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Sécurité routière : zéro de conduite

Décodages | Mobilité | publié le : 01.10.2022 | Valérie Auribault

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Sécurité routière : zéro de conduite

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Les accidents de la route représentent la première cause de mortalité au travail. Pourtant, ces risques sont méconnus des dirigeants d’entreprises qui peinent à impulser une vraie politique de sensibilisation.

En 2020, 356 salariés ont trouvé la mort dans un accident de la circulation lors d’un déplacement professionnel, d’après les chiffres de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR). Contrairement aux idées reçues, les accidents mortels au travail ne se comptabilisent pas forcément aux pieds des échafaudages. Les accidents routiers constituent la première cause de mortalité au travail. Les trajets professionnels représentent 14 % de la mortalité routière. La crise sanitaire liée à la Covid-19 n’a rien arrangé. L’assureur MMA l’a lui-même constaté lors d’une étude réalisée en partenariat avec l’institut Ifop : les conduites à risques de la part des salariés sont en nette hausse depuis cette période. Ainsi, 36 % d’entre eux avouent avoir perdu davantage de points (soit sept points de plus qu’en 2021), 42 % ont été verbalisés (une augmentation de quatre points). Plus de huit salariés sur dix reconnaissent avoir des comportements à risques : lecture au volant, envoi de SMS, non-respect des limitations de vitesse. 56 % utilisent leur téléphone portable en conduisant, certains (32 %) somnolent, d’autres encore (28 %) admettent ne pas toujours respecter les règles de priorité. Plus d’un salarié sur deux déclare avoir évité de peu un accident ces derniers mois (une augmentation de quatre points par rapport à l’année précédente). « La pandémie a engendré de la frustration, explique Cécile Lechère, en charge de la prévention des risques routiers chez l’assureur MMA. Après le confinement, il y avait moins de monde sur les routes, les automobilistes ont roulé plus vite, l’utilisation du téléphone au volant s’est accrue. De plus, en télétravail, on utilise davantage son véhicule personnel. On a désormais tendance à prendre sa voiture pour son bureau. »

Pour l’assureur, trois facteurs reviennent régulièrement dans le déclenchement des accidents : « vitesse, téléphone mais aussi somnolence. Ce sont des pratiques à bannir pour assurer la sécurité des salariés et celle des autres automobilistes », insiste-t-elle. Cependant, trop peu d’entreprises ont pris la mesure du problème. Moins d’un dirigeant sur cinq a développé des actions de prévention et seuls 23 % des salariés déclarent que leur employeur leur rappelle les règles de bonne conduite. « Nous faisons ce constat depuis 2015, regrette Cécile Lechère. Il y a une méconnaissance des risques. Seuls 17 % des dirigeants savent que les déplacements routiers sont le risque numéro un. De ce fait, très peu de progrès sont constatés. Et avec la pandémie, les dirigeants ont eu d’autres préoccupations. »

Un vrai sujet de prévention.

Pour l’Association nationale des comités sociaux et économiques (ANCSE), cette problématique est « le reflet des comportements d’une société qui change ». Zahir Mechkour, son président, insiste : « il faut travailler sur le comportement humain. C’est un sujet sérieux de prévention ». À travers son site zerotracas.mma, l’assureur a décidé de sensibiliser les automobilistes. MMA incite aussi les employeurs à afficher des chartes de bonne conduite dans les locaux professionnels. Sans oublier les formations. « Faire des ateliers une fois par an serait l’idéal. Il est nécessaire que les entreprises prennent le temps de les organiser », insiste Cécile Lechère. De son côté, la Maif a développé des solutions d’e-learning pour sensibiliser les salariés à travers six modules indépendants de dix minutes concernant les distances de sécurité, l’organisation des déplacements, les distracteurs… « Dans une vidéo en 3D, nous sensibilisons à l’usage du téléphone portable au volant et démontrons qu’un moment d’inattention peut engendrer un accident », rappelle Sylvie Audelan-Talon, chargée de projets RH-prévention des risques routiers chez Maif. Pour les jeunes recrues, l’assureur a mis en place un pack d’accueil. « Nous avons instauré, pour ceux qui disposeront d’un véhicule de fonction, un stage obligatoire interactif d’une journée, qui est très apprécié, assure Sylvie Audelan-Talon. Ils viennent avec leur véhicule, testent les distances de freinage, l’attention, l’état du véhicule… pour une meilleure maîtrise. C’est très formateur. Après cette expérience, ils lèvent un peu plus le pied. » L’entreprise Covéa a développé, voilà 20 ans, un programme de prévention. Ici, aucun accident n’est pris à la légère. « Sur un parking, nous incitons les collaborateurs à se garer pour être prêts à partir. Car, si je recule, je ne vois pas le poteau. Mais demain, cela pourrait être un enfant », souligne Hélène Hareau, ingénieure prévention risques routiers chez Covéa Solutions Prévention. Le comportement de ceux qui ont eu un accident, qu’ils soient ou non responsables, est passé au peigne fin lors d’un debriefing téléphonique. « Nous constatons que beaucoup ont lieu en ligne droite, en journée, par temps sec quand le trafic est fluide, indique Hélène Hareau. Nous sommes plus vigilants sur une route sinueuse, en montagne et sous la neige. À travers ces programmes, nous cherchons à responsabiliser le conducteur par rapport à un véhicule qui ne lui appartient pas et à éviter que l’accident ne se reproduise. Celui-ci aurait-il pu être évité ? Qu’aurait pu mettre en place le conducteur ? Le regard plus mobile ? Le pied posé devant le frein ? Dans 95 % des cas, le conducteur revient sur sa position de départ qui est : c’est la faute de l’autre. » Là encore, l’usage du téléphone au volant fait l’objet de toutes les luttes. « C’est un vrai enjeu car les véhicules sont de plus en plus sophistiqués. On peut tout y faire. Mais lorsque nous téléphonons, nous ne voyons pas la route, le regard est fixe, l’environnement n’est plus visible. C’est une forme d’hypnose », met en garde Hélène Hareau. L’habitude en est une autre. Au sein du bureau d’études ATSP, les salariés, amenés à se rendre régulièrement sur les chantiers des clients, enregistrent une baisse de l’attention. « Plus la durée du chantier est longue, plus l’accoutumance se crée sur la route. La vigilance est moindre et les accidents plus nombreux », constate Guillaume Schillig, responsable prévention chez ATSP. Au sein du cabinet, chaque collaborateur se voit attribuer un véhicule de fonction au moment de l’embauche. « Ceci engage leur responsabilité. Tous les six mois, nous faisons le point sur l’état de santé du véhicule, les révisions, la consommation et les formations », précise le responsable prévention. Côté addictions, le cabinet préfère prévenir que guérir. « Ce problème n’a jamais été rencontré mais cela n’empêche pas la sensibilisation », estime Guillaume Schillig.

Il faut mettre les mains « dans le cambouis ».

D’autant que les conduites addictives ont, elles aussi, augmenté durant la crise sanitaire. « Nous avons vu les difficultés pour certains salariés de télétravailler seuls à leur domicile. Il y a eu une augmentation de la consommation de tabac, d’alcool, de cannabis à cause du stress, analyse Zahir Mechkour. Un nombre important de salariés consomment du cannabis la veille et prennent le volant le lendemain alors que les effets de la drogue sont encore présents dans l’organisme. Je plaide pour que cela soit pris à bras-le-corps par les entreprises. Les services de prévention au travail doivent jouer leur rôle. Quant aux médecins du travail, posent-ils la question aux salariés quant à une éventuelle consommation ? » Jean-Jacques Cado, co-fondateur et président de iThylo, qui effectue des dépistages en milieu professionnel, constate que « souvent, les entreprises réagissent après un accident mortel. » Celui-ci recommande des dépistages « aléatoires et inopinés à raison de deux fois par an sur tous les sites de l’entreprise. Un contrôle positif fait réagir. Le dépistage permet de créer les conditions du changement : 85 % des testés positifs sont tous négatifs lors du deuxième test, indique-t-il. La politique du dépistage est le meilleur vecteur pour agir. Mais il ne faut pas se mentir : c’est mettre les mains dans le cambouis. Cela permet, malgré tout, d’évaluer le niveau de risque, d’identifier les collaborateurs en difficulté et de les accompagner. » D’autant que l’usage de certaines drogues, comme le cannabis, s’est banalisé. « Fumer du cannabis est désormais courant. Le souci est que cette habitude entraîne l’absence totale de conscience du risque », déplore Alexis Peschard, addictologue et président de GAE Conseil qui met aussi en garde face à la prise de médicaments qui peut également altérer les réflexes sur la route. « Lors d’une consultation chez son médecin, le salarié doit rappeler quel poste il occupe et comment il se rend à son travail. Il doit aussi lire la notice et vérifier le niveau de pictogramme sur la boîte. À partir du niveau 2, la responsabilité incombe au salarié. Parfois, en cas de traitement médicamenteux, un arrêt de travail ou l’adaptation des horaires de prises du médicament peut s’avérer pertinent. » Le domaine des transports, très en avance sur le sujet des addictions, est l’un des seuls à aborder une autre problématique : les jeux vidéo. « C’est une vraie addiction qui génère un manque de sommeil et engendre une grande fatigue, insiste Alexis Peschard. Mais cela reste encore tabou. Il y a beaucoup de déni. » En dehors de certaines entreprises où la conduite d’engins est récurrente, les dirigeants ne semblent pas décidés, pour l’heure, à s’emparer de cette addiction aux écrans. « Le risque routier doit être pris dans sa globalité, rappelle Alexis Peschard. Les addictions sont un risque de santé publique qui majore tous les risques professionnels. »

Auteur

  • Valérie Auribault