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Quand l’État veut faire main basse sur l’organisme paritaire du logement

Décodages | Paritarisme | publié le : 01.12.2022 | Maxime François

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Quand l’État veut faire main basse sur l’organisme paritaire du logement

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C’est un bras de fer qui se joue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. L’enjeu : Action logement, le premier bailleur social français situé dans l’orbite paritaire. Un statut que l’État, qui lorgne ses presque 2 milliards de trésorerie, aimerait bien modifier pour en faire un outil de ses politiques publiques. Au risque de provoquer une crise de la construction et du logement social.

Matignon, Bercy, le ministère du Logement… Depuis des semaines, le silence radio est observé à tous les étages sur le dossier Action logement (ancien « 1 % Logement », créé en 1953 et géré par les syndicats d’employeurs et de salariés). Mais la réforme du premier bailleur social de France – l’une des rares encore sur la table à être suivie de très près par Emmanuel Macron en période de crise – est si sensible qu’elle a fait des d’étincelles le vendredi 25 novembre au Sénat. Cette fois, le Gouvernement, qui ne cache pas son intention de reprendre la main sur la gouvernance de cet organisme paritaire à la trésorerie bien juteuse, a bien été obligé de sortir du bois pour renouveler ses intentions face au blocage des sénateurs de gauche, de droite et du centre réunis afin de dénoncer une atteinte « insupportable » au paritarisme. « À l’heure où plus de deux millions de foyers sont en attente de logements sociaux, il paraît dangereux de vouloir déstabiliser ce modèle vertueux », tançait la sénatrice centriste Valérie Létard. Un coup de semonce en forme d’ultimatum posé au Gouvernement par cette spécialiste des questions de logement qui a déposé un amendement d’appel supprimant cette disposition, en arguant que le Fonds national des aides à la pierre (Fnap) – un organisme sous tutelle de Bercy qui finance la rénovation de logements sociaux – pourrait se reporter des crédits non consommés ou des réserves de trésorerie. Le « danger » qui pèserait sur Action logement a été également évoqué depuis les bancs écolos. Daniel Breuiller, sénateur EELV du Val-de-Marne, fustigeait « une ponction inacceptable ». Tout comme par une partie de la droite qui incriminait les « mauvaises pratiques » de l’État et s’offusquait contre sa volonté « d’aller ponctionner dans les poches de ceux qui gèrent mieux au niveau paritaire que lorsque l’État s’en occupe directement ». En face, toutefois, hors de question de reculer.

Pas question, cependant, pour le Gouvernement de faire marche arrière sur le fond. Face à l’ultimatum, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, réitérait clairement la volonté gouvernementale de continuer de piocher dans la trésorerie d’Action logement, mais aussi de réformer l’organisme en profondeur. « On est dans une situation contrainte, cela impose de faire des choix qui sont toujours des choix difficiles, a indiqué le ministre du Budget. Cela impose que tous les acteurs soient mis à contribution. Ce qui n’est pas mis par Action logement sera mis par les bailleurs sociaux. »

Cette histoire de gros sous témoigne de la brutalité du bras de fer qui se joue entre majorité, opposition et partenaires sociaux pour le contrôle de cet organisme qui articule les besoins des entreprises et les demandes des salariés grâce à la participation à l’effort de construction (PEEC) que chaque entreprise qui emploie plus de 50 salariés doit alimenter à hauteur de 0,45 % de sa masse salariale. Une manne qui constitue un revenu régulier et sûr, aiguisant d’autant plus les appétits de Bercy que la collecte d’Action logement représentait en 2022 une cagnotte de plus d’1,8 milliard d’euros. Des fonds essentiellement distribués sous forme de prêts à des bailleurs sociaux ou des accédants à la propriété, quasiment doublé (1,5 milliard d’euros) par le remboursement de crédits – l’an dernier, l’organisme a délivré 50 000 agréments à construire, dont 48 500 logements.

Alors, entre l’état et les organisations représentatives, la compétition est féroce. L’exécutif justifie ces prélèvements par les réserves accumulées dans les caisses de l’organisme – jusqu’à 9 milliards d’euros en 2019 – par la sous-consommation des crédits qu’il propose et l’instabilité de sa gouvernance. Des faits étayés dans un rapport sévère de l’Inspection générale des finances auquel nos confrères du « Monde » ont eu accès en octobre 2020.

« Grosse bagarre ».

En attendant le retour de la navette parlementaire, le géant du logement social a d’ores et déjà annoncé l’adoption de son budget 2023, avec une contribution aux aides à la pierre inférieure de moitié à ce que lui demandait le Gouvernement, qui a jugé cet effort « insuffisant ». Un premier coup de théâtre dans cette « grosse bagarre », selon la description d’un acteur du logement social. Dans le détail, le groupe, cogéré par le patronat (Medef ; CPME) et les syndicats (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC), qui pilote aussi les aides à la mobilité professionnelle et la garantie locative Visale, ont proposé d’intégrer une contribution de 150 millions d’euros à la Fnap.

Une suite logique : trois jours auparavant, Bruno Arcadipane, président d’Action logement (et également du Medef Grand-Est) avait fait savoir à la tribune du Congrès des maires qu’il n’était pas en mesure d’annoncer le montant de la contribution de l’organisme au deuxième programme « Action cœur de ville », qui vise à revitaliser 234 villes moyennes. Il est revenu dessus depuis, se disant, le 29 novembre, « prêt à enclencher une nouvelle participation financière », mais le déni originel est symbolique pour Action logement, partie prenante du programme depuis son lancement en 2018 aux côtés de la Banque des territoires et de l’Agence nationale des territoires (Anah).

« Le Gouvernement ne doit pas prendre d’arrêté ».

En réalité, le rapport de force dure depuis des années, et s’est surtout tendu ces dernières semaines. Dans un courrier commun adressé le 24 octobre à la Première ministre, Élisabeth Borne (et resté lettre morte), dont « Liaisons Sociales Magazine » a pu prendre connaissance, les dirigeants des organisations syndicales et patronales suppliaient la Première ministre de renoncer à ces projets tout en sollicitant une rencontre avec elle pour évoquer le sujet. « Alors que les discussions concernant la future convention quinquennale auraient dû être lancées, la contribution à la Fnap et la classification d’ALS en « organisme divers d’administration centrale » déstabilisent le groupe et constituent un affront au paritarisme de gestion », dénonçaient-ils en chœur. Il faut dire que le dernier clou dans le cercueil d’Action logement a été enfoncé quelques jours plus tôt – le 15 novembre – à l’occasion des négociations sur sa convention quinquennale 2023-2027. Lors d’une réunion regroupant les services du ministre du Logement, Olivier Klein ; ceux de son homologue de la Transition écologique, Christophe Béchu, ainsi que le Comité d’orientation politique de l’organisme paritaire et l’état-major de ce dernier, la question de la requalification d’Action logement en administration publique par l’Insee – dont l’une des missions consiste à classer, sous la responsabilité d’Eurostat, les entités économiques dans différents secteurs institutionnels – avait trusté les débats. « C’est le gros du problème, s’étrangle la secrétaire confédérale de la CGT en charge du logement, Véronique Martin. Cette classification est intervenue discrètement au plein cœur de l’été », accuse-t-elle. « La ponction, ce n’est pas la première fois, et nous y sommes opposés de fait, mais le plus inquiétant est cette requalification, qui constitue la principale attaque sur le paritarisme. Nous avons dit à Olivier Klein et Christophe Béchu qu’elle était nulle et non avenue. Le Gouvernement ne doit pas prendre d’arrêté qui valide cette requalification ! », exhorte-t-elle. Parallèlement, un recours gracieux, lui aussi resté sans réponse, a également été adressé à l’Institut national des études statistiques par l’ensemble des organisations pour contester le classement d’Action logement en organisme divers d’administration centrale. Une requête à laquelle l’Insee est tenu de répondre dans les deux mois.

Le Medef comme arbitre ?

N’empêche. La ruse de Sioux employée par l’État pour tenter de faire passer Action logement sous son pavillon coupe la chique aux syndicats. « Que ce soit sur les ponctions ou le changement en administration publique, tout ça se fait sans aucune concertation… On avait trouvé une voie de passage et boum ! Voilà un changement de code APE ! L’objectif premier d’Action logement est de faciliter l’accès au logement des salariés, pas de financer les politiques publiques », martèle Betty Hervé, secrétaire nationale chargée du logement à la CFDT. « En classant Action logement en administration publique, L’État remonte sa dette d’action dans les comptes de la Nation et limite sa capacité d’endettement à douze mois, ce qui le place un peu plus sous la tutelle de Bercy », décrypte Catherine Pinchaut, secrétaire nationale de la CFDT. Pour un résultat qui pourrait, in fine, s’avérer décevant pour le Gouvernement. « Il n’y a plus de pactole ! Action logement a fini avec un déficit de 4 milliards. Les finances du groupe sont en tension », poursuit-elle.

Du côté de FO, de la CFTC, comme de la CPME, la position est unanime et l’heure est à la défense à couteaux tirés : « Action logement est un outil formidable qui a créé de l’emploi puisqu’il fait tourner le bâtiment, que ce soit la rénovation ou la construction. Dans les chiffres, il accompagne entre 200 et 250 programmes « cœur de ville » et est capable de gérer une offre qui impacte le pouvoir d’achat des salariés, alors vous pensez bien que dans l’état des finances, le fait d’avoir un acteur qui fait rentrer 3 milliards, à la fois par le biais de la cotisation à 0,45 %, à laquelle s’ajoutent les retours sur prêts, ça intéresse beaucoup Bercy », souligne le nouveau secrétaire général de l’UD FO du Rhône chargé du logement, Pascal Lagrue. Et le Medef ? Malgré la position de principe de son président, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a dénoncé publiquement la « violente attaque » contre le mode de gouvernance de l’organisme, l’organisation patronale pourrait bien servir de levier au Gouvernement. En octobre 2019, Bruno Le Maire avait déjà évoqué la baisse dans le cas des réductions d’impôts sur la production de 0,45 % à 0,22 % de la participation aux entreprises. Une mesure radicale qui diviserait par deux la collecte d’Action logement, mais réduirait d’autant les cotisations employeurs. Un argument auquel l’Avenue Bosquet n’est pas forcément insensible, comme elle ne l’avait pas été en 2013 à l’idée de sabrer le « 0,9 % formation », ce qui avait entraîné un clash avec la « petite sœur » CPME. Contacté à ce sujet, le Medef n’a pas souhaité s’exprimer. « Je subodore que l’État négocie avec l’organisation patronale pour réduire la ponction, il a récemment été question de 0, 3 % », croit savoir une source proche du dossier. Ambiance…

Pour Yankel Jacov, sociologue du logement, urbaniste, et enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val de Seine, l’analyse est simple : « Les ponctions sur Action logement, il y en a depuis Louis Besson1, mais le changement d’ADN de l’organisme me semble absolument énorme. […] L’enjeu principal est celui de la réservation de logement par les partenaires d’action logement », explique le spécialiste. Selon lui, ce changement serait « le signe évident d’une crise du logement social », car, avance-t-il, « le choc de l’offre promise par le président lors de son premier quinquennat n’a pas eu lieu. La vente des logements sociaux par la loi élan était faite pour nourrir la capacité de réhabilitation et de reconstruction de logements, mais on est arrivé à quelque chose de beaucoup plus modeste. Aujourd’hui, il y a une crise budgétaire doublée d’une crise du logement, et Action logement est entraîné là-dedans. »

(1) Ministre du Logement dans le deuxième gouvernement Rocard (1989-1991), puis dans le gouvernement Jospin (1997-2001)

Auteur

  • Maxime François