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Barème Macron : « J’ai la justice pour moi, et je perds mon procès ! »

Idées | Juridique | publié le : 01.03.2022 |

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Barème Macron : « J’ai la justice pour moi, et je perds mon procès ! »

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Lorsqu’ils prennent connaissance du jugement les condamnant à de lourds dommages-intérêts, combien de petits patrons ont le sentiment d’Alceste en 1667 ?

Cas emblématique : le boulanger qui a vu, « de mes yeux vu, ma caissière prendre 100 euros et les mettre dans son sac ! Et elle a vu que je l’avais vue ! ». Mais comme il n’avait aucune autre preuve, cela a été parole contre parole. Et la caissière a gagné son procès en défaut de cause réelle et sérieuse car, en matière de licenciement, « le doute profite au salarié ».

Autre grand classique ? Une caméra de surveillance a été installée, mais l’employeur n’a pas consulté son comité social et économique et/ou informé chaque salarié : « Cette caméra, elle est au beau milieu du magasin : tout le monde était au courant ! » Là encore, le salarié pris sur le fait évoquera l’illégalité de cette preuve, qui deviendra inopposable. Et en l’absence de témoignages ou d’autres preuves, loyales (ni provocation, ni stratagème) et licites (consultation préalable du CSE + information individuelle de chaque collaborateur + respect du RGPD, et en particulier de son principe de minimisation de la collecte de données personnelles) : condamnation assurée aux prud’hommes.

Ces mésaventures arrivent évidemment moins souvent aux grandes entreprises dotées d’un service RH : « small » n’est donc pas du tout « beautiful » quand le droit du travail devient d’une vertigineuse complexité. Car ces petits patrons n’ayant pas de petit juriste ou de petit RRH se placent parfois dans l’illégalité à leur insu. Un malheur n’arrivant jamais seul, si Danone ou Total peuvent faire face à une condamnation à 18 mois de dommages et intérêts, ce n’est pas le cas de la TPE avec ses quatre mois de trésorerie. C’est une des raisons pour lesquelles un jeune ministre de l’Économie avait créé, en juillet 2015, un barême de dommages-intérêts spécial TPE en cas de licenciement injustifié. Mais sa loi, approuvée sur le fond par le Conseil constitutionnel le 5 août 2015, avait été censurée pour rupture d’égalité : « Le législateur devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ; si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est en adéquation avec l’objet de la loi, tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise. »

Devenu président de la République en mai 2017, Emmanuel Macron n’a pas abandonné. Le plafonnement en cas de défaut de cause réelle et sérieuse a donc été repris dans l’ordonnance du 22 septembre 2017, cette fois fonction de l’ancienneté du salarié en cause.

Comment expliquer l’incompréhension radicale entre défenseurs et pourfendeurs du barème, dont personne ne prétend qu’il soit parfait ? Pour ces derniers, il est incompréhensible que si un tribunal a jugé qu’un employeur n’aurait pas dû licencier, cette violation de la loi puisse donner lieu à l’application d’un plafond pouvant, le cas échéant, par sa prévisibilité, encourager une gestion économique des risques juridiques. Le préjudice causé doit donc être intégralement réparé, ce « quoi qu’il en coûte » non prévisible se voulant aussi dissuasif.

Cette vision « in abstracto » peut se comprendre. Mais suppose que relève d’une science exacte, à l’instar d’un radar automatique, l’existence d’une cause à la fois « réelle » (donc existante et exacte, parfois sur la base de témoignages contradictoires), et surtout assez « sérieuse » pour priver ce salarié-là de son emploi. Or, sans même parler des revirements de jurisprudence dont la Chambre sociale n’est pas avare (fait religieux au travail, trouble objectif caractérisé) ou des délicates questions de preuve évoquées supra, le contrôle judiciaire ne se résume pas toujours à sanctionner à un employeur délibérément passé au rouge.

Quels ont été les effets du barême ?

Quelqu’un pourra-t-il un jour répondre précisément à cette question ?

La grande chute du contentieux prud’homal remonte à la création de la rupture conventionnelle en 2008 : bien avant 2017. Mais en dix ans, il a été divisé par deux : 217 661 assignations en 2010, 101 871 en 2020.

Autour de cette idée de consensus plutôt que de contentieux, l’existence d’un barème a sans doute encouragé les futurs plaideurs à trouver un arrangement, sinon à signer une transaction, la marge de négociation étant nettement plus réduite côté salarié.

En oubliant les 30 milliards d’euros consacrés à l’activité partielle, les esprits les moins chagrins constateront enfin qu’avec 640 200 créations de postes, l’année 2021 a non seulement démenti les apocalyptiques prévisions de 2020, mais battu tous les records d’embauche, en CDI. L’effet « confiance » attendu du barème ?

Mais parlons dommages-intérêts….Plusieurs études ont été menées en 2020-2021, en particulier sur les premiers arrêts des cours d’appel se prononçant sur des faits post-septembre 2017.

Certes l’espoir d’un gain de 38 mois de dommages-intérêts, comme avant 2017 est réduit à 20 mois. Mais le rapport publié par le Comité d’évaluation des ordonnances le 16 décembre 2021 montre qu’avant ou après le barème, pas de révolution.

Avant, le salarié demandeur obtenait en moyenne 7,9 mois de salaire brut, avec une médiane à 6,5 mois. Depuis son application, la moyenne passe à 6,6 mois, et la médiane à 6 mois tout court… Pour cette dernière donc, un différentiel d’un demi-mois de dommages et intérêts.

Mais il se révèle fort rude pour le collaborateur avec moins de trois ans d’ancienneté, en particulier celui de la TPE de moins de 11 salariés : le plancher d’indemnisation de 0,5 mois et le plafond de 3,5 n’incitent guère à aller aux prud’hommes car une fois l’avocat payé…A fortiori les salariés âgés, mais avec une faible ancienneté : car retrouver du travail à 58 ans…

Cercle vicieux, s’agissant moins ici de premiers de cordée que de premiers de corvée.

Des effets indirects… et des dégâts collatéraux côté entreprise

Idée côté salarié demandeur ? Le barème fixant un plafond en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, aller chercher ailleurs. Deux possibilités.

La première est prévue par l’ordonnance de 2017 elle-même : le barême n’est pas applicable en cas d’atteinte à une liberté fondamentale : donc pas la liberté vestimentaire, mais la liberté d’expression, syndicale, ou le droit de grève. Un tel licenciement est alors frappé de nullité. Ce qui permet au salarié soit de demander sa réintégration forcée sous astreinte au Conseil de prud’hommes. Soit de se placer sur le terrain de l’indemnisation où, ici, le plancher passe de trois à six mois de dommages-intérêts, le plafond disparaissant purement et simplement. Retrouvant la liberté d’antan, le juge constatant l’atteinte à une liberté qui fonde notre démocratie a souvent la main lourde, fort lourde.

La seconde hypothèse est considérée par nombre d’employeurs comme un très fâcheux dégât collatéral du barème. Pour compenser le plafonnement, le licencié se place sur d’autres terrains : contentieux sur les forfaits jours avec un retour aux 35 heures et les heures supplémentaires allant avec sur trois ans, l’exécution déloyale du contrat, le maquis de l’inaptitude…

Sans oublier ceux pour discrimination, harcèlement managérial ou sexuel, avec une double incitation côté salarié : la preuve est très nettement allégée, et le plafonnement disparaît. Mais côté entreprise des aspects pénaux, et une médiatisation.

Dans notre monde de la réputation, « C’était mieux avant ! » pensent aujourd’hui des entreprises internationales. Justement…

En attendant l’arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de cassation…

Elle doit rendre avant l’été 2022 son arrêt sur la compatibilité du barème avec la convention 158 de l’OIT…

L’hypothèse d’une censure pure et simple du barème paraît minime. Dans des affaires similaires, l’OIT s’est elle-même montrée d’une immense prudence, remarquant qu’une réparation « adéquate » n’est pas forcément « intégrale » : chaque État dispose donc d’une marge de manœuvre. Putsch judiciaire d’autant moins probable que le 17 juillet 2019, la Cour de cassation avait, en Assemblée Plénière, rendu deux avis retenant la compatibilité du barème.

Côté sécurité juridique, la pire des hypothèses serait qu’elle reprenne le raisonnement de certaines cours d’appel : « Le caractère adéquat de la réparation allouée au salarié doit être apprécié de manière concrète, en considération de son préjudice et pourra ainsi conduire, au cas par cas, à déroger au principe du plafonnement ».

Bref, juger « in abstracto » le barème légal évidemment applicable, bien sûr, allons ! Mais, en mettant en avant les roides faits de l’espèce, estimer que, « in concreto », il empêche une réparation adéquate. Bref s’estimer libre d’en sortir et de choisir une réparation intégrale, sur des critères d’équité variables d’une juridiction à l’autre.

Ce que voulait justement éviter l’ordonnance du 22 septembre 2017 et constituerait, « in concreto », l’arrêt de mort du barème.