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Après le burn-out, comment gérer le retour au travail ?

Dossier | publié le : 01.03.2023 | Lucie Tanneau

Au sortir de la crise sanitaire, 2,5 millions de salariés français se disaient en épuisement professionnel. Certains parmi eux ont reçu un arrêt de travail, avant de revenir dans leur entreprise, ou de changer de voie, pour l’immense majorité. La réintégration après un burn-out est un angle mort des politiques RH.

Dans le cas de burn-out, la reprise du travail peut entraîner une rechute. Pourtant, elle est indispensable à la rémission. « Le burn-out est le signe d’un dysfonctionnement collectif », rappelle Adrien Chignard, psychologue du travail, qui vient de sortir un livre sur le sujet1. « Il y a très rarement de rémission sans arrêt de travail et suivi thérapeutique, mais, dans le même temps, la restauration passe par la confrontation à une situation de travail puisque le travail fait partie de la santé mentale », expose-t-il. Avec deux intérêts du côté des employeurs : retrouver le salarié, et préserver le collectif. « Le burn-out est la conséquence d’une rencontre entre un individu et un environnement, les causes sont multifactorielles », rappelle Vanessa Remignon, ancienne responsable RH devenue coach spécialisée en reconversion professionnelle. « Une entreprise a besoin de talents qui soient en capacité de travailler, donc il est nécessaire qu’elle s’intéresse à la santé de ses salariés, et la santé mentale en fait partie », complète-elle. « Dans le cas d’un salarié qui reviendrait après un burn-out, les parties doivent questionner la volonté et la possibilité de retour », conseille-t-elle.

Aujourd’hui, même sans chiffres précis sur le sujet, les témoignages concordent : l’immense majorité des salariés quittent leur emploi après un burn-out. En cause : « l’étiquette que l’on colle à ces salariés, jugés faibles ou peu résilients », selon Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC en charge des parcours professionnels, de l’emploi et de la formation, lui-même passé par un diagnostic de burn-out il y a quelques années. « Il est aussi excessivement rare que le collectif fasse une introspection, donc le salarié reviendrait dans les mêmes conditions : un retour forcément extrêmement difficile », regrette-il.

Après un arrêt-maladie, « les deux parties doivent se poser la question : comment faire pour que le salarié redevienne performant », expose Vanessa Remignon. « Le salarié doit reconnaître sa part de responsabilité, mais l’entreprise également : il faut rééquilibrer les choses, insiste-elle. On ne peut pas reprendre comme si de rien n’était, faire un reset sur ce qui s’est passé : il faut mener une réflexion pour éviter les risques de rechute qui sont très nombreux. » La réflexion peut pousser à une rupture conventionnelle, ou à des aménagements des conditions de travail. Comment faire ?

La solitude comme détonateur

« La première chose est de vérifier que le salarié est suivi », liste Vanessa Remignon. Le responsable RH, manager ou médecin du travail peut se charger de cette vérification. Ensuite, Astrid Le Fur conseille une liste d’étapes indispensables à un retour. Autrice du livre « Du burn-out au Born out : les 7 étapes vers la renaissance » (Vuibert, septembre 2022), cette ancienne ingénieure en industrie agroalimentaire est elle-même passée par ces étapes, après un burn-out et une rechute… avant de choisir de quitter son entreprise pour devenir coach. « J’ai demandé un entretien de pré-reprise. Dans mon cas, la démarche venait de moi, mais je conseille aux entreprises de le faire. Le but : organiser un retour « en sécurité et de facon pérenne ». « L’entretien avec le médecin du travail, après un arrêt longue durée, est obligatoire. Il faudrait le doubler avec un entretien avec le manager », détaille-t-elle. Même si le mot « burn-out » n’est pas posé, un arrêt longue durée devrait, selon elle, enclencher une réflexion pour permettre le retour dans de bonnes conditions, comme cela existe après un congé maternité. « Après une grippe, le salarié revient dans les mêmes conditions, mais après un burn-out, il s’agit presque d’une nouvelle personne. L’entreprise doit se poser la question de l’accueillir, ou plutôt le ré-accueillir au mieux », illustre-elle. Et ce, « avec les spécificités d’une personne en convalescence, car c’est bien de cela qu’il s’agit : il faut considérer que la personne est différente et a désormais des besoins nouveaux et spécifiques », précise-t-elle. Astrid Le Fur, également autrice du blog Partage ton burn-out, ajoute : « J’ai aussi expliqué les règles que je m’étais fixée : ne plus emmener mon ordinateur à la maison et faire davantage de pauses », poursuit-elle alors qu’elle a repris « contre l’avis de son médecin ». Enfin, l’ingénieure a demandé « des aménagements horaires afin de continuer son suivi thérapeutique ». Ses besoins d’absences ont été entendus. « Préparer cet entretien est très important », répète-t-elle. « Le suivi par la médecine du travail est également important, mais, là encore, il faudrait le doubler avec de points réguliers, fixés dès le moment du retour, pour voir si ce qui a été pensé lors de l’entretien fonctionne et est suivi d’effets », conseille-t-elle.

Ré-acceuilir le salarié

Pour Adrien Chignard, cet entretien est aussi souhaitable afin de dire clairement à la personne : « Ce n’est pas ta faute ! » « Aujourd’hui, il y a encore des entreprises « old school » pour qui le burn-out est un signe de fatigue et qui ne reconnaissent pas le lien avec le travail. Dans ces entreprises-là, mon seul conseil et de partir. Mais dans d’autres organisations, il est envisageable désormais, d’imaginer un retour : la fonction RH doit créer un climat de sécurité psychologique pour le rendre possible, encourage-t-il. Il faut comprendre ce qui se passe, les conditions de stress et revoir le fonctionnement, la charge de travail. Cela permet de dire à la personne qui revient : « si tu es tombé, c’est parce que le plancher était pourri ! », illustre-t-il, avant de déterminer, lui aussi, quatre étapes nécessaires. D’abord, cette reconnaissance auprès du salarié que l’on a compris son mal-être et que l’on a changé les choses ; préparer également son équipe et ses collègues ; organiser le travail de façon acceptable dans la durée ; enfin, fixer des points d’échange réguliers après la reprise. « Si l’entreprise devient un soutien, cela modère les symptômes et limite les risques de récidive, car le pire est l’isolement », clarifie le psychologue.

Martine2 peut en témoigner. C’est en partie cet isolement qui l’a fait tomber dans un burn-out profond. Secrétaire de mairie dans une petite commune, elle assure seule l’administration courante, les payes des agents, la gestion des gîtes communaux… et bien d’autres missions. Après dix-neuf ans et des démissions de maires en série, elle est au centre des tensions avec les habitants. Elle décide alors de changer de poste et se fait embaucher dans une commune plus grande. Avant même de commencer son nouvel emploi, elle s’effondre. « J’ai pris des médicaments et mon mari m’a retrouvée comme ça », raconte-elle. Cette tentative de suicide la conduit à l’hôpital psychiatrique. « J’avais mal au crâne à force de réfléchir. Je voulais un bouton off », résume-t-elle. Elle décide néanmoins de reprendre le travail, et malgré son suivi psychologique, perd 15 kg et ne dort plus. Après un an et demi elle sent qu’elle « replonge » et demande à être internée. Après trois semaines d’hôpital, elle restera arrêtée deux ans. « J’étais incapable de m’imaginer retourner à mon bureau », raconte-elle. Elle pense alors à changer de métier « sans savoir quoi faire d’autre », regrette-elle. Suivie par le centre d’emploi de la Fonction publique, elle décide de quitter la « Territoriale » pour postuler à un poste dans la fonction publique d’État. Depuis un an, elle a repris le travail au milieu de collègues. « Je revis ! Je ne me sens même plus fragile », souffle-t-elle. En entretien, Martine a « avoué » les raisons de ce « blanc » sur son CV, qu’elle n’avait pas expliqué dans sa lettre de motivation. « Quand j’ai dis que je sortais d’un burn-out, j’ai senti un temps d’arrêt des recruteurs. J’ai expliqué les raisons, l’isolement, le fait que je me mettais trop la pression, que j’étais seule… », raconte-elle. « J’ai recroisé la chargée de recrutement plus tard, et elle m’a dit qu’elle m’avait trouvé forte d’en parler », poursuit-elle. Ses nouveaux collègues ne connaissent en revanche pas son histoire.

Réguler l’engagement des collaborateurs

Certaines entreprises proposent en effet des services qui peuvent aider les salariés, comme des conciergeries, aides à la garde d’enfants, cours de sport, de méditation, de sophrologie ou de yoga, aménagements des conditions de travail…

Rares sont les organisations qui disent clairement que ces béquilles peuvent aider les personnes en convalescence suite à des burn-out. Pourtant, pour Jean-François Foucard, sortir cette maladie du tabou aiderait sûrement encore davantage les salariés. Il milite depuis vingt ans pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Pour le syndicaliste, « il faut parler vrai ». « Il faut que les entreprises arrêtent de faire miroiter des promotions ou des augmentations tous les ans. Il faut réguler l’engagement de ses collaborateurs car c’est dans les cas de sur-engagement que les débordements ont des impacts forts », décrit-il, en connaissance de cause. C’est au moment où il a compris que ses six ans de travail acharné ne lui offriraient pas la promotion promise qu’il s’est effondré, avec des pertes de mémoire invalidantes. « Les exigences trop fortes peuvent être supportées grâce au sens que l’on met dans son travail, mais quand la perte de sens intervient, la chute est brutale », insiste-il. « L’entreprise, via les RH et les managers, a un rôle de clarification à opérer : sur le volume de travail, sur les critères qui mènent les salariés à s’engager, afin de vérifier que les charges de travail et les objectifs ne sont pas délirants et pour s’assurer que l’on ne fait pas miroiter des choses au collaborateur », poursuit-il. « Il faudrait une personne, en dehors de la ligne hiérarchique, qui soit soit chargée de cette analyse », imagine-t-il, en dehors de cas d’alerte ou d’enquête interne. « Ce n’est pas juste pour faciliter le retour d’une personne que c’est nécessaire, mais pour amener des solutions à l’organisation toute entière », analyse Jean-François Foucard. « Aujourd’hui, on assiste plutôt à des levées de boucliers en se disant que cela va aboutir à une mise en cause de l’organisation de travail ou du manager… », regrette-t-il.

« Il ne faut surtout pas tomber dans l’excès inverse de créer des conditions de retour spécifiques à une personne, qui entraineraient une organisation intenable pour le reste de l’équipe », renchérit Adrien Chignard. « L’objectif est de mettre en place des conditions de travail saines pour l’ensemble des équipes et pour l’entreprise », rappelle-t-il. Une conclusion évidente, mais pas si courante après des cas de burn-out en interne.

(1) Burn-out, Des histoires vécues pour le prévenir, l’éviter, s’en sortir, Adrien Chignard, Edition Mardaga, septembre 2022.

(2) Le prénom a été changé.

Magistrats : profession condamnée au burn-out ?

Auteur

  • Lucie Tanneau