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Décodages

Avant l’entreprise, la scène

Décodages | Apprentissage | publié le : 01.06.2022 | Irene Lopez

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Avant l’entreprise, la scène

Crédit photo Irene Lopez

 

Du 11 au 19 mai, plus de 500 apprentis de 16 à 28 ans étaient sur la scène du Théâtre Marigny à Paris pour valoriser leur métier. Un événement, les Apprentiscènes, qui fait ses preuves depuis vingt ans.

« C’est mou… Je veux plus d’énergie ! Allez, on refait. Et on y met du rythme ! » Sur la scène du théâtre Marigny, Thierry retourne dans les coulisses et recommence son entrée. Nous sommes le 13 mai 2022. Il est 14 h 30. Le metteur en scène est directif et s’adresse à lui comme il le ferait avec un comédien aguerri. Pour le jeune, c’est une première et l’expérience est à mille lieues de son quotidien. Il étudie la vente et quand il aura fini son alternance, il postulera pour devenir conseiller en vente. Comme lui, ils sont plusieurs centaines à s’essayer au spectacle vivant. Accompagnés de metteurs en scène, des groupes de cinq à sept apprentis en CFA se forment à mieux vivre l’entreprise et la relation sociale, en créant des saynètes théâtrales de 3 minutes pour valoriser leur métier et en les interprétant sur les planches d’une scène de théâtre devant le grand public et un jury de professionnels et de personnalités. Ce théâtre dit « comportemental » qui rime avec alternance et apprentissage est le socle d’Apprentiscène.

Cela fait vingt ans cette année qu’Apprentiscène met en avant le talent des apprentis de tous métiers et de tous niveaux dans un format unique en Europe et par un concept original déposé qui a déjà permis à plus de 10 000 jeunes de vivre une aventure pédagogique et culturelle hors du commun.

16 heures. Des jeunes, assis sur la pelouse des jardins des Champs-Élysées, répètent un texte. « Je n’ai pas dormi de la nuit, raconte Quïs, apprenti boucher. J’ai révisé mon texte jusqu’à 22 heures. » Arthur et Jules acquiescent : « Cela n’a rien à voir avec notre quotidien. Jamais je n’aurais imaginé jouer sur une scène devant 400 spectateurs. » Lison Pinet, comédienne et metteuse en scène qui les fait répéter, les couve d’un regard tendre : « Ces saynètes sont le fruit de 14 heures d’ateliers de théâtre, que les apprentis ont suivi en parallèle de leur formation professionnelle de janvier à mai 2022. Un vrai challenge pour la majorité de ces jeunes, car il s’agit pour la plupart de leur première expérience théâtrale. »

Être à l’aise face aux autres.

Olivier Mothes est l’un des cofondateurs d’Apprentiscène. Ancien formateur à la chambre de commerce de Paris, il sensibilisait les jeunes étudiants qui allaient passer leur baccalauréat professionnel option Ventes à l’expression orale. Il avait choisi le théâtre pour leur faire travailler leur gestuelle, se sentir à l’aise face aux autres… Il confie « Quand on commence à apprendre le théâtre, on essuie les plâtres en se confrontant aux pièces de Marivaux. Or, les jeunes n’avaient aucune appétence pour les textes classiques. Il y a vingt ans, ils découvraient les jeux vidéo, l’informatique. La tendance était déjà au zapping. Nous avons donc décidé de leur faire jouer des séquences de publicité. Elles sont devenues des saynètes où ils promeuvent leur métier, jouées sur les planches d’un théâtre. »

17 h 30. Yousrah est comorienne et se destine à la coiffure. L’apprentie confie avoir du mal avec la langue française et manque de confiance. Ces camarades ont beau la rassurer, pour elle, l’enjeu est de taille. Elle va devoir s’exprimer haut et fort devant un parterre de spectateurs. Clara, dans la même promotion, est très timide. Blonde, plutôt fluette, elle ne tient pas en place et peine à dissimuler son trac. Pourtant, la jeune apprentie coiffeuse réalise son rêve d’enfant : avant d’apprendre à coiffer, elle souhaitait être actrice. »

Florent est passé par là. L’année dernière, c’est lui qui jouait sur la scène du théâtre. Il partage son ressenti : « Cela m’a donné confiance en moi. Cela m’a appris à prendre la parole. Sur le plan professionnel, cette expérience a aussi eu des répercussions. Forcément, avoir confiance rejaillit dans le travail, au quotidien. Je suis plus à l’aise. » Manon a également joué le jeu l’année dernière. Elle témoigne : « Vous allez penser que j’exagère, mais je peux dire qu’Apprentiscène m’a aidé à m’épanouir. Cette expérience a changé ma vie. »

Céline Dussaussois, enseignante d’histoire-géo et de lettres au CFA de Nanterre, confirme : « Je me souviens d’une élève qui n’ouvrait jamais la bouche en cours. Même avec ses camarades. Après l’expérience du théâtre, elle multipliait les échanges avec eux. Elle osait. »

18 heures. Au bar du théâtre, une metteuse en scène s’affaire et verse de l’eau chaude dans un gobelet. Elle explique : « Une des apprenties n’a plus de voix. Je lui prépare un thé chaud pour soulager ses maux de gorge. » Aurait-elle trop forcé sur ces cordes vocales à force de porter sa voix jusqu’au dernier fauteuil de la salle ? « Non, c’est psychologique, répond la metteuse en scène. Elle a le trouillomètre à zéro. Ce soir, galvanisée par ses camarades et le public, je suis sûre qu’elle y arrivera. »

Savoir-être professionnel.

Selon l’enquête de la Région Île-de-France sur l’acquisition des savoir-être professionnels par les jeunes ayant participé à la neuvième édition, les entreprises sont les premières à constater une évolution positive de leur comportement. « Dire bonjour, se tenir droit, regarder son interlocuteur dans les yeux, poser des questions… Cela peut paraître banal. Cela ne l’est pas pour ces jeunes, parfois en rupture de contrat et éloignés des codes du savoir-être professionnel », commente Olivier Mothes.

Cette pratique ludique du « théâtre comportemental » est un programme unique en Europe. Il est aussi une vitrine qui valorise l’image de l’apprentissage dans son ensemble. De nombreux partenaires partagent ses objectifs comme l’OPCommerce, OPCO2I, l’AFT Transport et Logistique, CY Cergy Paris université, OPCOEP région Pays de la Loire. Ils se sont donc naturellement engagés dans l’aventure afin de permettre à plus de 500 jeunes de vivre cette expérience. Ces organismes agréés par l’État ont en effet pour mission de financer l’apprentissage, d’accompagner les branches à construire des certifications professionnelles et d’accompagner les entreprises à définir leurs besoins de formation.

19 heures. Le jury arrive au théâtre. Emmanuelle Lhuillier, conseillère en formation continue et responsable du dispositif académique de bilan et mobilité auprès du ministère de l’Éducation nationale, Thibaut Sombardier, chef étoilé, et Stéphane Solinski, directeur général de Sport 2000, vont devoir départager les saynètes et récompenser deux groupes. Les heureux gagnants se retrouveront lors d’une grande finale, le dernier jour d’Apprentiscène. La veille, Michel Hazanavicius, acteur et réalisateur (notamment des films « The Artist » et « OSS 117, Rio ne répond plus ») faisait partie du jury. Un des jeunes apprentis l’a impressionné. C’était la première fois qu’il mettait les pieds sur une scène de théâtre et pourtant il avait tout d’un comédien : « Il se plaçait convenablement dans la lumière, il occupait l’espace, il avait une présence. » Le jeune, qui n’a aucune velléité de devenir acteur, prendra désormais des cours de théâtre sur les conseils du réalisateur.

Les entreprises y trouvent également leur intérêt : reprendre confiance en soi, savoir s’exprimer clairement, apprendre à travailler en équipe, gérer son temps, anticiper et prendre des initiatives sont les softskills que ces jeunes apprentis acquièrent ou affinent tout au long de ce programme.

À 19 h 30, les alternants et apprentis terminent de se maquiller dans les loges. Fébriles, certains se trémoussent dans les coulisses ; d’autres s’isolent pour mieux se concentrer. La tension et l’excitation sont palpables. Le public est déjà installé. Il est composé à 30 % de particuliers amateurs de théâtre qui payent leur billet, les partenaires et les proches des apprentis complètent la salle.

20 heures. Le rideau se lève. Le spectacle peut commencer.

En vingt ans, 1 812 saynètes ont été créées et interprétées par 10 896 apprentis devant 60 950 spectateurs. 143 célébrités du monde de la culture sont venues apporter leur soutien et trois récompenses dont une à l’international ont reconnu la valeur de cette démarche. 36 320 heures de formation ont également été dispensées. Aucun autre programme en France n’a atteint ces objectifs pour promouvoir l’apprentissage.

En chiffres

APPRENTISCÈNE 2022

• Plus de 500 apprentis participants

• 70 CFA issus de plus de 10 secteurs différents (hôtellerierestauration, coiffure, transport…)

• 75 groupes

• 60 metteurs en scène

• 75 saynètes

• 400 spectateurs chaque soir pendant une semaine

Auteur

  • Irene Lopez