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“Il y a un lien entre qualité du dialogue social, performance économique et amélioration du service public”

Actu | Entretien | publié le : 01.10.2022 | Benjamin d’Alguerre

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“Il y a un lien entre qualité du dialogue social, performance économique et amélioration du service public”

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Pour Béatrice de Lavalette, créatrice des Rencontres du dialogue de Suresnes, le dialogue social aurait tout à gagner à se rapprocher au plus près du terrain, au niveau de l’entreprise, sans interventionnisme excessif de l’État.

Comment se porte le dialogue social dans les collectivités territoriales ?

Béatrice de Lavalette : En dépit des évolutions « heureuses » induites par la loi de transformation de la fonction publique de 2019, les collectivités n’ont aucune obligation de signer des accords avec les syndicats. La loi considère que la légitimité issue de l’élection permet aux élus de diriger leur collectivité sans obligation d’y pratiquer un réel dialogue social. On peut regretter que les CST (nés de la fusion des anciens CT et des CHSCT, NDLR) demeurent dans un rôle consultatif. Le dialogue social y reste trop souvent purement formel et la collectivité employeur peut adopter légalement les textes inscrits à l’ordre du jour de ces instances consultatives en dépit d’un avis négatif des représentants du personnel.

En qualité d’élue chargée des RH et du dialogue social, j’ai, en ce qui me concerne, suivi le chemin inverse à Suresnes, dès mon élection en 2008, en choisissant, avec le soutien de l’exécutif municipal, d’instaurer un vrai dialogue social au cœur de ma politique comme levier d’optimisation de la performance publique et du progrès social : cela passait pour moi par la négociation et la signature d’accords en amont des CT. C’était il y a quinze ans et nous comptons aujourd’hui trente-neuf accords conclus avec les syndicats. Après avoir rencontré le 9 janvier 2020 Olivier Dussopt, alors ministre de la Fonction publique, il avait souhaité que la mission relative à la négociation collective se rende à Suresnes (en février 2020) pour nourrir sa réflexion sur l’application de l’article 14 de la loi, notamment avec la méthode que nous avions mise en place privilégiant la conclusion systématique d’accords collectifs majoritaires. Ainsi, l’article 14 de la loi, qui avait vocation à revaloriser le dialogue social, a trouvé un prolongement intéressant à mon sens avec l’ordonnance de février 2021 qui donne force et valeur juridique aux accords collectifs. Et tant mieux si Suresnes a pu être source d’inspiration en la matière ! Auditionnée par le Cese, j’avais proposé que les sujets relatifs notamment aux conditions de travail nécessitent un accord majoritaire. Je regrette que cette évolution n’ait pas eu lieu, car si on souhaite revaloriser le dialogue social, il faut s’en donner les moyens. Force est de constater que la culture de l’accord n’existe pas vraiment dans la fonction publique territoriale et j’ose espérer que les évolutions législatives récentes permettent de corriger cela. Certains se réjouissent trop vite de la faillite syndicale, c’est une erreur : il y a un lien établi entre qualité du dialogue social, performance économique et amélioration de la qualité du service public.

Où en est-on du passage des collectivités territoriales aux 35 heures ? Le sujet est problématique dans les municipalités et se traduit parfois par des mouvements sociaux, voire des contentieux devant les tribunaux. Qu’en est-il dans la vôtre ?

B. de L. : Au cœur de mes projets, de ma vie, et de mes combats, il y a la justice et l’équité. Je considère bien sûr que la loi instituant les 35 heures doit s’appliquer. J’entends cependant que certaines collectivités ont pu prendre d’autres habitudes et mettre en place un autre mode de fonctionnement, souvent d’ailleurs sur la base d’accords collectifs. Il est tout à fait possible de s’inscrire dans la légalité tout en trouvant, dans le dialogue social, des issues au bénéfice de chacun… Et rien n’interdit de faire preuve d’ingéniosité en la matière ! À Suresnes par exemple, où il existait un certain nombre de jours dits « indus » dérogeant aux 1 607 heures, nous avons négocié avec les syndicats pour trouver des issues acceptables et qui constituent un vrai progrès social pour les agents, avec notamment notre accord sur une mutuelle avec une participation employeur à 42 € quand la moyenne en Île-de-France est de 8 €. Par ailleurs, un autre accord, conclu en 2018, offre la possibilité à nos agents de pratiquer une activité sportive et culturelle (2 heures par semaine) sans déroger à cette loi puisqu’intégrée au plan de formation.

Quels sont les chantiers à l’agenda de la fonction publique territoriale ?

B. de L. : Je vois plusieurs grandes thématiques : l’inégalité femmes-hommes qui demeure, l’emploi des personnes en situation de handicap, la rémunération et le pouvoir d’achat, l’attractivité de la fonction publique et les postes vacants sans oublier les élections professionnelles. Des progrès restent à faire en matière d’égalité salariale puisque l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est en moyenne de 14 % dans la fonction publique. C’est une question de volonté, comme nous le prouvons à Suresnes puisque notre politique ambitieuse a permis de réduire l’écart à 1,2 %. L’emploi des personnes en situation de handicap doit être également examiné, car trop de collectivités n’atteignent même pas le seuil légal de 6 %, là où notre politique a permis d’atteindre un taux de 9,7 % ! Dans un contexte où les salariés craignent pour leur pouvoir d’achat avec une inflation en hausse, les questions liées à la rémunération sont à l’agenda. Je vais encore citer Suresnes… mais, là encore, nous avons mis en place, en 2015 dans le dialogue social, une politique juste et équitable de prime au mérite qui a permis d’augmenter les rémunérations des agents pendant les dix années de blocage du point d’indice des agents de la fonction publique. N’oublions pas aussi la baisse de l’attractivité de la fonction publique et les difficultés de recrutement avec un nombre considérable d’emplois vacants. Pour attirer à nouveau des talents, il faut faire preuve d’imagination et s’inspirer des bonnes pratiques, quelquefois issues du privé, en développant des dispositifs pionniers et innovants comme nous avons su le faire pour les agents suresnois. Enfin, un enjeu de démocratie sociale avec les élections professionnelles le 8 décembre prochain qui éliront les représentants au sein des comités sociaux territoriaux (CST) : c’est un enjeu de taille pour l’ensemble des collectivités !

Même si elles n’ont pas concerné le dialogue social dans les collectivités, quel bilan tirez-vous des ordonnances Travail de 2017 avec cinq ans de recul ?

B. de L. : J’ai le sentiment d’une vivacité retrouvée dans le dialogue social d’entreprise et de branches au vu des 80 000 accords conclus fin 2021. Néanmoins, il est difficile de dire que les corps intermédiaires ont été particulièrement bien traités pendant le dernier quinquennat. Un paradoxe donc, avec une forte vitalité du dialogue social au niveau local et des conflits très emblématiques ces cinq dernières années marquées par des blocages (par exemple à la SNCF ou à Air France), sans oublier le mouvement des gilets jaunes qui a peut-être été un moyen de contourner ces corps intermédiaires un peu délaissés. Je salue dans ces ordonnances l’amorce d’une inversion de la hiérarchie des normes qui ramène le dialogue social au plus près du terrain et qui me paraît aller dans le bon sens. Cela permet aux syndicats et au dialogue social d’être au plus près des réalités locales, à l’image de ce qu’avait mis en place la loi Robien du 16 juin 1996. Celle-ci fixait un cadre et mettait à la disposition des partenaires sociaux des outils incitatifs tenant compte des spécificités de chaque organisation. Dans ce contexte, employeurs et syndicats se sont très vite emparés de la loi pour signer 3 000 accords. C’est à l’inverse d’un texte comme la loi Aubry 2, qui imposait les 35 heures sans laisser de marge de manœuvre, avec une décision qui s’est imposée par le haut. Je ferais en partie le même reproche aux ordonnances sur la fusion des instances paritaires. Elles se sont imposées à tous sans distinction, sans laisser aucune liberté aux acteurs du dialogue social du terrain. Pour revitaliser le dialogue social, pourquoi ne pas s’inspirer des dispositifs mis en place chez Axa et à Suresnes, avec la charte de reconnaissance du parcours syndical ou le chèque syndical ? Pourquoi ne pas aller encore plus loin aussi dans l’inversion de la hiérarchie des normes, amorcée par ces ordonnances (ce sera la thématique de notre dernière table ronde lors des Rencontres du dialogue social du 18 octobre), en valorisant mieux encore l’accord collectif majoritaire au niveau de l’entreprise sur tous les sujets, y compris la durée du temps du travail ? Pourquoi ne pas s’inspirer du modèle nordique où l’État est beaucoup moins interventionniste ? Quand intègrera-t-on enfin en France que le dialogue social de qualité, riche et constructif, est un véritable indicateur de la performance économique, de l’emploi et de la compétitivité ?

Béatrice de Lavalette

Adjointe au maire de Suresnes depuis 2008, Béatrice de Lavalette est en charge du dialogue social, de l’innovation sociale et des ressources humaines. Ancienne conseillère parlementaire de Gilles de Robien, elle a largement contribué à la rédaction de la loi du 11 juin 1996 sur la réduction du temps de travail. À Suresnes, où elle a contribué à l’installation d’un dialogue social entre la collectivité employeuse et les salariés, elle a négocié et conclu une quarantaine d’accords avec les syndicats et sept à la Région Île-de-France dont elle a été vice-présidente en charge du dialogue social entre 2017 et 2021. Elle organise depuis 2013 les Rencontres du dialogue social des secteurs public et privé.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre