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Après le Beauvau, les gains sociaux

Décodages | Police | publié le : 01.04.2022 | Irène Lopez

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Après le Beauvau, les gains sociaux

Crédit photo Irène Lopez

 

Le Beauvau de la sécurité a accouché le 2 mars dernier d’un « protocole pour l’amélioration des ressources humaines dans la police nationale » signé unanimement par les organisations syndicales. Salaires, primes, conditions de travail, QVT, encadrement… les policiers ont été bien servis sur le plan RH. à quelques semaines de la présidentielle.

Tout est parti d’une phrase prononcée par Emmanuel Macron en décembre 2020 lors d’une émission télévisée. Évoquant l’affaire Zecler, ce producteur de rap passé à tabac par des policiers, le chef de l’État a tancé les contrôles au faciès pratiqués par la police… entraînant une grogne immédiate de ses syndicats, vite transformée en franche contestation. Pour acheter la paix civile, Yves Lefebvre, alors secrétaire général de l’Unité SGP Police-Force ouvrière (premier syndicat en nombre d’adhérents, ex aequo avec Alliance Police nationale) indique au président de la République que la seule manière de racheter sa gaffe sera l’organisation d’un vaste chantier d’adaptation de la police aux nouvelles formes de délinquance. « L’Élysée a directement répondu par courrier à Yves Lefebvre pour lui annoncer la mise en place de grandes discussions, sans passer par le ministre de l’Intérieur qui l’apprend en même temps que nous. C’est du jamais vu ! », se souvient Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat. S’ensuivront, en février 2021, de longues négociations baptisées « Beauvau de la sécurité ». Un véritable « Grenelle » des forces de l’ordre qui accouchera d’un projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) doté de 15 milliards d’euros de crédits supplémentaires pour les cinq ans à venir dans le budget de l’intérieur.

Le projet vise à répondre aux enjeux sécuritaires et territoriaux des années à venir en dotant le ministère de l’Intérieur de nouveaux moyens humains, juridiques et budgétaires. Le texte ne sera examiné qu’en cas de réélection du candidat Macron, mais son volet RH a d’ores et déjà donné lieu à un protocole, signé à l’unanimité par les neuf organisations syndicales représentatives des différents corps de la police nationale. Ce front commun est sans précédent dans l’histoire du syndicalisme policier. Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie-Officiers (minoritaire) sourit : « Il peut y avoir des guerres picrocholines entre syndicats. Mais nous nous retrouvons sur l’essentiel. Exactement comme dans le film « Les Barbouzes » où quatre agents secrets s’unissent face à un péril commun. »

Le protocole repose sur quatre piliers : revaloriser les fonctions les plus exposées, responsabiliser l’encadrement, revoir les règles de mobilité pour faciliter l’affectation des policiers sur le terrain, et améliorer la qualité de vie au travail des policiers. Parallèlement, il acte noir sur blanc deux transformations essentielles pour l’avenir de la police nationale. En premier lieu l’ouverture d’une discussion sur l’augmentation du temps de travail, afin d’accroître la présence sur la voie publique, à articuler avec la future réforme des retraites. Dans un second temps, la forte limitation des mouvements de mutation pour éviter que certains territoires perdent brutalement un nombre important de leurs effectifs.

Choyer les syndicats policiers.

Cette soudaine générosité de l’État n’est-elle pas pour l’Élysée un moyen de s’attirer les bonnes grâces d’une profession qui vote traditionnellement à droite, voire très à droite, à quelques encablures de l’élection présidentielle ? Pour Patrice Ribeiro, la pratique n’est pas nouvelle : « Nous obtenons toujours davantage en fin de mandat qu’en début. Le dernier protocole a été signé en 2016, lors de la fin du quinquennat Hollande. Il s’agit plutôt de cycles, en fait. Quand l’un se termine, il faut en commencer un autre. Cela entraîne un effet cliquet. Ce que l’on obtient maintenant, on ne peut plus revenir dessus. »

Linda Kebbab, de son côté, n’y voit pas une tentative d’acheter les flics. « Nous sommes 150 000 policiers. Nous ne représentons pas une masse électorale suffisante pour infléchir les votes. Ce protocole, loin d’être parfait, est une prise de conscience. Malgré les crises, nous avons quand même une cote de confiance supérieure à beaucoup de corps de métiers. Ces avancées RH sont une manière de dire aux Français : « Je prends soin des policiers car vous les appréciez. » Auteure de « Gardienne de la paix et de la révolte » (Éditions Stock, 2020), la médiatique policière milite pour la « grande famille de la police » tout en mettant en lumière ses dysfonctionnements. FO-Police a beau minimiser l’influence des policiers sur le vote, nombre de politiques sont venus manifester le 19 mai devant l’Assemblée nationale pour les soutenir. La mobilisation de 35 000 personnes intervenait deux semaines après le meurtre du brigadier Éric Masson, sur un point de deal à Avignon. Du Rassemblement national au Parti communiste, en passant par le Parti socialiste et l’écologiste Yannick Jadot, des élus de tous bords s’étaient joints au rassemblement.

Revaloriser les indemnités.

Lors de l’écriture du protocole, les revendications salariales étaient au cœur des discussions. Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance Police nationale, ne mâche pas ses mots : « Pour bien appréhender son métier, encore faut-il que le policier soit bien dans sa peau, qu’il soit mieux considéré, reconnu. Peut-on vivre avec 2 000 euros par mois en moyenne ? Peut-on payer un loyer dans une grande ville avec une telle rémunération ? Aujourd’hui, elle est insuffisante. L’État doit revoir sa fiche de paie. »

Dans le détail, le ministre a souhaité mieux valoriser ceux qui sont exposés aux difficultés de la voie publique. Une prime spécifique de 100 euros par mois sera créée à cette fin. L’indemnité de travail de nuit sera triplée, passant d’un maximum de 100 à 300 euros. L’indemnité journalière d’absence temporaire (IJAT) des CRS sera rehaussée en trois étapes : augmentation de 1 euro au 1er janvier 2023, 1 euro au 1er janvier 2025 et 1 euro au 1er janvier 2027. Les policiers adjoints seront revalorisés de 15 euros au 1er juillet 2023 et 15 euros au 1er juillet 2024.

Un manque d’encadrement.

Le protocole clarifie également les grades d’encadrement pour les gradés et gardiens de la paix (Corps d’encadrement et d’application – CEA), en fusionnant les deux premiers grades du corps et en revalorisant notamment les grades de brigadier-chef et de major. Au-delà de cette nouvelle répartition hiérarchique, qui sera accompagnée d’une augmentation des taux d’encadrement, les CEA bénéficieront de gains d’indices et verront donc leur rémunération accrue. Thierry Clair, secrétaire général adjoint d’Unsa Police (organisation qui compte moitié moins d’adhérents que le premier syndicat) déclare : « Au sein de la police nationale, nous avons subi une diminution importante du corps des officiers de police. Ils étaient 16 000 en 1995. Ils ne sont plus que 7 800 aujourd’hui. Ils effectuent davantage des missions de commandements que d’encadrement. Nous nous sommes ainsi retrouvés avec moins d’officiers sur le terrain. » Il regrette que trop de jeunes collègues se retrouvent dans des quartiers difficiles et soient obligés d’apprendre par eux-mêmes. Ceux qui ont de l’expérience n’ont qu’un ou deux ans de plus que les jeunes recrues. « Il faut que des expérimentés viennent. Pour cela, il faut davantage de postes ! » conditionne-t-il. Le constat du manque d’encadrement est partagé par Linda Kebbab qui se réjouit de la mise en place de formation continue pour les chefs. Elle ajoute : « Il faut également qu’ils aient des perspectives de carrières. Leur reconnaissance sera synonyme de rémunération. Le point d’indice dans la police est gelé depuis 2010. Si l’on se penche sur les statistiques européennes, on s’aperçoit que la police française est la moins payée d’Europe. Nous sommes deuxièmes… en partant du bas ». Même avis de Patrice Ribeiro pour qui le ministre Gérald Darmanin considère enfin que le management de terrain n’était pas suffisamment appuyé. Il dit : « Il y a des postes qui ne trouvent pas preneurs. Nous avons mis en place des leviers d’attractivité comme la possibilité de passer au poste de commandant, quand on est capitaine, en trois ans. » Le policier est éligible au grade supérieur en neuf ans au lieu de douze. En outre, des postes de chef de service supplémentaires vont être créés. Un commandant qui passe chef de service recevra une indemnisation de 1 080 euros (contre 413 euros auparavant), comme les commissaires de police. « Effectuer un service de nuit dans la Somme ou à Beauvais, n’est pas attractif », affirme-t-il.

Lourdeur administrative.

Le nouveau protocole crée une indemnité de sujétion spécifique pour les personnels administratifs et techniques de la police nationale, pour tenir compte des contraintes particulières auxquelles ils sont exposés. Le ministère de l’Intérieur commente : « C’est un engagement fort qui accroîtra la rémunération des agents tout en comptant pour leur retraite. » Il annonce la mise en place d’un « statut dérogatoire » pour les personnels de police scientifique, ce qui était une revendication historique, qui seront désormais désignés de cette façon [suppression du T de police technique et scientifique] et bénéficieront donc de mesures statutaires adaptées à la réalité de leur métier et de leurs missions.

De nouvelles mesures en faveur de la filière investigation sont contenues dans ce protocole : la revalorisation dès le 1er janvier 2023 de la prime OPJ (officiers de police judiciaire) qui passera de 1 300 à 1 500 euros par an et la création des fonctions d’assistant d’enquête, nouveau métier des personnels administratifs de la police, qui seront spécifiquement formés et reconnus pour exercer leurs nouvelles attributions.

La lourdeur administrative est en effet fréquemment pointée du doigt par les policiers. Thierry Clair précise : « Le Conseil d’État est en train d’écrire le texte concernant la création des assistants d’enquête. Mais ils ne sont qu’un élément. C’est tout le système qu’il faut revoir. » Pour le secrétaire adjoint d’Unsa Police, en voulant donner des droits aux auteurs de méfaits, des strates ont été ajoutées à la procédure. « On en a oublié le sens de la garde à vue qui est de 24 heures et non pas de cinq jours. Lorsque l’on interpelle quelqu’un, nous avons un délai d’attente de deux heures pour qu’un avocat soit présent. Nous commençons ensuite l’audition. Si l’avocat arrive, nous la suspendons. Si la personne doit consulter un médecin, nous l’y conduisons, puis nous devons démontrer que son état est compatible avec une garde à vue. Les procès-verbaux représentent les 2/3 de notre temps ! » s’exaspère Thierry Clair. Autre perte de temps évoquée : lorsque la personne auditionnée s’exprime, elle donne parfois quatre versions différentes. Les policiers confrontent la personne à ses différents propos, ce qui fait perdre beaucoup de temps à l’enquête. Il s’exclame : « Aucun outrage pour frein d’enquête ne sera requis. Quelles prérogatives et moyens donne-t-on aux policiers ? » Le syndicat s’est battu en juin dernier contre la présence de l’avocat lors des perquisitions, vieille marotte du garde des sceaux. « Heureusement, le Sénat l’a retiré et l’Assemblée nationale n’est pas revenue dessus » conclut Thierry Clair.

Frédéric Lagache est intransigeant : « Il faut arrêter les mots et commencer les actes. Ceux qui rigolent sont ceux qui commettent les infractions. Il faut nous faire gagner du temps pour nous permettre d’aller sur la voie publique et réaliser nos missions. Si on ne nous fait pas gagner du temps, alors, il faut davantage d’effectifs. »

Ne pas désorganiser les services.

Le Gouvernement a également été attentif à poursuivre les efforts en faveur de la mobilité des agents. Après les personnels administratifs et techniques, l’indemnité temporaire de mobilité sera étendue aux agents de la police scientifique, aux officiers et aux commissaires. Une indemnité logement sera expérimentée pour certains postes de commissaire difficiles à pourvoir. Le ministère reste prudent : « Mais la mobilité doit être organisée et ne pas désorganiser l’activité des services. C’est la raison pour laquelle un plafond de départs sera instauré pour les services sous tension en matière d’effectifs. » Et, pour renforcer les dispositifs de fidélisation, le barème de l’indemnité de fidélisation applicable en Île-de-France sera prolongé pour les gradés et gardiens.

Ce protocole est également l’occasion de réaffirmer l’intérêt du dispositif « Voyager et protéger » ainsi que l’objectif d’une gratuité totale sur les lignes ferroviaires nationales à compter du 1er janvier 2023, « accompagnée bien entendu d’une contribution à la sécurisation des transports », s’empressent de rajouter les équipes de Gérald Darmanin.

À quoi s’ajoutent des mesures en matière d’amélioration de la qualité de vie au travail, « là encore pour prolonger et amplifier l’action conduite depuis cinq ans et résorber les importants retards de la police nationale en la matière, et répondre aux besoins importants et légitimes d’accompagnement de ses agents » commente le ministère : accroître les solutions en matière de garde d’enfants, mise en place d’un équivalent de « comité d’entreprise », etc.

Les prochaines élections professionnelles sont prévues en décembre 2022. Avec un taux de syndicalisation entre 80 % et 90 % (92 % pour le corps des officiers), le plus fort de la fonction publique, nul doute que les syndicats policiers continueront de peser face à l’exécutif. Le secrétaire général de Synergie-Officiers conclut : « Je souhaite à tous les corps de métiers d’avoir l’efficacité des syndicats de police. »

Le Beauvau de la sécurité en trois points

Lancée le 1er février 2021, cette consultation avait pour but de penser la police et la gendarmerie de 2030. Elle était initialement articulée autour des « sept péchés capitaux », dixit Gérald Darmanin lui-même : formation, encadrement, conditions matérielles, captation des vidéos des interventions, missions des inspections générales, effectifs, et relations police-population. À ces thématiques, le « Beauvau de la sécurité » a ajouté les relations entre policiers et magistrats. Les principales annonces faites par le président de la République suite au « Beauvau de la sécurité » sont les suivantes : une « simplification drastique » de la conduite des enquêtes, une réforme des horaires des policiers et des gendarmes pour permettre un accroissement de leur présence sur le terrain, la mise en place de « la plainte en ligne » en 2023… Pour traduire ces annonces dans les textes, Emmanuel Macron avait confirmé l’élaboration d’une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi). Ce projet, qui planifie sur cinq ans l’action du Gouvernement en matière de sécurité, constitue la trame du volet sécurité du programme du chef de l’État pour la présidentielle.

Auteur

  • Irène Lopez