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Décodages

Le bonus-malus peine à montrer son efficacité

Décodages | Cotisations patronales | publié le : 01.10.2022 | Irène Lopez

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Le bonus-malus peine à montrer son efficacité

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La mesure du bonus-malus pour inciter les entreprises à allonger la durée des contrats de travail, entrée en application le 1er septembre, est loin de faire l’unanimité malgré les efforts de pédagogie de l’exécutif.

« Neuf milliards d’euros, c’est le déficit de l’assurance chômage en 2020, créée par les contrats courts et l’intérim. 70 % des embauches se font sur des contrats de moins d’un mois. Ces contrats pénalisent les salariés concernés qui souffrent alors de précarité et doivent faire face à des obstacles pour se loger ou obtenir un crédit. » C’est le constat asséné par Marc Ferracci, député Renaissance, proche du président de la République et rapporteur du projet de loi portant sur les mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail. Il fait reposer une partie de la problématique sur les règles d’indemnisation de l’allocation chômage, peu incitatives à la reprise d’un emploi, et sur le comportement des chefs d’entreprise, peu enclins à recruter en CDI.

Pour faire changer le comportement des patrons, le Gouvernement a décidé de pénaliser les mauvais élèves et de récompenser les bons. Dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage, le décret du 26 juillet 2019 modifié a instauré une modulation du taux de contribution d’assurance chômage à la charge des employeurs. La mesure, baptisée « bonus-malus », sur le modèle assurantiel, est effective depuis le 1er septembre dernier et concerne les entreprises de plus de onze salariés. Avec ce dispositif, le taux de contribution à l’assurance chômage, qui est actuellement de 4,05 %, varie à la hausse ou à la baisse, en fonction du taux de séparation des entreprises concernées. Techniquement, ce taux de séparation correspond au nombre de fins de contrats de travail ou de missions d’intérim assorties d’une inscription à Pôle emploi, rapporté à l’effectif annuel moyen. Le montant du bonus ou du malus est ensuite calculé en fonction de la comparaison entre le taux de séparation des entreprises concernées et le taux de séparation médian de leur secteur d’activité, dans la limite d’un plancher (3 %) et d’un plafond (5,05 %).

Le bonus-malus s’applique aux entreprises de onze salariés et plus relevant des secteurs d’activité dont le taux de séparation moyen est supérieur à 150 %.

Sept secteurs concernés.

« À l’origine, la mesure devait concerner tous les secteurs. L’arrêté du 28 juin 2021, relatif aux secteurs d’activité et aux employeurs entrant dans le champ d’application du bonus-malus, arrête la liste à sept d’entre eux. « C’est un arbitrage qui s’est fait au plus haut niveau de l’État », avoue à demi-mot Marc Ferracci. Sont donc concernés : la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac ; la production, la distribution d’eau et l’assainissement ; la gestion des déchets et la dépollution ; les « autres activités spécialisées, scientifiques et techniques – qui comprennent notamment les instituts de sondages, grands consommateurs de contrats courts ; l’hébergement et la restauration ; les transports et l’entreposage ; la fabrication de produits en caoutchouc et en plastique ainsi que les autres produits minéraux non métalliques ; le travail du bois, les industries du papier et l’imprimerie. « D’après des simulations de calcul, ces sept secteurs représentaient un tiers de l’ensemble des fins de contrats avec inscription à Pôle emploi », précise Marc Ferracci. Ailleurs, toutefois, on grommelle contre un calcul du taux de séparation « qui a fort opportunément permis au secteur du bâtiment d’échapper au couperet du bonus-malus »… Mais, concernant les premières modulations entrées en vigueur en septembre 2022, les secteurs les plus malmenés par la crise sanitaire ont été exclus temporairement de l’application du bonus-malus. C’est le cas pour l’hébergement et la restauration, les transports et l’entreposage, la fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac et et les autres activités spécialisées, scientifiques et techniques.

Sur le plan comptable, cette première modulation des contributions au titre du bonus-malus a été calculée à partir des fins de contrats de travail ou de missions d’intérim constatées entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022. « Résultat : seules 18 000 entreprises sont concernées. Alors qu’au départ, le périmètre du bonus-malus devait s’appliquer aux 2 millions d’entreprises recensées en France, sans exonération sectorielle ni de taille. Aujourd’hui, moins de 1 % des entreprises sont concernées », observe Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, entre 2017 et 2020. Celui qui préside aujourd’hui le cabinet RH Quintet Conseil poursuit : « La genèse du bonus-malus remonte à l’hiver 2016-2017, lorsque l’équipe du candidat Emmanuel Macron prépare son programme sur l’assurance chômage. Le futur président promet alors la mesure du bonus-malus, le droit à l’assurance chômage pour les salariés qui démissionnent et le droit au chômage pour les indépendants. Le dispositif a trouvé sa place et est la contrepartie des entreprises à l’effort demandé aux chômeurs. »

Des critiques de tous bords.

Initialement, la CGT avait adhéré à ce principe calqué sur la notion de pollueur-payeur. Elle a cependant déchanté. « L’objectif n’était pas de déshabiller l’assurance chômage avec un bonus accordé aux entreprises ! » tempête Denis Gravouil, en charge du dossier de l’emploi à Montreuil. Le sentiment de gâchis porte aussi sur le faible nombre d’entreprises concernées (18 000) parmi lesquelles 12 000 vont bénéficier du bonus. « C’est un énorme bonus pour les entreprises. Un cadeau sur le dos de l’assurance chômage. Une politique pro-patronale ! Le patronat, vent debout contre la mesure au début, curieusement, ne dit plus rien aujourd’hui », ironise-t-il. Et de s’agacer contre la borne du malus (+ 1 point d’augmentation des cotisations patronales), insuffisante selon lui pour décourager les chefs d’entreprise d’avoir recours aux contrats courts. Même constat de la part de Chantal Richard, secrétaire confédérale à l’emploi et à la sécurisation professionnelle de la CFDT : « Trop peu de secteurs impliqués, trop peu d’entreprises concernées et seules 6 000 entreprises impactées par un malus. Ce n’est pas cela qui va faire changer les chefs d’entreprise de comportement. » Pour Marylise Léon, numéro 2 de la centrale de Belleville, cette réforme « particulièrement injuste » suscite deux poids, deux mesures : « Nous avons, d’un côté, les entreprises qui ont bénéficié d’une phase d’observation pendant un an et pour qui la réforme n’est effective que maintenant, alors que la baisse des indemnisations des allocations chômage a commencé il y a un an. Finalement, ce sont les chômeurs qui sont ciblés avec cette réforme. »

Marc Ferracci tempère. Selon lui, le dispositif a vocation à être étendu à l’ensemble de l’économie dès lors qu’il sera susceptible de modifier les comportements des chefs d’entreprise. Si les bornes de variation des cotisations (de – 1,05 à + 1 point) restent relativement modestes, rien n’interdit de les élargir pour que l’impact soit plus fort à l’avenir. Le bonus-malus sera observé avec attention par le Gouvernement pendant un an, voire deux ans, avant de pouvoir en tirer des conclusions.

Les critiques ne viennent pas uniquement du camp des syndicalistes. Bertrand Martinot, économiste, expert du marché du travail au sein de l’Institut Montaigne détaille : « Impliquer tous les secteurs, à l’instar de ce qu’ont instauré les États-Unis, était le vœu pieu du Prix Nobel d’économie 2014, Jean Tirole. Cela aurait eu une rationalité économique. Le bonus-malus avec les modalités telles qu’elles ont été définies a été pensé à la française. Cela donne une coloration sociale à un paquet de mesures libérales. » La question du bonus-malus telle qu’elle est posée laisse supposer que les contrats courts sont le fait de l’employeur. Or, le problème n’est pas aussi simple : tous les salariés ne veulent pas d’un CDI et tous les employeurs ne cherchent pas à recruter des CDD. S’il est favorable à un durcissement des règles d’éligibilité à l’assurance chômage, il enjoint également les employeurs à revoir les conditions de travail pour fidéliser leurs salariés. « Que l’État donne l’exemple, lui qui n’arrive pas à recruter dans l’enseignement ! »

Auteur

  • Irène Lopez