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« Il y a tout intérêt à susciter à nouveau une envie d’adhésion »

À la une | publié le : 01.01.2023 | Benjamin d’Alguerre

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« Il y a tout intérêt à susciter à nouveau une envie d’adhésion »

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L’Institut Montaigne revient à la charge. Convaincu que le syndicalisme de services est l’un des leviers à activer pour recréer de l’adhésion à une époque où le militantisme est au plus bas, le think tank propose d’expérimenter une mesure visant à rendre le bénéfice des accords limité aux seuls adhérents des syndicats signataires. Rencontre avec Franck Morel, senior fellow de l’Institut.

Ce n’est pas la première fois que vous abordez le syndicalisme de services dans vos travaux pour l’Institut Montaigne. Déjà, en 2016, dans l’ouvrage Un autre droit du travail est possible (Fayard), co-écrit avec Bertrand Martinot, vous recommandiez une expérimentation en ce sens et vous avez récidivé dans votre note de 2020 Dix-huit idées pour le prochain quinquennat. Pourquoi ?

Franck Morel : Il faut croire que j’ai de la suite dans les idées ! Mais surtout, je pars du constat que le poids de la négociation dans le champ social n’a fait que s’accentuer ces quarante dernières années et je pense que cette tendance va encore s’accroître à l’avenir. Durant les Trente Glorieuses, la négociation collective visait essentiellement le partage des fruits de la croissance, mais à partir des chocs pétroliers des années 1970 et l’installation durable de la crise, elle a changé de nature pour devenir de plus en plus une négociation d’équilibre. Il s’agissait alors moins de répartir la croissance de la richesse créée que de trouver des compromis. Dans le même temps, la législation sociale a elle aussi évolué pour accompagner cette mutation, depuis les lois Auroux de 1982 qui ont autorisé la conclusion d’accords dérogatoires jusqu’aux ordonnances Travail de 2017, en passant par l’introduction de la supplétivité des accords de branches par rapport aux accords d’entreprises en 2008. Cette évolution est allée dans le bon sens, mais s’est alors posé un autre problème : alors que la négociation collective prenait de plus en plus de place dans la création de notre corpus social, le poids des syndicats chargés de la faire vivre s’amenuisait de plus en plus dans la société. La loi sur la représentativité de 2008 a permis de leur offrir une nouvelle légitimité, mais elle a aussi révélé leur faiblesse en termes d’effectifs. Aujourd’hui, le taux de syndicalisation, public et privé confondus, s’élève à 10 %. Le plus faible des pays occidentaux. Et encore le poids du syndicalisme dans la fonction publique permet-il de cacher – un peu – l’écroulement de l’adhésion syndicale dans le secteur privé. En résumé, nous avons donc un espace de négociation collective de plus en plus étendu… mais presque plus personne pour le faire vivre ! Comme l’ensemble des salariés bénéficient des conventions collectives et des accords signés par les organisations syndicales, leur intérêt pour l’adhésion s’émousse. Ils n’y voient pas d’intérêt. C’est un cercle vicieux qu’il faut transformer en cercle vertueux. Il y a tout intérêt à susciter à nouveau une envie d’adhésion. à cette fin, j’imagine deux solutions. La première, c’est la valorisation de l’expérience syndicale : les parcours militants et l’engagement doivent pouvoir être mis en valeur dans une carrière professionnelle. La seconde, c’est le syndicalisme de services qui redonnera de l’intérêt pour l’adhésion syndicale. En proposant des services aux adhérents sortant du seul champ de la revendication, les syndicats pourraient retrouver de l’attractivité auprès des salariés comme c’est le cas dans les pays scandinaves, en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas.

Comment suggérez-vous de procéder ?

F. M. : Je propose qu’à titre expérimental, dans certaines entreprises ou branches volontaires, le bénéfice des accords ne puisse s’appliquer – si les signataires de l’accord le décident – qu’aux adhérents des organisations syndicales les ayant signés. J’insiste sur le caractère expérimental et volontaire de la démarche puisqu’en soi, une généralisation de cette pratique entrerait en conflit avec la liberté pour chacun de se syndiquer ou non, ce qui serait générateur de problèmes de constitutionnalité.

Mais s’il ne s’agit que de profiter des bénéfices d’un accord, cela revient à forcer l’adhésion sans créer d’engouement particulier. Ce qui équivaudrait à pratiquer une forme de « syndicalisme de carte bleue » comme le dénoncent plusieurs experts. Les syndicats se retrouveraient peut-être avec beaucoup d’adhérents, mais peu de militants…

F. M. : Oui, mais est-ce que ça ne vaut pas le coup d’essayer ? Cela permettrait aux syndicats de fédérer bien au-delà de la démarche militante. Et cela ne changerait pas fondamentalement la démarche servicielle. Aujourd’hui, lorsqu’un salarié frappe à la porte d’un syndicat, c’est le plus souvent parce qu’il a quelque chose à demander, comme du soutien face à une menace de licenciement ou un conseil juridique. Ma proposition présente un double avantage pour les salariés. D’un côté, le service rendu en contrepartie de l’adhésion constituerait une forme de « prime à l’engagement » pour ceux qui font la démarche de prendre leur carte. De l’autre, cela inciterait l’organisation syndicale, qui voit les adhésions affluer, à sortir d’une attitude exclusivement contestataire pour engager une démarche constructive de négociation et de signature d’accords. Cela aurait la vertu de promouvoir les syndicats co-créateurs de droits pour les salariés plutôt que celles qui s’enferment dans une contradiction stérile.

Pensez-vous à la CGT lorsque vous dites cela ?

F. M. : Pas forcément puisque, sur le terrain, celle-ci signe environ 80 % des accords d’entreprises. C’est un principe que j’évoque en général. Peu importe à quelles organisations le syndicalisme de services peut profiter du moment que cela aboutit à retrouver des corps intermédiaires puissants et conduit à une revivification du dialogue social.

Avez-vous discuté de cette idée avec les organisations syndicales ? Lesquelles se montrent intéressées ?

F. M. : Cela arrive de temps en temps, mais généralement, nous restons sur ce sujet dans le cadre de la généralité et très peu dans le concret. à part la CFE-CGC dont une partie des revendications va dans cette direction, il y a peu de centrales qui tiennent à importer le modèle nordique en France.

Pourtant, ce syndicalisme de services que vous appelez de vos vœux existe en France : dans la fonction publique ! Pourquoi ce modèle n’essaime-t-il pas dans le privé ?

F. M. : Parce qu’il est entaché de suspicions. Il est notamment soupçonné d’être un outil de promotion de carrière, d’accès à des mutations intéressantes, de meilleures notations internes… En sortant de la logique du « guichet » au sein de certains corps de fonctionnaires pour entrer dans celle de l’appréciation personnalisée, ce syndicalisme-là nourrit le doute quant à l’entretien d’une certaine forme de favoritisme.

Le développement de services à l’adhérent peut-il constituer un moyen de toucher la masse des quelque 10 millions de salariés de TPE situés massivement hors du champ du syndicalisme ?

F. M. : Parvenir à syndiquer ces salariés est un exercice très compliqué. Il existe des freins culturels énormes chez les petits employeurs à accepter la présence des syndicats dans leurs entreprises et ce de façon parfois irrationnelle. D’un autre côté, dans les structures de moins de onze salariés marquées par une absence totale d’instances représentatives du personnel, rien ne pousse réellement les salariés à l’adhésion syndicale. Mais il faut tout de même relativiser. Cette absence syndicale des petites boîtes n’est pas spécifique à la France. Il pourrait être utile de dresser une cartographie des adhésions dans les autres pays européens en fonction de la taille des entreprises. Heureusement, les branches permettent de pallier ce déficit syndical dans les TPE grâce à leurs implantations territoriales. Mais je doute qu’on arrive à aller plus loin que ça dans les TPE, même avec le développement du syndicalisme de services.

 

Franck Morel est avocat associé en droit social au sein du cabinet Flichy Grangé et senior fellow à l’Institut Montaigne Entre 2007 et 2012, il a été membre des cabinets des ministres du Travail Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Éric Woerth et conseiller social du Premier ministre Édouard Philippe de 2017 à 2020

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre