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Décodages

Le Canada, pays de l’allocation-chômage fluctuante

Décodages | Étranger | publié le : 01.01.2023 | Ludovic Hirtzmann

C’est le pays qui a inspiré la réforme de l’assurance-chômage française. Moins généreuse que dans l’Hexagone, l’indemnisation canadienne des demandeurs d’emploi est calculée selon le taux de chômage de chaque région.

« Au Québec, le taux de chômage s’est établi à un nouveau creux record de 3,8 % en novembre », a souligné début décembre le magazine économique « Les Affaires ». Mieux que la moyenne nationale canadienne de 5,1 % et surtout que la province voisine de l’Ontario, l’éternelle rivale du Québec, qui affichait à la même période un taux de chômage de 5,5 %. Si l’ouest du Canada compte peu de chômeurs, les petites provinces de l’Atlantique, qui représentent une partie infime de la population du pays, affichent, elles, des chiffres plus élevés. Pour ces régions, comme Terre-Neuve ou la Nouvelle-Écosse, où la pêche et le travail saisonnier représentent l’essentiel de l’activité, le recours aux aides gouvernementales est souvent la seule solution. Au Canada, l’assurance-chômage se nomme assurance-emploi. Si cette appellation se veut plus motivante, le système est beaucoup moins généreux qu’en France.

Indemnités plafonnées et modulables.

Particularité originale un temps envisagée lors de réforme du chômage qui entrera en vigueur en France le 1er février, le temps de travail nécessaire au Canada pour avoir droit à des allocations varie en fonction du taux de chômage de chaque province et même de chaque grande ville. Il y a ainsi 62 découpages régionaux. Si le taux de chômage est peu élevé, les allocations seront revues à la baisse par rapport aux zones en difficulté. Les prestations versées sont aussi plafonnées, à 638 dollars canadiens (446 euros) par semaine, pour ce qui est des revenus les plus élevés. Soit un maximum de 1 911 euros par mois pour un niveau de vie comparable ou légèrement supérieur à la France. Un chômeur touche 55 % de son salaire plafonné. Pour percevoir des prestations il faut, selon la région, avoir travaillé entre 420 heures et 700 heures. Pour les Terre-Neuviens, dans la ville de Gander, où le taux de chômage atteint 15 %, 420 heures suffisent pour toucher des allocations pendant une période de 45 semaines. Quant à la ville de Québec, qui a battu en novembre tous les records avec un taux de 2,7 %, il faut avoir travaillé un minimum de 700 heures pour recevoir des prestations, précise l’organisme fédéral Service Vie, qui gère les demandes d’assurance-emploi. L’indemnisation ne dure alors que 36 semaines. Au fil des décennies, le système canadien d’assurance-emploi est devenu moins généreux. Professeur d’économie à l’Université du Québec, Pierre Fortin confie : « Le système canadien d’assurance-chômage des années 1980 ne demandait que 10 semaines de travail dans une région à chômage élevé et donnait accès à 42 semaines de prestations d’un montant équivalant à 60 % du salaire. » Très vite les choses ont changé.

Mobilité interprovinciale assez naturelle.

Le système d’allocations-chômage des années 1980 « faisait augmenter le taux de chômage canadien d’environ 1,5 % », assure Pierre Fortin. Ottawa a, lors d’une première réforme en 1996, durci les conditions d’indemnisation. Au fil des ans et des réformes, le système a perdu une grande partie de sa fonction indemnisatrice. Avant le début des années 1990, 84 % des chômeurs canadiens admissibles touchaient des prestations chômage. En 2019, seuls 37 % des chômeurs touchaient ces indemnités. Pour obliger ces derniers à bouger dans les provinces où il y a une pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a durci en 2013 les conditions de maintien à l’assurance-emploi. Les travailleurs au chômage devaient obligatoirement accepter un travail qui n’avait rien à voir avec leurs qualifications, moins bien rémunéré (jusqu’à 70 % inférieur à leur salaire antérieur), mais aussi situé plus loin de leur lieu de résidence. Cette obligation de mobilité interprovinciale a été annulée par l’actuel gouvernement libéral de Justin Trudeau. Une réforme globalement appréciée, d’autant que les Canadiens se déplacent naturellement d’une province à l’autre, parfois à des milliers de kilomètres de chez eux, le plus souvent sans incitation, pour trouver ce que les Québécois appellent « de l’ouvrage ». Les faibles prestations d’assurance-emploi « motivent les gens à chercher un travail » selon David Gray, professeur de sciences économiques à l’université d’Ottawa.

Peu de remise en cause du système.

Malgré ses dérives, le système canadien d’assurance-emploi n’est pas vraiment remis en cause. Si ce n’est par les associations de chômeurs qui le fustigent allègrement. Le porte-parole du Mouvement Action Chômage de Montréal, Martin Richard, dénonce « un système profondément réactionnaire et conçu en fonction des intérêts des patrons. Le but étant d’exclure le plus de gens possible ». Et son homologue d’une autre organisation québécoise de chômeurs, le Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi, Benoît Lapointe, ajoute : « Le fait qu’il y ait des emplois disponibles dans votre région ne signifie pas que vous avez les qualifications pour les occuper. Nous pensons que c’est une erreur d’avoir des critères d’indemnisation basés sur le taux de chômage régional et nous militons pour la fin de ces critères. » Pourtant, malgré ces coups de gueule des organismes de défense des chômeurs, bien peu de monde s’intéresse à une amélioration de la situation des sans-emploi. La réforme de 2013 a bien donné lieu pendant plusieurs semaines à des manifestations dans tout le pays. Vite oubliées. Une des raisons est la faible implication des partis politiques, mais aussi des mouvements syndicaux. Les syndicats canadiens sont puissants. Les cotisations syndicales sont perçues à la source sur les feuilles de paie de tous les travailleurs d’une entreprise qui a choisie d’être syndiquée. Près de 40 % des travailleurs québécois sont syndiqués. Mais les centrales syndicales sont ultra-corporatistes et ne défendent que leurs cotisants. Surtout, elles ne sont nullement politisées et portent peu des causes sociales dans l’espace public au-delà de vagues campagnes de communication. Chacun pour soi. L’autre raison a trait à la situation du marché du travail actuel. David Gray l’assure : « On a le plein-emploi. Il y a d’autres priorités et puis le gouvernement Trudeau a beaucoup dépensé pendant la pandémie avec le « Whatever It Takes » (le « quoi qu’il en coûte »). » Gilles Grenier, professeur à l’université d’Ottawa, va dans le même sens : « Le système d’assurance-emploi ne fait pas les manchettes des journaux ces temps-ci […] le système actuel semble suffire. Dans les années 1990, quand on avait réformé le régime pour le rendre moins généreux, il y avait eu des mouvements d’opposition. » Le Gouvernement a évoqué ces dernières années une possible réforme du chômage, sans échéancier ni éléments constitutifs précis. Tout au plus cette dernière devrait-elle prendre en compte les nouvelles formes de travail, notamment le temps partiel.

Société du travail.

Le contexte du travail au Canada est très différent de la France. Premier élément de différence, le terme de « petits jobs » n’existe pas au Canada. Il y a des emplois, sans considérations condescendantes. Le regard de l’autre sur le travail que peut effectuer telle ou telle personne n’existe pas. Un éboueur sera aussi bien vu qu’un ingénieur et les deux se parleront. Les Canadiens ne font jamais la fine bouche pour trouver un emploi. Au début de la pandémie de Covid-19, les compagnies aériennes locales ont très vite licencié l’essentiel de leurs personnels. Des anciens pilotes d’Air Canada ont alors travaillé dans le bâtiment ou comme chauffeurs de bus. Le travail est quelque chose de naturel, même chez les plus jeunes, qui travaillent souvent dès l’âge de 13 ou 14 ans les week-ends dans des dépanneurs (épiceries). « En Amérique du Nord, il y a une pression morale sur les jeunes à travailler le plus tôt possible. Les parents tirent une fierté du travail de leurs enfants puisque le travail est valorisé socialement. L’Amérique du Nord est par excellence une société de travail », confie le professeur Mircea Vultur, spécialiste des questions de travail à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) de Québec. Et sa collègue Maria Eugenia Longo, également professeur à l’INRS d’ajouter : « La France, par sa culture académique, a tendance à valoriser symboliquement et dans la pratique davantage les parcours linéaires de formation et ensuite le travail. Tandis qu’au Québec et au Canada, le travail des jeunes est très valorisé et constitue une source de développement, d’autonomie, et aussi des économies et du futur financement des études. » Dans cette société canadienne « du travail », l’approche liée à l’embauche est aussi différente de la France. Les recruteurs, qui sont plus souvent le futur supérieur hiérarchique qu’un service RH, jugent un candidat en fonction de critères objectifs, ses compétences, son expérience et non de son âge. David Gray conclut en riant : « Un homme de plus de 50 ans comme moi n’aurait aucune chance en France. Il y a une différence de culture du travail entre les deux pays. Si à 50 ans c’est la voie de garage dans l’Hexagone, ce n’est pas le cas au Canada. »

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann