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La CFE-CGC tourne la page du « gentil réformisme »

Décodages | Syndicat | publié le : 01.02.2023 | Benjamin d’Alguerre

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La CFE-CGC tourne la page du « gentil réformisme »

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Le syndicat des cadres a choisi de hausser le ton face au patronat et au Gouvernement. Et cette technique paye. La « troisième voie » entre réformisme et contestation impulsée par son président, François Hommeril, lui permet de toucher les préoccupations d’une population cadre de plus en plus paupérisée.

Il y a des congrès syndicaux plus confortables que d’autres. Autant celui de la CGT qui se tiendra du 27 au 31 mars prochain à Clermont-Ferrand risque de virer à la foire d’empoigne entre partisans de Marie Buisson – la dauphine désignée de Philippe Martinez pour la direction de la centrale de Montreuil – et les tenants d’une ligne plus radicale portée par le patron de l’UD des Bouches-du-Rhône Olivier Mateu, autant celui de la CFE-CGC, organisé les 22 et 23 mars à Tours, a toutes les chances de se jouer sur du velours. Candidat unique à sa propre succession pour un troisième (et dernier) mandat à la présidence du syndicat des cadres, François Hommeril devrait se voir réélu dans un fauteuil après avoir obtenu le soutien des grandes fédérations faiseuses de rois que sont la métallurgie, la banque, les assurances ou les industries électriques et gazières. Un quasi-sacre annoncé pour cet ingénieur chimiste de 62 ans qui, dès sa première élection en 2016 à la tête de la centrale de la rue du Rocher, s’était attaqué aux ordonnances travail et y avait gagné ses premiers galons de patron de confédération offensif.

La seule centrale qui gagne des voix.

Un temps présentée comme une impasse, la « troisième voie », à mi-chemin entre contestation et réformiste, dont François Hommeril a fait sa marque de fabrique, semble fonctionner à plein, comme en témoignent les bons résultats de la confédération aux élections professionnelles. « La mesure de la représentativité montre les progrès de la CFE-CGC en matière d’audience électorale, puisqu’elle est passée de 559 000 voix en 2017 à 598 000 en 2021 dans le secteur privé. C’est d’autant plus remarquable que les autres syndicats représentatifs au niveau national ont perdu des voix et que la participation a reculé », observe le politologue et spécialiste des syndicats Dominique Andolfatto. À la BNP, à la Société Générale, au Crédit Agricole, chez Renault, chez Stellantis, chez Air Liquide ou chez Solvay, la CFE-CGC s’est imposée comme la première organisation syndicale. Dans les IEG, elle s’est hissée sur la deuxième marche du podium, et continue à progresser. À l’Afpa, elle est passée en quelques années de syndicat mort-vivant à première organisation représentative. Même dans la fonction publique – pourtant l’un de ses talons d’Achille – elle marque des points. Dans la fonction publique d’État, son dernier score (7,1 %) lui permet de doubler Solidaires. Dans l’hospitalière, elle demeure marginale faute de candidats à placer sur ses listes, mais s’impose dans quelques établissements de santé. « Les chiffres chez les fonctionnaires sont bons, mais ils sont à relativiser. Les résultats positifs sont surtout la conséquence des succès d’Alliance dans la police », tempère un patron de fédération.

« On revendique un dialogue social rugueux ».

N’empêche. Dans les urnes, la posture pugnace de la CFE-CGC paye. Est-elle imputable au seul François Hommeril ? Le principal intéressé le nie. « La progression de la CFE-CGC n’a pas commencé quand je suis arrivé. Elle était déjà enclenchée et je n’ai fait qu’accompagner le mouvement », relativise-t-il. Il est vrai qu’à l’époque de sa précédesseure, Carole Couvert, le syndicat des cadres avait sorti les griffes à plusieurs reprises. En 2014, la centrale avait déjà refusé de signer l’accord sur l’indemnisation des chômeurs qu’elle jugeait trop défavorable pour les cadres et, dans la foulée, retirait son paraphe de la position commune des partenaires sociaux sur les contreparties aux allégements de charges que le gouvernement Hollande avait accordé au patronat. En 2015, l’opposition du syndicat à la loi travail avait valu un échange de textos furibards entre Carole Couvert et Pierre Gattaz, alors président du Medef, où le second sommait la première de revenir dans le rang sous peine de la priver du soutien de l’organisation patronale dans la négociation sur le statut de l’encadrement… Depuis, les sujets d’accrochage avec le Gouvernement et les organisations d’employeurs se sont multipliés. Ordonnances travail de 2017, réformes successives de l’assurance-chômage de 2019 et 2021, participation au Conseil national de la refondation voulu par Emmanuel Macron, réforme des retraites… Autant de dossiers sur lesquels la CFE-CGC a refusé de se ranger aux côtés de l’exécutif. « L’époque où la CFE-CGC pratiquait une forme de covoiturage social avec le patronat et le Gouvernement en accompagnant systématiquement les réformes est révolue », résume Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale à l’économie. Pour autant, le « niet » systématique n’est pas non plus devenu la politique de la maison. En témoignent les accords sur le télétravail et la santé au travail de 2021, négociés âprement mais finalement paraphés, de même que la participation de la centrale à l’agenda autonome des partenaires sociaux proposé par le Medef, même si elle en a finalement renié le volet sur la formation professionnelle. « Nous revendiquons un dialogue social rugueux où l’on frictionne nos arguments contre ceux de la partie adverse. Cela ne veut pas dire qu’on ne signera pas si la proposition finale nous paraît équilibrée, mais on challenge la team patronale autant que l’on peut sur les aspects techniques et juridiques ! » détaille Gabriel Artero, président de la puissante fédération de la métallurgie. Preuve que l’organisation sait tout de même transiger : les six années de renégociation de la convention collective de la métallurgie, bouclée fin 2021 et signée le 7 février 2022 l’ont contraint à s’attaquer à des dogmes, comme l’abandon d’une convention spécifique aux ingénieurs et cadres de la branche, ou la fin de la référence à la convention de 1947 en matière de protection sociale. Tout cela pour obtenir des dispositions plus favorables pour les salariés et acceptables par le maximum d’organisations syndicales autour de la table. « Nous avons dû le démontrer par les chiffres et convaincre que ces “totems” pouvaient être déboulonnés. François Hommeril nous a suivis, même si du côté de la direction confédérale, cela n’allait pas de soi », explicite le métallo. Notamment chez les gardiens du temple de son caractère catégoriel.

« Gauchisation » ?

Car le durcissement de ton n’a pas que des fans, même rue du Rocher. Le style Hommeril, fait de coups de gueule occasionnels et de punchlines ravageuses, ne fait pas que des émules. Les charges contre l’ultralibéralisme et la définanciarisation de l’économie de cet ancien ingénieur chimiste de chez Péchiney (aujourd’hui Rio Tinto) qui a vu ce groupe vendu à la découpe au fil du temps non plus. Dans la banque et les assurances, où le dialogue social est plus apaisé, on redoute en creux la « gauchisation » d’un président qui n’hésite pas à proclamer « qu’il n’est pas le gentil réformiste dans la poche du pouvoir ». « Dans notre secteur, la CGT a disparu et nous sommes devenus la première organisation syndicale parce que nous sommes justement un syndicat réformiste et que nous l’assumons », indique Frédéric Guyonnet, président du syndicat national de la banque (SNB) CFE-CGC, dont trente-neuf listes sur quarante-quatre viennent de se classer premières sur le podium des organisations représentatives aux dernières élections professionnelles au détriment de la CFDT-Banques. « Ce résultat, nous l’avons obtenu parce que nous sommes toujours dans le dialogue sans faire de l’opposition systématique. Les directions jouent franc-jeu avec nous parce qu’elles savent que nous pouvons débloquer les situations problématiques », ajoute-t-il. D’ailleurs, sur certains sujets, le consensus interne est difficile à trouver au niveau national. Les retraites, par exemple. « Pour certains cadres, la question du départ à la retraite à 64 ou 65 ans – qui sera leur lot quoi qu’il arrive – fait moins débat que l’inquiétude pour l’équilibre du régime », glisse un ponte confédéral. En 2019, d’ailleurs, la question de soutenir ou de s’opposer à la réforme portée par le Gouvernement Philippe avait suscité de nombreux débats internes avant la construction d’une position confédérale unanime. « L’avis très critique du Conseil d’État sur ce projet a d’ailleurs conforté le bien-fondé de notre opposition à cette réforme », se souvient Raphaëlle Bertholon.

L’après-Hommeril en débat.

Côté cour, une CFE-CGC qui tape du poing sur la table et n’hésite pas à joindre ses drapeaux à ceux des organisations contestataires lors des manifestations lorsque les circonstances l’exigent, comme sur le dossier des retraites. Côté jardin, un syndicat toujours traversé par une envie de respectabilité. À l’intérieur, on prône seulement le pragmatisme. « L’évolution de la société appelle à de nouveaux types de syndicalismes dans lesquels la CFE-CGC s’inscrit depuis longtemps. L’opposition contestation-réformisme est un piège. Elle nous oblige à prendre des positions qui se définissent par rapport à ce que veut le pouvoir. Pour ceci, contre cela. Les gens n’en peuvent plus de ce tout ou rien. La radicalisation des gouvernements et du patronat vers plus d’ultralibéralisme ouvre un espace à des organisations réellement indépendantes, comme la nôtre, capables de produire des analyses argumentées et de prendre des positions basées sur des faits ! » souligne François Hommeril. « C’est un positionnement qui peut séduire de jeunes cadres à la recherche de solutions concrètes et qui peuvent trouver la CGT trop dogmatique et la CFDT trop intello », confirme Dominique Andolfatto. Sans compter qu’avec la précarisation croissante des métiers de l’encadrement et leur exposition à de nouveaux risques psychosociaux comme le burn-out, de plus en plus de salariés au statut cadre ou équivalent prennent conscience de la fragilité de leur situation. « Les cadres ressentent de plus en plus le besoin d’exprimer leur mécontentement, mais ne se retrouvent pas forcément dans les positions historiquement plus ouvrières des autres centrales. En outre, le statut catégoriel de la CFE-CGC lui évite le piège de la “gilet-jaunisation” des autres confédérations. Oui, la CFE-CGC revendique une certaine forme de corporatiste, mais les organisations opposées au corporatisme se tirent une balle dans le pied », poursuit le politologue.

Le congrès de Tours devrait cependant être l’occasion de reposer certains fondamentaux sur la table. Poursuite de la troisième voie ou retour au calme ? « Cela pourrait être le congrès du recentrage qui prépare l’avenir », veut croire Frédéric Guyonnet. Une chose est sûre, cependant, l’équipe dirigeante devrait changer en profondeur. Gérard Mardiné, secrétaire général de la confédération, devrait laisser sa place à Jean-Philippe Tanghe, l’actuel trésorier national, qui lui-même passera les livres de comptes à une militante venue du monde des mutuelles. D’autres figures du mouvement sont sur le départ, comme Raphaëlle Bertholon ou Gilles Lécuelle, secrétaire national chargé du dialogue social, de la représentativité et de la restructuration des branches. La nouvelle direction qui sortira le 23 mars devrait se voir rajeunie, féminisée presque à parité (sept secrétaires nationaux hommes, cinq femmes) et renforcée d’un nouveau secrétariat national consacré au handicap. Des nouveaux venus parmi lesquels se trouvera peut-être le ou la candidat(e) à la présidence de l’organisation en 2026. Car l’après-Hommeril est déjà en discussion au sein du syndicat des cadres…

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre