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Des solutions innovantes… mais un chantier à développer d’urgence

Dossier | publié le : 01.06.2022 | Dominique Perez

Déjà critique depuis de longues années, la question de l’accès au logement pour les salariés revient avec une force accrue en ces temps de « post-crise » sanitaire, allant de pair avec un besoin de compétences qui menace la santé économique de certaines entreprises. Une problématique complexe qui mobilise collectivités territoriales, pouvoirs publics et partenaires sociaux. Avec un certain sentiment d’urgence.

L’imagination au pouvoir : pour permettre à leurs futurs salariés de pouvoir se loger, des entreprises, aidées ou non par des collectivités et des institutions, sont à la recherche de solutions innovantes. Quand la nécessité de travailler sa « marque employeur » pour attirer les nouvelles recrues est sur toutes les lèvres, faciliter l’accès à un habitat à loyer modéré situé le plus près possible du lieu de travail peut faire la différence pour des employeurs en quête parfois désespérée de « nouvelles compétences » et pas seulement dans des régions comme l’Île-de-France, historiquement tendues sur l’habitat. Il en va même parfois, au-delà de l’avenir d’une entreprise, de celui d’un territoire. C’est le cas à Saint-Nazaire, en Loire Atlantique, dont le maire tire la sonnette d’alarme : la pénurie de logements et les coûts du foncier en augmentation constante risquent de mettre à mal le développement économique et social de la ville, dépendant pour une bonne part de grands noms de l’industrie que sont Naval Group, Airbus ou les Chantiers de l’Atlantique. Autant d’activités qui requièrent une population en majorité ouvrière confrontée à des difficultés de logement grandissantes. Pris d’assaut suite à la crise sanitaire, le territoire a vu ses loyers et coûts de l’immobilier progresser au même rythme que la population. « Aujourd’hui, ma préoccupation majeure est de savoir comment je peux héberger des salariés de l’industrie de façon décente », souligne David Samsun, maire de Saint Nazaire et président de la Carène, la communauté d’agglomération de la région nazairienne et de l’estuaire. « On entend de toute part « il faut réindustrialiser le pays », certes, mais comment on le gère ? Est-on condamné à pousser les salariés, dont certains travaillent en horaires décalés, à vivre à 30 ou 40 km de leur lieu de travail ? Ce n’est bon ni pour l’emploi, ni pour le pouvoir d’achat, ni pour la qualité de vie. D’ores et déjà, des chefs d’entreprise signent des contrats de travail, que des candidats ne peuvent honorer faute de logement. Ces derniers repartent pour cette raison au bout de quelques mois », déplore-t-il. Mobiliser les dispositifs existants ne suffit plus, selon l’édile. Le territoire a ainsi bénéficié, fin décembre 2021, d’une aide financière d’Action Logement, pour la construction de 250 appartements à prix modérés, maîtrisés ou en accession abordable d’ici à 2025. Mais pour permettre notamment que de nouveaux logements sociaux soient fléchés pour les salariés de l’industrie, des groupes de travail ont été constitués autour de l’agglomération avec les principaux industriels du territoire. Objectif : imaginer des habitats innovants, à proximité des lieux de production et surtout du centre-ville, permettant notamment d’accueillir des travailleurs temporaires à l’occasion de chantiers importants. » Du « cousu main », représentatif d’une tendance de collectivités territoriales à s’impliquer dans la question du logement des salariés dans le cadre de leurs missions de développement économique. Et nécessairement imaginé en fonction des spécificités locales.

Un logement gratuit ou peu cher pour l’accueil des nouvelles recrues

Dans le Maine et Loire, la communauté de onze communes, Anjou Bleu Communauté a pris le taureau par les cornes face aux difficultés de recrutement des entreprises. « Nous nous sommes rapprochés de deux bailleurs sociaux, Maine et Loire Habitat et Podeliha, pour identifier des logements disponibles, pouvant être destinés à l’accueil des nouveaux salariés résidant à plus de 30 km à la ronde, explique Gilles Grimaud, président de la communauté de communes. Une trentaine de logements ont ainsi été identifiés en vue de proposer, à la demande des entreprises, un logement gratuit aux nouvelles recrues, sans condition de ressources. » Une solution temporaire de six mois, le temps de s’installer à la fois dans son poste et sur le territoire. À l’issue de cette période, les locataires sont mis en relation avec Action Logement, qui prend le relais pour leur proposer un accompagnement. Un système qui ne pouvait pas être géré directement au sein de la communauté de communes, et mis en place avec le club d’entreprises l’Asdepic (Association segréenne de dirigeants d’entreprises et de production industrielles et commerciales). Vérification de l’éligibilité des demandes, proposition de logements, état des lieux, paiement des loyers… Un chargé de mission de la communauté de communes, détaché auprès du club, consacre ainsi environ 10 % de son temps à ces tâches. Anjou Bleu Communauté finance l’intégralité du dispositif (108 000 euros pour 30 logements). Alban Hiron, patron de l’entreprise Jousselin Construction installée à Ombrée d’Anjou – 72 salariés – a déjà bénéficié de cette opportunité pour deux de ses nouvelles recrues. « Nous avons un taux de chômage faible dans le Segréen, et assez peu de possibilités de logement. Nous sommes au carrefour de plusieurs départements, de la Mayenne, de l’Ile-et-Vilaine et de la Loire-Atlantique, ce système permet d’accueillir des personnes venant de territoires. » L’entreprise cherche à recruter sur l’ensemble de ses postes (huit personnes en 2022) pour des métiers très pénuriques : maçons, coffreurs bancheurs, mais également techniciens de bureaux d’études, ou conducteurs de travaux. « Quand nous recevons les candidats, nous leur faisons part de la possibilité de logement gratuit pendant les six premiers mois, c’est un atout certain, cela facilite la mobilité, et permet de se démarquer par rapport aux entreprises des départements voisins. »

Les jeunes, une priorité

Autre territoire, autre problématique, mais réponse approchante dans la Marne, ou Axon’ Câbles SAS, entreprise de 150 salariés située à Montmirail, bourgade de 4 500 âmes, n’a pas attendu la baisse du taux de chômage pour faciliter l’accueil des ingénieurs, stagiaires ou embauchés, qu’elle recrute régulièrement. Si le modèle des cités ouvrières, avec des logements édifiés dans l’enceinte ou à toute proximité de l’entreprise n’est pas d’actualité, la PME a décidé d’investir dans l’immobilier pour faciliter la venue de ces jeunes peu enclins traditionnellement à déménager dans des territoires « enclavés ». « L’une des grosses difficultés est l’absence de transports en commun permettant d’accéder à l’entreprise, ou de rejoindre les villes les plus proches, témoigne Séverine Blandeau, responsable des ressources humaines. Or nous savons que les jeunes qui ont longtemps habité en ville n’ont pas forcément passé leur permis de conduire, parce qu’ils n’en ont pas ressenti la nécessité ou eu les moyens. Il semblait donc logique pour nous de leur proposer une solution pour qu’ils puissent s’installer. D’autant qu’il est compliqué de trouver un logement quand vous venez faire un stage de six mois, ou que vous n’êtes pas certain de signer un contrat de travail après la période d’essai. » La transformation d’un bâtiment situé dans l’enceinte de l’entreprise en maison a permis, dès 1985, d’accueillir dans un premier temps des stagiaires étrangers venus se former en partie en France. Puis, il y a une quinzaine d’années, l’offre se développe, et l’entreprise acquiert également des maisons au centre-ville et autour du site pour proposer aujourd’hui une soixantaine de chambres pour les jeunes « venus d’ailleurs ». Une solution qui est cependant limitée dans le temps : entre six mois et un an, en fonction du taux d’occupation. « On leur demande un petit loyer, de 150 euros par mois, ensuite nous les mettons en relation avec Action Logement qui prend le relais pour l’accompagnement vers d’autres solutions. » Si la DRH ne peut évaluer précisément le coût engendré par cette opération, l’entreprise y investit à la fois des moyens matériels et humains internes : « Ce sont par exemple les services maintenance qui entretiennent ces locaux, au même titre que ceux de l’entreprise. » Un investissement qu’Axon’Câbles ne regrette pas : « Les ingénieurs ont beaucoup moins d’hésitation à venir à la campagne, et nous avons également constaté un autre bénéfice, c’est une intégration accélérée sur le site, constate Séverine Blondeau, les nouvelles recrues travaillant dans des services différents se rencontrant dans les logements. Ils bénéficient chacun d’une chambre individuelle et d’espaces communs pour se retrouver, dont les cuisines, on leur tient encore un peu la main », sourit la DRH. Un sas entre l’école et le monde du travail, avec un développement de l’esprit « promo » pour ces jeunes en stage ou tout juste diplômés qui arrivent dans un territoire qui leur était inconnu, pour la plupart d’entre eux. Autre problématique pour des territoires en développement : l’accueil des stagiaires ou des jeunes en alternance, qui peuvent freiner des projets, aussi ambitieux soient-ils. À Aurillac, dans le Cantal, c’est autour de la CCI que la réflexion s’est organisée. Depuis 2012, un centre national de formation dédiée au Très haut débit voit le jour et accueille 450 alternants, dont l’hébergement relève du véritable cassetête. « Tous les dimanches soir quasiment, nous nous attelions à quelques-uns à gérer les départs et arrivées, trouver des logements, rendre les clefs… témoigne Christophe Douhet, directeur général de la CCI du Cantal. Nous avons fini par tirer la sonnette d’alarme et par contacter les principaux bailleurs sociaux du territoire pour imaginer des solutions pérennes pour l’hébergement de nos alternants. » L’un d’eux, Polygone, répond présent, et propose un programme de logements situés près du centre de formation. Bailleur social, CCI et collectivités locales se mettent autour de la table et affinent les besoins. Inaugurée en octobre 2021, la résidence « Darwin » sort de terre, avec une centaine de logements créés, dont 60 % sont destinés aux jeunes en alternance et 40 % à des nouveaux salariés d’entreprises locales de tous secteurs, dont la santé, l’aide à la personne, le BTP… Action Logement finance près d’un tiers du budget de l’opération dans le cadre du programme Action cœur de ville, soit 256 5 000 euros apportés au bailleur, 60 % sous forme de subvention et 40 % en prêt. « Construire un bâtiment, c’est presque facile, pourrait-on dire, explique Christophe Douhet. Mais sa gestion dans ce cas relève quasiment d’une organisation hôtelière, le bailleur social a créé une cellule de gestion ad hoc pour y parvenir. » Vaisselle dans le placard, connexions, « Wesh bar », lieu d’échanges… « Nous avons voulu une haute qualité de l’accueil, précise la CCI. Certaines entreprises vont plus loin pour les alternants qui sont sous contrat avec des entreprises du département en leur mettant à disposition une voiture… » Ces initiatives qui naissent un peu partout en France ne résolvent certes pas cependant l’ensemble d’une problématique devenue cruciale, mais prouvent que les réponses sont d’abord à imaginer territoire par territoire.

Auteur

  • Dominique Perez