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[DOSSIER BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL] Le second souffle des happiness officers ?

Dossier | publié le : 01.11.2022 | Murielle Wolski

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Le second souffle des happiness officers ?

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Coqueluche des médias avant la Covid, le chief happiness officer se fait plus discret. Mais que devient-il dans ce monde de l’entreprise en proie à des mutations importantes ? Effet de mode qui a fait pschitt ou métier ancré dans l’organigramme, focus sur une profession qui fait toujours débat.

« CHO ? C’est ma came », résume d’entrée de jeu Arnaud Lacan, professeur de management et entreprises responsables et chercheur chez Kedge Business School. Dans « Repenser le management », co-écrit avec François Silva, et sorti en 2021 chez Management prospective édition en e-book, il est question de l’intérêt commun du mieux-être au travail. Nous sommes donc en plein dans le sujet. Mais s’il est celle d’Arnaud Lacan, le chief happiness officer (CHO) est-il encore la came de beaucoup d’entreprises aujourd’hui ?

Le mal nommé

Rappel historique. Né outre-Atlantique chez le géant Google, dans la tête de l’ingénieur Chade-Meng Tan, le chief happiness officer a pris racine dans le Search Inside Yourself Leadership Institute, il y a une vingtaine d’années, avant de quitter la Silicon Valley pour s’exporter dans les entreprises d’une trentaine de pays dans le monde. En France, il a fait les gros titres voici environ cinq ans, déchaînant les passions. Il y a les pour et les contre. Que des réactions tranchées, ou épidermiques qui perdurent toujours. Aucune demi-mesure à propos de ce qui reste encore aujourd’hui un Ovni, ou mal identifié, dans le monde de l’entreprise, aux yeux de beaucoup. « Ce mot est très réducteur, déplore Chloé Karam, responsable de la branche employee expérience chez Willis Tower Watson, acteur majeur du courtage en assurance et du conseil en gestion des risques, il fait l’objet de moquerie. Est-ce que l’on a besoin de bonheur quand on va au travail ? Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui se présentait de cette façon. »

Un terreau propice

Un petit tour sur Linkedin. Sont présentes, à la mi-septembre, 67 offres de poste de CHO, dont plusieurs dans une seule et même boîte dotée de plusieurs sites. « La crise ne les a pas éliminés, commente Arnaud Lacan, mais ce chiffre ne plaide pas en faveur d’un métier en plein boom ». « J’en ai vu avant la Covid, se souvient Patrick Barrabé, fondateur de Lapia, centre de recherche et de réflexion sur l’innovation, souvent dans des grandes boîtes, avec une forte implantation syndicale et une inféodation aux instances. On tente, on ne sait jamais… pour travailler sur le règlement de protection des salariés. Mais, cela colle aussi à l’esprit start-up. Comme certains métiers, quand on sait qu’il existe, c’est déjà trop tard. »

Pas un jour, voire une semaine, sans qu’une avalanche de données sur la santé au travail ne fasse l’objet de communiqués de presse. Le moins que l’on puisse dire est que sa dégradation transpire dans tous les baromètres. Selon la dernière étude d’ADP, 64 % des salariés français ressentent du stress au travail au moins une fois par semaine – un chiffre en augmentation de neuf points par rapport à avant la pandémie –, tout particulièrement les jeunes de 18-24 ans (74 %), les télétravailleurs (70 %) et les femmes (68 %). Les trois principales causes ? Des journées de travail jugées trop longues (24 %), des responsabilités accrues depuis la crise sanitaire (22 %), des craintes liées à la sécurité de l’emploi (20 %). L’absentéisme prend de l’ampleur dans les entreprises, avec un taux de 5,5 % en 2021 contre 4,8 % en 2019. Et 2022 devrait être du même acabit, avec un taux projeté de 5,6 %, d’après l’enquête de Verlingue, courtier en assurances spécialisé dans la protection des entreprises. Et le contexte international qui tangue ne laisse augurer rien de bon pour les prochains sondages. Bref, un terreau propice a priori. « À l’heure de la « quiet quitting », à l’heure où les salariés se filment en train d’annoncer leur démission pour la diffuser sur TikTok, à l’heure où la vie prend le dessus sur l’entreprise, où les sociétés s’affolent pour réussir à retenir leurs collaborateurs, la convivialité du CHO reste importante. Il a de beaux jours devant lui, même si la fonction change de peau ou d’enveloppe », relate Alexandre Jost, fondateur et délégué général du think tank La Fabrique Spinoza, dont la based line est « Le bonheur au cœur de la société ».

Un poste en mutation

Une mue ? Une nécessité ? « Oser parler de bonheur, c’est presque offenser l’intelligence. Cela fait partie du référentiel corporate à l’américaine. Cela relève de l’hypocrisie. Quand on se cale sur une fonction d’animation, sur l’item du bonheur, on s’éloigne de la réalité vécue par les salariés. C’est un abus de langage, une hérésie de la pensée. Quand on voit les attentes des trentenaires, voulant revenir à des fondamentaux d’autosuffisance, le CHO fait clown à côté ! » Le propos est rude. On le doit à Didier Pitelet, président fondateur de La maison Henoch consulting, et par ailleurs président du Cercle du leadership. « Avec la mise en place d’un CHO, les entreprises expriment leur manque de capacité à créer du sens, ajoute-t-il. Elles envoient un substitut. » Le CHO vécu comme ersatz, ça claque !

Une prise de position que l’on peut retrouver facilement. Aussi, à quoi assiste-t-on ? Exit la corbeille de fruits, la bonbonne de bonbons, le baby-foot voire la fontaine à bière (pourtant tout à fait illégale), comme a pu le voir Patrick Barrabé dans certaines entreprises. S’opère actuellement une double mutation, sur le fond et sur la forme. Un glissement de terrain. Consultante en qualité de vie au travail, mais qui s’est présentée longtemps sous le libellé L’Étincelle CHO, Angelika Mleczko cherche à fédérer, à mobiliser pour gagner en visibilité, grâce à des messages sur la plateforme slack. « Donner un second souffle à ce métier mal compris est essentiel, explique-t-elle. Comme les office managers se sont structurés, les CHO doivent faire de même et bifurquer de l’idée de l’apéro vers la gestion de l’anxiété, la prévention des risques psycho-sociaux… » Dorénavant, si le sigle demeure, on parle de collectif humain des organisations en France. Aux États-Unis, les libellés diffèrent. « Aid of employee, well-being officer, aid of organization, aid of employee engagement, responsable de l’expérience collaborateur, liste Chloé Karam. On s’éloigne de cet intitulé fleur bleue… » Mais l’évolution n’est pas que sémantique. « L’hyper-conscience du respect à devoir aux salariés est tellement présente que, petit à petit, les missions du CHO deviennent les attributs du manager, analyse Arnaud Lacan. Il se dissout. Le bien-être des collaborateurs ne peut plus reposer que sur une seule personne, mais sur une communauté. Un jeu de vases communicants s’effectue. Dans un marché de l’emploi en faveur des salariés, tout le monde est obligé de s’y mettre. »

CHO et QVT, dans le même bateau

Un axe qui n’est pas pour déplaire aux CHO eux-mêmes. « Direction des ressources humaines, marketing, communication, responsable de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou en charge de la qualité de vie au travail (QVT)… tout le monde devrait se mettre autour de la table, insiste Angelika Mleczko. Le CHO n’a de sens que s’il s’inscrit dans une culture d’entreprise positive, là où la transparence est de mise, où tout le monde peut collaborer en cas de tensions perceptibles. » Un interlocuteur manque peut-être à cette liste. Où sont les syndicats ? Et pourquoi pas avec eux ? Le bien-être au travail ne devrait-il pas être porté aussi par eux ? Ou surtout par eux ? « Terrain miné, rétorque amusé Arnaud Lacan. Les organisations syndicales préfèrent mener des luttes d’arrière-garde sur les négociations annuelles obligatoires, et pas sur les nouvelles dimensions du travail qui pourtant comptent. »

« De purement philosophique, ce professionnel se doit de passer dans la sphère économique, résume Chloé Karam, avec un bénéfice pour le succès commercial – et le tout bien qu’étant en interne. La pandémie a challengé les entreprises de trouver les moyens pour assurer le bien-être des collaborateurs. 52 % d’entre elles faisaient de cet objectif une priorité début 2020. Elles sont aujourd’hui plus de 92 %. Elles en ont compris l’enjeu stratégique. Pour preuve, une partie de la rémunération variable des managers s’appuie maintenant sur le taux d’engagement des salariés. »

Auteur

  • Murielle Wolski