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Femmes de plus de 50 ans : une double peine en entreprise

Décodages | Seniors | publié le : 01.10.2022 | Lucie Tanneau

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Femmes de plus de 50 ans : une double peine en entreprise

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L’âge est le premier critère de discrimination ressenti par les salariés. Le sexisme est également une préoccupation en entreprise. Alors être femme et senior peut ressembler à un parcours de combattante pour trouver un emploi et le conserver ou évoluer dans sa carrière. Des initiatives commencent à apparaître pour ne pas oublier la moitié de la population, pendant les quinze dernières années de la carrière.

C’est presque un sujet de magazine people. Son titre : « Où sont les actrices de plus de 50 ans ? » Sauf qu’ici on ne parle pas de La Croisette, de Catherine Deneuve et de quelques autres qui tirent leur épingle du jeu… mais des femmes qui cherchent un boulot plus classique. à 50 ans, il reste aux salariés quinze ans de carrière. Un tiers de leur vie professionnelle. Et ce, qu’ils soient homme ou femme. C’est un fait. Et pourtant… L’égalité de tous face à l’emploi n’est pas établie en France. L’âgisme est un frein. Le taux de chômage des seniors reste plus élevé que le reste de la population. Alors que celui des cadres ne dépasse pas les 3,4 %, 100 000 cadres de plus de 55 ans sont inscrits à Pôle emploi. « Le recrutement est une vraie difficulté pour ces seniors, ce qui est incompréhensible du point de vue de l’adéquation entre les besoins de compétences et les compétences disponibles », regrette ainsi Gilles Gateau, directeur général de l’Association de l’emploi des cadres (Apec). L’âge est aussi le premier critère de discrimination ressenti par les salariés selon le dixième baromètre du Défenseur des droits. Être âgé de plus de 45 ans est perçu comme un inconvénient par 29 % des agents publics et 27 % des salariés du privé.

Pour les femmes, le sexisme, qui reste courant en entreprise, s’ajoute à l’âge. Pour plus de huit femmes sur dix, le sexisme est en effet encore une réalité dans le monde du travail aujourd’hui, selon une étude de l’Association française des managers de la diversité (AFMD) de 2021. Et pour plus de neuf femmes sur dix, les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes sont aujourd’hui encore très importantes, révèle la même étude. Un chiffre résume les inégalités : l’écart de revenu salarial entre femmes et hommes atteint encore 22,3 %, et ce, malgré l’index égalité censé corriger le tir. Pire, la prise de conscience et les évolutions de mentalités dont on parle tant ne changent rien (ou pas grand-chose) : cet écart n’a été réduit que de 5,1 points depuis 1995.

« Être femme et avoir plus de 50 ans, en entreprise, c’est la double peine, résume Laetitia Niaudeau, directrice adjointe de l’Apec. On a l’habitude de parler du sujet des seniors ou de celui des femmes, mais rarement de lier les deux. Quand on le fait, on voit bien le problème : les femmes seniors sont en proie aux stéréotypes sexistes et âgistes, qui compliquent leur carrière. Cette addition rend les difficultés encore plus grandes. »

Recruter à toutes les étapes de la carrière.

« Dans les représentations, les femmes sont vieilles plus tôt que les hommes, c’est lié à la ménopause », renchérit Anne-Laure Thomas-Briand, directrice diversité, équité et inclusion France du groupe L’Oréal, et coprésidente de l’AFMD. Le groupe est à l’origine, avec le club Landoy (cercle de réflexion sur la transition démographique à l’initiative du groupe Bayard) de l’acte d’engagement sur la place des seniors en entreprise, signé par 32 grandes entreprises en mars dernier. Il comprend dix engagements clés autour du recrutement, de la formation, du maintien dans l’emploi, de l’accompagnement des évolutions de carrière, du bien-être au travail, du départ à la retraite et de la sensibilisation aux stéréotypes liés à l’âge. Le but : recruter des personnes à toutes les étapes de leur carrière, mais aussi favoriser la transmission des savoirs entre les générations. Pour Anne-Laure Thomas-Briand, cette initiative peut faire bouger les choses, sur le modèle de StOpE – Stop au sexisme ordinaire en entreprise – ces dernières années. Le principe de cet acte d’engagement, au-delà de mettre le sujet sur le devant de la scène, est un échange de bonnes pratiques entre entreprises, histoire de faire gagner du temps à toutes. Les initiatives intéressantes sont mises en avant. L’Oréal insiste sur « l’importance de se former tout au long de la vie ». « On encourage les femmes à travailler leur leadership avec des formations dédiées », décrit Anne-Laure Thomas-Briand. La journée « Auteur et acteur de formation » est par exemple l’occasion d’un point d’étape, tous les sept ans, qui permet de prendre du recul sur ses expériences professionnelles et personnelles : tous les soft skills acquis au travail mais aussi en tant que maman ou aidante sont valorisables », encourage-t-elle. L’Oréal a aussi travaillé sur l’expatriation des femmes, « alors que l’expatriation est un accélérateur de carrière », mais que les femmes ne représentaient que 17 % des expatriés du groupe en 2007, « car quand le conjoint suit, il a peur de ne pas trouver d’emploi », explicite la directrice diversité. Aujourd’hui, femmes et hommes s’expatrient quasiment autant (47 % de femmes en 2017, avant Covid). « Il faut changer l’image que l’on se fait des femmes de plus de 50 ans : aujourd’hui, elles sont extrêmement dynamiques, avec beaucoup d’envie et de motivation », répète-t-elle. Comme s’il y avait besoin de le rappeler.

Au sein des Galeries Lafayette, une « entreprise de femmes », alors qu’elle est composée de 71 % des femmes, avec 64 % de cadres femmes, selon la direction de la communication, le sujet est également regardé de près. Le groupe a signé l’acte d’engagement et met en avant son dispositif vis-à-vis des aidants, qui sont souvent des aidantes. Une ligne d’écoute et d’accompagnement Lafayette Entraide existe depuis 2017, « pour orienter ces populations qui peuvent se retrouver à la fois aidants de leurs parents et soutien de leurs enfants, (« génération sandwich ») » expose-t-on aux Galeries. Des dispositifs d’accompagnement spécifiques pour les collaboratrices et collaborateurs victimes de violences conjugales ont aussi été créés. Enfin, le mécénat de compétences qui permet de se rapprocher d’associations et de leur faire bénéficier des aptitudes de salariés en fin de carrière, sur leur temps de travail, est une démarche davantage effectuée par les femmes, d’après le groupe.

Autocensure.

À La Poste, les femmes de plus de 50 ans représentent 22 % des effectifs. « Elles ont toute leur place », assure d’emblée Florence Wiener. La directrice de la stratégie sociale et de la QVT du groupe met en avant deux volets importants pour le confirmer. « 5 % des femmes de plus de 50 ans ont eu une promotion [8 % dans l’entreprise, et 5 % également pour les hommes de plus de 50 ans, NDLR], ce qui montre qu’il y a un déroulé de carrière également après 50 ans à La Poste pour les femmes. Et nous recrutons des femmes de plus de 50 ans », assure-t-elle. L’an dernier, 117 femmes de plus de 50 ans ont ainsi été recrutées en CDI et 740 en CDD, notamment grâce au dispositif CDD seniors (187 personnes). Un point à valoriser alors que nombreuses sont les femmes qui n’osent pas changer de carrière passé 50 ans (voire 40 !) de peur de ne pas retrouver un emploi. « Elles subissent le poids des représentations liées à l’âge – les seniors seraient moins adaptables, connaîtraient moins le numérique, seraient surpayées, représenteraient un investissement en formation pour rien à quelques années de la retraite, etc. – et celles liées au genre – les femmes seraient moins disponibles en raison des contraintes familiales, auraient moins de capacités managériales », regrette Laetitia Niaudeau de l’Apec, avant de rappeler qu’à 50 ans il reste « au minimum dix ans de carrière ». « Une entreprise n’est pas du tout certaine de garder un jeune plus longtemps : ils ont une propension plus forte à changer de métier. La fidélisation d’un senior est plus assurée », encourage-t-elle, comme un argument de recrutement. L’organisme (1 000 collaborateurs) est concerné par le sujet en interne, où la moitié des collaborateurs en CDI ont plus de 50 ans, et 73 % d’entre eux sont des femmes. Ces femmes seniors représentent aussi 11 % des nouvelles embauches l’an dernier. Avec un plan d’action envers elles : « les accompagner vers la fonction de managers » alors que 61 % des managers ont plus de 50 ans… mais les femmes ne sont que 36 %. « Nous avons lancé un dispositif de mentorat avec des dirigeants pour accompagner les femmes, qui vont moins naturellement vers ces fonctions, expose Laetitia Niaudeau. Clairement, il y a de l’autocensure chez les femmes. » L’Apec est également concernée par ce sujet en externe. Pour agir auprès de ses clients, le groupe a décidé de favoriser la mise en relation entre entreprises et candidats lors de recrutements. « Une rencontre peut permettre de déjouer les stéréotypes », assure Laetitia Niaudeau.

Forbes a publié l’an dernier une liste des 50 femmes de 50 ans et plus qui ont un impact sur leur secteur, au sein de leur communauté, dans le monde… Femmes politiques, dirigeantes d’ONG, scientifiques, scénaristes, entrepreneures… Une valorisation importante pour changer le regard de la société. « Le sous-emploi des femmes seniors représente un risque réel pour la croissance du pays », alerte Laetitia Niaudeau. Des associations comme Force Femmes en ont fait leur sujet. Depuis 2005, l’association a accompagné plus de 25 000 femmes de plus de 45 ans au chômage. Avec un taux de réinsertion de 46 % et des ateliers spécifiques pour les femmes créatrices d’entreprises. Car un autre frein s’ajoute pour ces femmes entrepreneures : le banquier a lui aussi des stéréotypes ! Une étude réalisée par le site Anaxago montre que les femmes entrepreneures font face à deux fois plus de refus de la part des banques que leurs homologues masculins. « Les établissements bancaires remettent en effet en question leur capacité à gérer un projet d’une grande ampleur », révèle l’étude.

Changement de regard.

Des solutions ont été trouvées pour tenter de corriger ces inégalités d’accès au financement. La garantie Égalité femmes, mise en place par France Active, est par exemple un dispositif national qui permet de faciliter l’accès au crédit bancaire des femmes porteuses d’un projet de création, de reprise ou de développement d’entreprise. Elle couvre jusqu’à 80 % d’un emprunt bancaire dans la limite d’un montant de 50 000 €. Le prêt d’honneur Initiative France, accordé sans demande de garantie personnelle ni intérêts, permet aussi de faciliter la souscription d’un emprunt grâce à un effet de levier.

Pour faire évoluer les mentalités, le changement de regard est aussi un argument. Pour la première fois, au printemps, les Laboratoires Vichy ont organisé un événement, dédié à la place des femmes de plus de 45 ans dans la société à l’occasion de la journée des droits de la femme le 8 mars dernier. « C’est la première fois que je vois un forum sur ce sujet, et il a vite affiché complet », se réjouit Anne-Laure Thomas-Briand, de L’Oréal. « Les sujets de travail et ménopause, qui existent dans les pays anglo-saxons, commencent à arriver en France : on voit que les lignes bougent », se réjouit-elle. L’endométriose, le congé menstruel, la perte de confiance en soi liée à la ménopause deviennent des sujets, même s’ils restent tabous.

Alors que les femmes peuvent travailler sans l’accord de leur mari depuis cinquante ans, les inégalités d’accès à l’emploi, d’évolution de carrière et d’aide à la création d’entreprise paraissent dépassées et plus que conservatrices. Elles sont pourtant encore la réalité.

Auteur

  • Lucie Tanneau