logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Pourquoi et comment les entreprises devraient arrêter de se tromper dans leur gestion de l’erreur

Idées | Recherche | publié le : 01.10.2022 |

Image

Pourquoi et comment les entreprises devraient arrêter de se tromper dans leur gestion de l’erreur

Crédit photo

L’amélioration des relations et conditions de travail fait partie des sept questions centrales en matière de RSE identifiées par la norme ISO 26000. S’il est souvent question de prévention des RPS, de démarches QVT, de développement du capital humain, de rémunération des collaborateurs ou encore de dialogue social, la notion de droit à l’erreur ne constitue pas forcément une priorité dans l’agenda RH. Engager une politique de tolérance à l’erreur individuelle contribue pourtant à faire progresser les relations employeurs-employés au sein des organisations.

Qu’est-ce qu’une erreur individuelle ?

Pour Séverine Loureiro, responsable expérience collaborateur et marque employeur au sein du groupe BPCE et auteure, en 2021, du livre « Le droit à l’erreur : Les bons collaborateurs font des erreurs, les bonnes entreprises le permettent », une erreur est un écart entre un résultat attendu (une règle, un processus, une norme…) et la réalité. En pratique, il existe une grande variété d’erreurs humaines, selon, par exemple que l’individu a fait preuve d’inattention dans l’exécution d’une tâche ou qu’il manque de connaissances suffisantes pour agir correctement. En revanche, l’erreur individuelle doit absolument être distinguée de la faute. Cette dernière correspond au cas où la personne décide intentionnellement de dévier par rapport à une norme de comportement. Pour distinguer les attitudes acceptables de celles qui ne le sont pas, le sociologue Christian Morel propose d’appliquer un test de substitution, en se posant la question suivante : « Dans les mêmes circonstances, une personne ayant le même profil professionnel aurait-elle pu commettre la même erreur ? » Si la réponse est positive, alors l’erreur peut être tolérée et doit être envisagée comme un moyen de progresser. Seule la répétition de cette erreur sera alors condamnable. Comme le dit la locution latine, « errare humanum est perseverare diabolicum ». Si la réponse est négative, alors la sanction est envisageable a fortiori s’il n’y a pas eu de défaut de formation et/ou de supervision et si l’individu fautif ne bénéficie pas de circonstances atténuantes. On parle ainsi de « culture juste » quand celle-ci n’est ni punitive ni laxiste. En ce sens, l’instauration d’une politique de tolérance à l’erreur est indissociable d’une démarche de responsabilisation des collaborateurs.

Pourquoi est-il important de créer une culture du droit à l’erreur ?

Dans les organisations, les erreurs individuelles sont généralement traitées comme nuisibles du point de vue de la performance : elles interrompent le travail, sont chronophages et coûteuses, elles portent préjudice à la réputation, provoquent des pertes de clients, réduisent le sentiment d’auto-efficacité, elles affectent le moral des employés, inhibent le comportement, etc. Dans une culture du blâme, la peur d’être stigmatisés conduit les collaborateurs à cacher leurs erreurs à la hiérarchie et aux collègues. Un tel climat de silence est contre-productif. En effet, les erreurs individuelles – statistiquement inévitables – doivent être révélées pour se transformer en feedback utile pour l’organisation. En ce sens, l’erreur ne doit plus être vue comme une source de nuisance, mais au contraire d’amélioration. C’est la raison pour laquelle la célèbre professeure de la Harvard Business School, Amy Edmondson, préconise la création d’une atmosphère de sécurité psychologique. Tout d’abord, un environnement psychologiquement rassurant favorise la prise d’initiative et l’innovation. En outre, la peur de la sanction étant levée, les individus sont davantage enclins à rapporter, à discuter et à analyser leurs erreurs, au lieu de les étouffer. Une réflexion collective peut ainsi être engagée pour réduire la probabilité qu’elles ne se reproduisent. En d’autres termes, une culture non punitive favorise le retour d’expérience. Chercher des coupables, plutôt que des explications, constitue, à l’inverse, une erreur de second niveau. Paradoxalement, les organisations dites « à haute fiabilité » (ex. : aviation, nucléaire, hôpitaux) sont certainement celles qui ont le mieux compris l’intérêt d’une politique de tolérance à l’erreur pour optimiser leurs process et réduire le risque d’événement indésirable. Par exemple, les chartes de non-punition – aujourd’hui fréquentes dans les établissements de santé – ont vocation à encourager les individus à déclarer les erreurs qu’ils ont commises. Bien souvent, les analyses systémiques qui en découlent permettent de révéler les défaillances organisationnelles latentes ayant causé de telles erreurs, au-delà de la part de responsabilité propre à l’individu.

Comment créer une culture du droit à l’erreur ?

Créer une culture du droit à l’erreur suppose, tout d’abord, que le management et le top management fassent preuve de suffisamment d’humilité pour adopter un comportement exemplaire en reconnaissant leurs erreurs. L’escalier se balaie toujours par le haut ! Un bon leader sait, à ce titre, dépasser le syndrome du bon élève en reconnaissant ses propres ratés, les analyser de façon objective pour ne plus qu’ils se reproduisent et partager à son équipe les leçons tirées. Véritable role model, il a suffisamment confiance en ses compétences pour parler librement de ses erreurs et montrer comment il les a dépassées. En d’autres termes, un manager ne peut pas instaurer une culture du droit à l’erreur au sein de son équipe s’il cherche, coûte que coûte, à montrer qu’il est infaillible, quitte parfois à distordre des faits (de façon à les rendre plus présentables) ou à dissimuler des informations gênantes. Il ne suffit donc pas, pour un manager, d’encourager le droit à l’erreur parmi ses collaborateurs. Il doit lutter contre son égo et mettre, lui-même, cette injonction en pratique (« walk the talk ») pour devenir ce qu’Isaac Getz appelle un « leader libérateur ». Par ailleurs, pour que les collaborateurs aient la conviction que l’organisation tolère les erreurs – voire leur reconnaît une certaine valeur – il doit exister, en interne, des exemples visibles de collègues ayant commis, par le passé, des erreurs notoires, mais dont l’impact sur leur carrière ne s’en est pas ressenti par la suite (ex. : mise au placard, perte de statut, absence de promotions). Plus encore, l’organisation doit faire le récit des meilleurs exemples d’apprentissage par l’erreur afin de souligner le côté positif de la démarche.

Le logiciel culturel quant à la manière de gérer des erreurs individuelles varie toutefois d’un pays à l’autre. Sur ce plan, la France accuse notamment un certain retard par rapport aux États-Unis. Influencée par la culture start-up, certaines organisations françaises commencent néanmoins à comprendre que se tromper est normal, voire nécessaire pour progresser et avancer. Le principe d’un droit à l’erreur commence ainsi à être formalisé dans des accords d’entreprises, des outils d’évaluation, des baromètres sociaux, des chartes internes ou dans l’énoncé des valeurs de l’entreprise. Il faut espérer qu’à l’avenir les organisations suivent, de plus en plus, le chemin ainsi tracé par des pionniers tels que la Maif, BlaBlaCar, 3M France, Air France, Orange, Axa Banque ou l’AP-HP.