche de candidats, là encore, il reste un long chemin à parcourir.

Vers quels métiers ou filières se dirigent l’essentiel des salariés en reconversion ? Si le numérique ou l’industrie peuvent faire office de candidats séduisants, ils ne figurent pas sur les premières marches du podium. En réalité, la première destination des salariés qui changent de voie est… l’artisanat. Le constat est sans appel, selon François Dumont, conseiller confédéral CFTC et administrateur de France Compétences : « Parmi les reconversions, vous avez d’abord 300 000 personnes qui se lancent dans des activités artisanales, soit en reprenant une entreprise existante, soit en créant la leur. » Au premier rang des secteurs visés figurent les métiers « verdissants ». « C’est un ensemble dans lequel se retrouvent le secteur de l’éolien mais aussi la filière des panneaux photovoltaïques, et, plus globalement, les énergies renouvelables », explique François Dumont. Viennent ensuite les métiers de la transition écologique, que ce soit les activités liées à la culture aquatique, à la propreté des eaux, les activités liées aux eaux et forêts, à la reforestation ou même à la production de grumes. En quatrième position se trouvent les métiers digitaux, qui sont proches en volume de ceux de l’écologie cités avant. Suivent ensuite, en cinquième et sixième position, l’enseignement et le coaching.

Ces flux traduisent les souhaits spontanés des salariés, qu’ils se trouvent en reconversion soutenue par un organisme public ou de leur propre chef. Pour l’heure, elle ne recoupe guère les besoins des secteurs qui souffrent d’un manque cruel d’effectifs… Le premier secteur le plus demandeur de candidats est en effet celui de la santé, mais les conditions de travail et la faiblesse des rémunérations restent un obstacle majeur malgré le Ségur de la santé. Plus grave encore, les nouveaux arrivants sont rapidement pris d’une envie de… reconversion, déplore François Dumont : « Ce sont souvent des jeunes qui s’orientent vers ce secteur, pour devenir infirmiers ou ambulanciers, mais ils ne restent pas longtemps dans ces postes. Nous constatons que beaucoup d’infirmiers envisagent une reconversion, de sorte que la demande augmente et l’offre n’arrive pas à suivre. » Un mouvement qu’il déplore car ces métiers lui semblent « très porteurs de sens » et qui risque d’avoir des conséquences graves : « Dans quelques années, cette saignée amènera à la fermeture de services dans les hôpitaux, voire à la fermeture de centres hospitaliers, et cela va aussi étendre les déserts médicaux. Les cliniques privées ont bien compris qu’il y avait un problème et elles proposent de meilleures conditions de travail ainsi que de meilleurs salaires. C’est dans cette voie qu’il faut se diriger pour trouver des solutions. »

En Île-de-France, Stéphane Maas, directeur de Transitions Pro Île-de-France, l’une des associations régionales chargées d’accompagner les salariés dans leurs projets de transition professionnels (PTP), a une vision très claire de ces difficultés : « Pour le métier d’aide soignant, en 2022, les difficultés à recruter ont touché 61 % des postes à pourvoir. »

Une plus grande visibilité

Une situation dont souffre l’ensemble du secteur. Pôle emploi a de son côté enregistré 40 000 projets de recrutement dans les métiers de la santé humaine et de l’action sociale en Île-de-France en 2023. Près de sept établissements recruteurs sur 10 (68 %) déclarent avoir des difficultés à trouver des professionnels. Stéphane Maas voit dans ce phénomène un paradoxe : « Ces métiers ont été sur le devant de la scène durant toute la pandémie de Covid-19, qui a mis en exergue leur très grande utilité. Le Ségur de la santé a, par ailleurs, apporté des avancées, que ce soit sur l’emploi, les rémunérations, la révision des conditions de travail ou encore les contenus des fiches de poste. Tous ces facteurs ont donné une plus grande visibilité à ces métiers. » Bien que le secteur éprouve des difficultés de recrutement, il attire malgré tout des candidats en provenance de secteurs, comme le commerce, où ils occupaient des fonctions d’hôte de caisse notamment, ou du nettoyage, où ils étaient agents de propreté. « C’est une population avec un niveau de formation infra III (infra-baccalauréat), qui occupait le plus souvent des postes à temps partiel ou en CDD sur des emplois peu qualifiés, explique Stéphane Maas. En se reconvertissant dans le secteur sanitaire et social, ils peuvent accéder à un emploi plus stable, à temps plein et mieux rémunéré. »

Le dispositif TransCo a d’ailleurs été créé pour assurer de telles mobilités. En 2021, une trentaine de salariés de la société Derichebourg ont ainsi accepté de s’engager vers le métier d’aide soignant grâce à ce mécanisme (voir encadré). Il s’agissait de techniciens de service dont l’emploi était à terme menacé. « Cela revenait pour eux à s’orienter vers un emploi plus qualifié, en CDI et mieux rémunéré, explique Stéphane Maas. Ces personnes disposaient d’un autre atout, à savoir leur expérience de vie. Un certain nombre ont été des proches aidants, ce qui leur donne une certaine familiarité avec les situations qu’ils auront à gérer dans leur nouvelle activité professionnelle. Cette évolution est aussi un vecteur de valorisation de ces expériences et vaut d’une certaine façon reconnaissance de compétences acquises par la pratique. »

En Île-de-France, parmi les secteurs les plus demandeurs de recrues figure en seconde position le transport de marchandises ou des personnes. Un phénomène qui tient à la démographie du secteur mais aussi à la déréglementation qui a permis le développement des sociétés de transports de personnes, comme Flixbus, mais aussi aux politiques de développement de transport collectif des grandes métropoles et des entités régionales. « En 2022, les projets de transition professionnelles (PTP) ciblés sur le transport ont représenté 7 % du total, explique Stéphane Maas. La population concernée dispose d’une qualification inférieure ou égale au niveau baccalauréat. Ces reconversions ne permettent de répondre que partiellement à la demande de ce secteur qui reste fortement en tension. »

Toujours en Île-de-France, beaucoup de salariés se lancent dans des reconversions vers les métiers du numérique, mais aussi les fonctions support (RH, paie, comptabilité…). S’agissant des « métiers du chiffre » dont fait partie la comptabilité, les difficultés de recrutement sont réelles. « Lors des journées Génération Reconversion, l’Ordre des experts-comptables a tenu à être présent, se souvient Stéphane Maas. Ce sont des métiers qui vont sans doute fortement évoluer avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. » Selon le spécialiste, la transformation interviendra rapidement, peut-être avant un horizon de cinq ans : « Il est probable que les opérations les plus simples seront automatisées et le métier lui-même, son centre de gravité, va sans doute être plus orienté vers le conseil. Plus globalement, beaucoup de candidats veulent devenir codeurs, développeurs, data scientists, data manager ou techniciens informatiques, c’est-à-dire les personnes qui sont le premier soutien des salariés dans les entreprises lorsqu’ils rencontrent un problème avec leur matériel informatique. »

En volume, ces demandes de reconversion sont relativement importantes et, en matière de financement, elles représentent entre 15 % et 20 % du total sur l’Île-de-France, soit 1 500 à 2 000 PTP par an. La provenance des candidats a changé. Durant la période de crise sanitaire, ils provenaient majoritairement des secteurs les plus touchés par la baisse d’activité (commerce, activités liées au transport aérien, HCR), mais, aujourd’hui, les secteurs de provenance se sont diversifiés.

Prise de conscience autour de la mobilité

La demande augmente pour ce type de reconversion. En 2022, Transitions Pro Île-de-France a constaté une croissance de 3 %, mais elle devrait être de l’ordre de 15 % en 2023. « Cette progression tient d’abord à une prise de conscience autour de la mobilité, explique Stéphane Maas. De nombreux salariés ont compris que cette dernière va désormais devenir une composante essentielle des trajectoires professionnelles. Durant la pandémie de Covid-19, beaucoup ont compris que leur métier avait peu de sens et leur apportait peu de satisfaction. » C’est le cas en particulier parmi les cadres qui se lancent dans des activités artisanales de proximité. Nombre d’entre eux deviennent cavistes, menuisiers ou paysans-boulangers pour avoir une maîtrise du processus depuis la culture du blé jusqu’à la cuisson du pain. « Il faut aussi noter que les enjeux liés à l’équilibre vie professionnelle/vie privée ont également favorisé les reconversions, ajoute le responsable. C’est le cas notamment dans les secteurs du commerce et du HCR. La recherche de meilleures conditions de travail et de qualité de vie au travail ont eu une influence, peut-être déterminante, sur les choix de reconversion. »

Les reconversions concernent malgré tout des effectifs réduits, considérés à l’échelle de l’ensemble de la population active. « En moyenne, chaque année, 100 000 personnes font une demande de reconversion, mais 20 000 seulement sont acceptés, explique ainsi Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC en charge des parcours professionnels, de l’emploi et de la formation. Parmi ces 20 000 personnes, deux tiers ont moins de 45 ans. » Le syndicaliste rappelle qu’avant 2018, les demandes de reconversion acceptées étaient plus nombreuses, environ 50 000, mais le budget alloué était alors d’un milliard d’euros. Depuis, il a fondu de moitié pour s’établir à 500 millions d’euros aujourd’hui. À cela s’ajoute le taux de personnes qui ne mènent pas leur reconversion jusqu’au bout. Selon Jean-François Foucard, le taux varie de 20 % à 30 % : « Ces personnes préfèrent continuer dans leur ancienne activité. »

Une analyse de la dynamique à l’œuvre dans les reconversions professionnelles exige de prendre en compte au moins deux paramètres essentiels : l’âge des personnes et leur niveau de formation. « Ces deux critères ont une influence sur la nature des reconversions, explique Jean-François Foucard. Dans la grande majorité des métiers en tension, les conditions de travail sont pénibles et ils sont physiquement exigeants. À partir d’un certain âge, ce sont des métiers qui sont moins attirants. Et il y a un troisième critère : la capacité de la personne à mener sa reconversion. »

Le manque de réalisme des candidats

La France serait-elle un pays « adéquationniste », autrement dit : les décideurs en sont-ils à établir une forme d’équivalence entre les tensions de recrutement sur certains métiers et de l’autre des personnes en recherche d’emploi ou en phase de reconversion ? « Le plus souvent, on se dit qu’il faut diriger les seconds vers les premiers », déplore Jean-François Foucard. Or, la réalité est bien plus complexe. La reconversion revêt souvent une dimension personnelle avec deux motivations sous-jacentes, selon le responsable syndical : « D’un côté il y a les personnes qui veulent changer de vie et/ou de lieu de résidence en changeant de métier ; de l’autre celles dont l’activité disparaît ou dont les capacités physiques déclinantes ne leur permettent plus de continuer à exercer leur profession. » Ce dernier cas de figure engage une forme de « reconversion subie », du fait d’un licenciement de l’impossibilité de retrouver un emploi semblable à celui qui était occupé auparavant. Inversement, les reconversions « choisies » sont le plus souvent liées à un projet de vie et surviennent en majorité entre 35 et 45 ans. « Il s’agit la plupart du temps de changer d’environnement, d’augmenter sa rémunération ou d’exercer une activité plus en adéquation avec ses aspirations », détaille Jean-François Foucard.

Le succès ou l’échec des reconversions entre secteurs repose souvent sur la vision que les candidats se sont construite de leur futur environnement. Le désir de changer de vie peut produire une distorsion du réel, déplore François Dumont : « Souvent, il y a une forme d’idéalisation de la profession vers laquelle les personnes souhaitent se reconvertir. Nombre de candidats n’approfondissent pas assez leur futur environnement professionnel avant de se lancer. » Résultat : environ 20 % des personnes qui se lancent dans une transition professionnelle ne la mènent pas à son terme, bien qu’ils aient fait appel à un conseiller en évolution professionnelle.

Une autre difficulté majeure tient à une analyse souvent incomplète de l’environnement économique de la future activité. Là encore, François Dumont constate un manque réalisme chez une partie des candidats : « Beaucoup de personnes ne se projettent pas assez dans le bilan économique de l’activité qu’ils envisagent. Souvent, le motif du refus tient à un business plan déficient ou même absent. Les candidats ne prennent pas assez en compte que le bassin d’emploi envisagé n’était pas assez porteur pour rendre leur projet viable. Cela conduit à un taux de refus des dossiers d’environ 50 %. » C’est aussi le taux de financement des dossiers de reconversion examinés par France Compétences. Un taux qui doit aussi à la situation financière de l’organisme. Créé en 2019 dans le sillage de la loi Avenir professionnel impulsée par Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, cette structure officiellement « chargée de la régulation et du financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage » a été victime de son succès. « Le déficit annuel est d’environ 6 milliards d’euros », selon François Dumont. Quant au déficit cumulé, il dépasse déjà les 13 milliards d’euros.

Une difficulté psychologique

Qu’elle soit délibérée ou subie, la reconversion expose aussi à un changement de vie majeur, mais aussi de positionnement social et psychologique. Apprendre un nouveau métier engage dans un univers inconnu, dont il faudra saisir les nouveaux codes et où il faudra se trouver une place. Pour Jean-François Foucard, cette mutation « amène à être considéré comme un jeune » par les autres collègues, et surtout les potentiels employeurs. « Si vous avez 45 ans, la plupart des gens vont vous attribuer une certaine séniorité alors qu’en réalité vous débutez dans le métier, estime le responsable syndical. Il faut une certaine humilité pour accepter cette nouvelle situation, d’autant que s’engager dans un nouveau métier, c’est être relégué bien souvent en bas de l’échelle de cette nouvelle profession. » De fait, pour ceux qui étaient des référents dans leur ancien métier, occuper un poste à moindre responsabilité peut être difficile. Autant de difficultés peuvent transformer les parcours de reconversion en déceptions.

TransCo : une passerelle encore trop étroite

Créé dans le sillage de la loi Avenir professionnel de 2018, le dispositif Transitions Collectives (TransCo) met en œuvre le projet de transition professionnelle (PTP) qui remplace le congé individuel de formation (CIF) depuis 2019. Ce dispositif permet aux salariés de suivre une formation certifiante pour changer d’activité, voire de secteur. Les salaires sont pris en charge par l’État à hauteur de 100 % pour les personnes issues de TPE-PME, de 75 % s’ils sont issus d’entreprises dont les effectifs sont compris entre 300 et 1 000 salariés de de 40 % pour celles qui comptent plus de 1 000 salariés. Ce sont les associations transitions professionnelles (ATPro) qui mettent en œuvre le dispositif sur le terrain et accompagnent les salariés durant leur reconversion. Critiqué pour sa complexité, le dispositif a permis à 33 000 personnes d’achever un PTP en 2020 et 2021.

Un filet trop mince pour avoir encore un impact sur les besoins de recrutement de secteurs comme l’industrie, indique Stéphanie Lagalle-Baranès, la directrice : « S’agissant de TransCo, le sourcing vers l’industrie de publics en reconversion n’a pas encore fait ses preuves. Il faut rappeler qu’il y a toujours un temps d’appropriation, ce qui retarde le moment où il produira son plein effet. Des expérimentations déjà menées fonctionnent dans le commerce où des hôtes de caisse ont été accompagnés pour des reconversions vers des emplois en Ehpad, mais il faut sortir de l’échelle expérimentale. »

L’Opco2i nourrit quelques regrets puisque ses représentants étaient en discussion avec le ministère du Travail sur la relance de l’Industrie post-crise sanitaire lorsque le dispositif TransCo a été élaboré. « Nous avions l’expérience de l’accompagnement de reconversions entre filières industrielles, notamment avec l’initiative « Pass Industrie », entre des activités en déclin ou en forte transformation, et d’autres en développement sur un même territoire, indique Stéphanie Lagalle-Baranès. La reconversion s’accompagne en proximité, à l’échelle d’un bassin d’emploi, par la coordination des différents intervenants de l’écosystème emploi-formation. Avec son périmètre d’intervention inter-industriel et son fort ancrage territorial, en proximité des entreprises, Opco2i était prêt à l’animer, mais n’a finalement pu intervenir que sur l’accompagnement des reconversions au sein d’une même entreprise. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins