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Team building écoresponsable : engagement ou greenwashing ?

Décodages | RSE | publié le : 01.12.2022 | Irène Lopez

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Team building écoresponsable : engagement ou greenwashing ?

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De « nice to have », l’engagement écoresponsable des entreprises à travers des événements fédérateurs est devenu une injonction forte de la part des collaborateurs eux-mêmes. Sont ainsi nés les green team buildings, aux multiples avantages. Pour toutes les parties.

Importé des États-Unis où il est apparu dans les années 1980, le team building, vise à resserrer les liens sociaux au sein d’un groupe de personnes appartenant à une entreprise ou à une institution. À l’époque faste – c’est-à-dire au début des années 2000 – les salariés partaient s’encanailler à Punta Cana sous prétexte de meeting fédérateur. Le cocooning corporate ayant cédé la place à la demande de frissons et au dépassement de soi, ce sont les stages de survie en forêt ou les parties de paintball qui ont eu les faveurs des collaborateurs et des DRH. Autant de prétextes à créer le genre de souvenirs communs qui resserrent les liens entre collègues et suscitent un esprit d’équipe à toute épreuve.

Aujourd’hui, si les DRH continuent plus que jamais à vouloir fédérer les équipes, l’esprit de l’époque a changé. Les sujets environnementaux, sociaux ou éthiques ont fait leur apparition dans les boîtes et la RSE – responsabilité sociale de l’entreprise – a le vent en poupe. Selon les résultats de quatrième édition du baromètre « Les salariés et l’entreprise responsable » (Ekodev/Des Enjeux et des hommes), 70 % des salariés s’affirment volontaires pour s’impliquer davantage dans la RSE et les deux tiers d’entre eux seraient prêts à proposer des idées pour nourrir la réflexion en matière d’éthique, de social ou d’écologie. Une conscience particulièrement développée chez les femmes, les jeunes et les managers. Par ailleurs, 52 % des salariés non engagés dans la politique RSE de leur entreprise se disent prêts à être force de proposition en la matière. Pourquoi un tel engouement ? Parce que la responsabilité sociale donne du sens au travail, répond la moitié des sondés. Un sur quatre considère qu’elle est de nature à développer de nouvelles compétences, sortir du quotidien, travailler avec d’autres équipes. Et 39 % sont motivés à l’idée de s’engager sur de grands enjeux qui dépassent le cadre de l’entreprise. « Ces résultats confirment les tendances déjà mesurées lors des éditions précédentes : la montée en puissance progressive du sujet mais à un rythme insuffisant en regard de l’urgence des enjeux », commente Agnès Rambaud-Paquin, directrice associée des Enjeux et des Hommes, cabinet spécialisé dans l’appui aux politiques RSE et la transformation des organisations vers des modèles durables.

La création d’émulation et d’enrichissement du collectif.

Dans les services RH, le message a été entendu. Pour satisfaire la demande, le team building tend à devenir écoresponsable. Le 28 mai 2022, les cent trente salariés de l’agence de voyages Evaneos étaient tous rassemblés à Paris en soutien à six associations : La Croix Rouge, Social Builder, JRS, Surfrider, Bibliothèques Sans Frontières et Vision du Monde. Les evaneossiens, pour l’occasion placés sous l’autorité de « captains », étaient divisés en équipes pour se mesurer dans une compétition d’actions à impact. Ramassage de déchets, course solidaire, mentorat, traduction, cuisine… et tutti quanti. Chaque activité était précédée d’un temps de sensibilisation assuré par les associations partenaires. « Ce fut une journée fantastique. C’était extrêmement motivant d’être introduit à un monde qu’on ne connaît pas forcément. Avec la Croix Rouge, j’ai appris trois choses essentielles : la pauvreté n’a pas de visage, la générosité non plus et surtout, il est très facile de s’engager » raconte, enthousiaste, Laurent de Chorivit, directeur d’exploitation de l’entreprise. Claire Degueil, la responsable des ressources humaines, qui s’est investie pendant des semaines pour mener à bien cet évènement, décrypte : « Ces événements créent de l’émulation et enrichissent le grand collectif. » C’est avec le concours de Vendredi, une plateforme de mise en relation d’entreprises avec des associations, que le projet a pu être affiné. La plateforme a permis aux salariés de choisir les associations auprès desquelles ils souhaitaient s’engager ce jour-là. Une bonne source de visibilité pour le mouvement associatif.

Redorer le blason de l’entreprise.

Martin Silvestre, Head of Impact Content chez Vendredi, explique : « Le team building solidaire est une activité parfaite pour engager plusieurs salariés dans une action à impact. De plus, cette activité permet de renforcer les liens sociaux et la cohésion de groupe, tout en réalisant une démarche utile. ». Le catalogue d’associations proposées par le cabinet est bien fourni. Un regard pour toi propose du team building autour de la sensibilisation à la déficience visuelle. Les salariés participants sont amenés à pratiquer plusieurs activités dans le noir total pour s’imprégner du quotidien des personnes aveugles ou malvoyantes. La Sauge, de son côté, organise des ateliers « jardinage urbain et écoconstruction » alors que Kabubu, qui se fait fort d’intégrer les réfugiés par le sport, assure des activités sportives pour salariés impliqués.

Louis Toussaint, cofondateur de Spotlag, service d’organisation d’événements professionnels, explique : « La proportion des team buildings écoresponsables ne cesse d’augmenter. Ils représentent aujourd’hui 20 % du total. Outre la fédération des collaborateurs, le team building à vocation écologique est une manière de redorer le blason de l’entreprise. Il y a un objectif « marque employeur » derrière ces activités. Elles participent à attirer et à retenir les talents. C’est une démarche d’autant plus nécessaire que les salariés jugent assez sévèrement l’implication de leur entreprise sur la RSE et doutent souvent de la sincérité de son engagement. »

Défiscalisation.

Pourtant, certains DRH rechignent à faire le choix d’activités écoresponsables. « Les clients craignent de s’ennuyer pendant deux heures. Bien souvent, ils associent l’écoresponsabilité à l’ennui », poursuit le patron de Spotlag. « Le team building doit être fun à 100 % et fonctionne à condition de s’inscrire dans le ludique. D’où les défis « écolos rigolos » proposés par Spotlag : ramasser le plus de déchets possible dans un temps donné ou encore un bingo des objets trouvés en bord de mer. Pour ajouter de l’aventure, une autre société de services propose d’approcher en kayak la plage à nettoyer.

L’intérêt du team building écoresponsable est également financier, ajoute Cécile Dejoux, professeure au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et spécialiste de l’innovation managériale, les activités sociales s’inscrivent dans le rapport sur la RSE et se financent avec ce budget RSE. En outre, les activités à vocation sociale coûtent moins cher… », précise-t-elle. Un constat que ne partage pas Louis Toussaint pour qui les tarifs pratiqués pour des actions de team building à vocation écoresponsable ne diffèrent pas des autres. « Lorsque nous organisons un quizz sous forme de blind test, qu’il soit classique ou écoresponsable, il nécessite des animateurs et du matériel. Ni plus, ni moins, en termes de budget ! »

Autre attrait de ce team building repeint en vert : la défiscalisation qui y est associée. Les journées de team building écoresponsable sont légalement déductibles des impôts au même titre que le mécénat de compétences (mise à disposition de main-d’œuvre). Clara Lemonnier, directrice juridique et affaires publiques et référente déontologie d’Admical, association constituée en réseau d’entreprises pour accompagner toutes les formes de mécénat, décrypte la manœuvre : avant 2020, les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés bénéficiaient d’une réduction d’impôt égale à 60 % du montant des versements, pris dans la limite de 10 000 euros ou de 0.5 % du chiffre d’affaires à la condition que ces versements soient réalisés au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général. En 2020, le cadre fiscal a continué d’évoluer. L’article 50 du projet de loi de finances pour 2020 a réformé les modalités de détermination de la réduction d’impôt mécénat. La baisse du taux de réduction d’impôt est passée de 60 % à 40 % pour la fraction des versements supérieure à 2 millions d’euros, le droit à une réduction d’impôt au taux à 60 % demeurant pour la fraction inférieure ou égale à 2 millions de dons. La défiscalisation des salaires des salariés mis à disposition au titre du mécénat de compétences est limitée à trois plafonds de la Sécurité sociale, soit 10 284 euros par mois, par salarié.

« Aujourd’hui, la défiscalisation n’est plus un argument de vente », signale Martin Silvestre. Clara Lemonnier abonde dans son sens : « Même si les actions correspondent à une action d’intérêt général, dans les faits, peu d’entreprises défiscalisent le coût du team building écoresponsable. C’est une question d’éthique avant tout. » Argument supplémentaire : « La défiscalisation présente un intérêt sur des missions de longue durée. Lors d’une journée de team building, défiscaliser deux heures d’un salarié pour gagner quelques dizaines d’euros ne vaut pas la peine. Parmi les entreprises qui s’adressent à nous, il n’y en a que 1 % d’entre elles qui défiscalisent… »

Une réponse aux injonctions.

Pour cautionner le recours aux green team building, l’explication de Louis Toussaint est plus terre à terre : « les entreprises doivent répondre à des obligations légales depuis l’entrée en vigueur de la loi Pacte du 22 mai 2019. Nos clients sont les grandes entreprises du CAC 40, tous secteurs confondus : la pharmacie, le luxe (Cartier), l’assurance, la distribution (Metro France, Lidl). Elles ont des comptes à rendre ! » Pour Martin Silvestre, il s’agit aussi pour les entreprises de répondre aux injections éthiques de leurs salariés. « Selon nos statistiques, 94 % des Français souhaitent s’engager. Quant aux plus petites entreprises qui font appel à nous, elles sont certes moins concernées par les obligations légales mais elles prônent l’écoresponsabilité, y compris lors de leurs team buildings. C’est le cas de nombreuses start-up qui travaillent avec nous. D’ailleurs, beaucoup d’entre elles ont des valeurs qui se rapprochent de ces sujets-là. Le sentiment de fierté d’avoir fait du bien, d’avoir donné du sens à leur journée rejaillit sur l’entreprise. Les collaborateurs sont fiers d’appartenir à une entreprise soucieuse de RSE au point de mettre en place des team buildings écoresponsables. » Selon le cabinet de sondages Occurrence, 45 % des salariés pensent que la RSE va continuer d’occuper la même place et 50 % qu’elle va prendre une place importante dans leur entreprise d’ici 5 ans… Les plus optimistes sont les managers et les plus jeunes. Un résultat encourageant pour l’avenir.

Auteur

  • Irène Lopez