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Un héritage qui fait débat

À la une | publié le : 01.02.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Un héritage qui fait débat

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Leurs organisations les ont soutenues ou combattues à l’époque. Quarante ans plus tard, patrons et syndicalistes jugent l’héritage des lois Auroux.

UIMM // Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM : « Des lois délibérément sévères à l’égard des entreprises »

Les « lois Auroux » avaient suscité des craintes chez les employeurs et des espoirs chez les salariés. Quarante ans après, le bilan est mitigé. Certains textes, à fortes dimensions politique et sociale, ont marqué les esprits : les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans… Mais ils ont aussi pesé lourdement sur la compétitivité et donc sur l’emploi, en particulier dans l’industrie, ouverte à la concurrence internationale. D’autres textes, malgré de nouvelles contraintes, ont été utiles en fixant ou clarifiant des règles juridiques : CDD, travail temporaire, temps partiel, règlement intérieur et droit disciplinaire… Le texte relatif à la négociation collective a, quant à lui, été fort décrié par notre organisation et les entreprises car il ne favorisait en rien le dialogue social. En instituant des négociations obligatoires de branche et d’entreprise, la loi affichait une nette hostilité envers les entreprises. Aucun autre pays n’était allé jusqu’à imposer de telles mesures, assorties, qui plus est, de sanctions pénales pour l’employeur ! Où et dans quel domaine le refus de négocier un contrat vous rend-il passible d’une peine de prison ? Enfin, c’est avec ces textes qu’est apparue l’élaboration de lois délibérément « sévères » à l’égard des entreprises, avec possibilité de dérogation par un accord collectif étendu ! Telles sont les principales dispositions de ces textes qui ont marqué les entreprises, leurs salariés et, au-delà, notre « histoire sociale » nationale.

CFTC // Cyril Chabanier, président confédéral : « Un âge d’or pour les salariés »

Les lois Auroux sont un peu un « âge d’or » pour les salariés. L’objectif était de faire entrer la démocratie dans l’entreprise. La création du CHSCT a été une avancée capitale, de même que le droit de retrait, les NAO, ou encore le budget de fonctionnement du CE ont été de grandes mesures. C’était déjà une façon de penser le « bien commun » évoqué aujourd’hui. Les lois Auroux ont mis en avant le dialogue social et la construction sociale. Leur logique reposait sur une incitation forte à négocier, sans pour autant poser l’obligation d’arriver à un accord. Cette obligation d’échange et de discussion a été un point fondamental. Ces lois avaient l’ambition d’étendre la citoyenneté à la sphère de l’entreprise en dotant les élus de moyens, de compétences et en leur donnant accès aux informations. Les élus ont eu accès au bilan financier, par exemple. C’était une révolution. Tout cela a augmenté le pouvoir des élus et amené plus d’égalité autour de la table, dans une optique de co-construction de la norme sociale dans laquelle la CFTC se reconnaît. Avec les lois Auroux, la démocratie est entrée dans l’entreprise. Elle n’a pas la même nature que celle de l’espace public, mais elle est tout aussi importante. Encore aujourd’hui, les bases posées par les lois Auroux constituent le socle sur lequel repose le dialogue social.

U2P // Pierre Burban, secrétaire général : « Une extension de la couverture conventionnelle »

En 1982, l’atmosphère était électrique mais les lois Auroux étaient innovantes. Elles ont engagé deux mouvements importants. Elles ont contribué à étendre la couverture conventionnelle. Aujourd’hui, presque toutes les entreprises sont couvertes par une convention collective. Ce n’était pas le cas dans les années 1980. Beaucoup de secteurs se sont mis à négocier pour aboutir à une convention collective. C’est le résultat d’une dynamique de dialogue social enclenché par les lois Auroux. Le second élément concerne les représentants du personnel. Jean Auroux avait imaginé des « délégués de site » qui ont fait l’effet d’un « chiffon rouge » dans les petites entreprises. Mais ce faisant, il a lancé la réflexion sur les dispositifs visant à assurer une représentation du personnel. Cette réflexion a abouti avec l’accord du 12 décembre 2001 qui établit les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA) suivies de la création des CPRPL dédiées aux professions libérales. Ce mouvement s’est poursuivi avec la loi Rebsamen de 2015 qui a généralisé ce type de dispositifs. L’accord de 2001 est la mise en pratique d’un principe simple : pour qu’un salarié soit productif, il doit travailler dans des conditions positives et le dialogue social doit permettre de les établir.

CFE-CGC // Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge du dialogue social : « Priorité à la santé et à la sécurité des salariés »

La mise en place du Comité hygiène santé et conditions de travail (CHSCT) a été un moment très fort. C’était la plus importante des instances. Elle avait de vraies capacités d’intervention. La loi a établi un cadre légitime dans lequel le CHSCT pouvait lancer des enquêtes sur un accident ou une maladie professionnelle. Le CHSCT a permis de donner la priorité à la santé et à la sécurité des salariés, mais aussi à sécurité de l’outil de travail. L’expertise des membres de cette instance permettait d’avoir des actions de prévention efficaces. Cette instance a eu un impact fort sur les décisions des entreprises. La non prise en compte des avis du CHSCT avait des conséquences pour les dirigeants. Les lois Auroux ont aussi renforcé le dialogue social en renforçant la protection des acteurs. Avant 1982, l’expression des salariés était plus difficile. Les lois Auroux ont favorisé l’équilibre des rapports de force en instituant, par exemple, l’entretien préalable avant tout licenciement. Elles ont créé les instances, accordé les moyens et sécurisé les acteurs du dialogue social. Cela a permis de sortir de l’affrontement « lutte des classes » pour établir un dialogue social plus équilibré et constructif.

CFDT // Philippe Portier, secrétaire national au dialogue social : « La fin du patron de droit divin »

Les lois Auroux ont mis fin au « patron de droit divin » qui existait encore. La première des lois Auroux, sur la liberté des travailleurs dans l’entreprise, a mis fin à certaines dispositions vues aujourd’hui comme « liberticides » comme l’interdiction de se marier, l’obligation de signaler le métier du conjoint ou la possibilité pour l’entreprise d’ouvrir le courrier. Avant 1982, entrer dans l’entreprise revenait à cesser d’être citoyen. Les lois Auroux ont institué le règlement intérieur qui doit être soumis à l’avis des représentants du personnel et à l’Inspection du Travail. Les négociations obligatoires annuelles (NAO) sont une autre grande avancée car elles permettent de réduire la conflictualité et surtout d’éviter un trop grand retard des salaires sur l’inflation, qui était un risque réel dans les années 1980. Les lois Auroux avaient un objectif très ambitieux : faire vivre le dialogue social au sein de l’entreprise et le sortir d’un système qui menait à l’épreuve de force avec un gagnant et un perdant. Les lois Auroux ambitionnaient de rééquilibrer les pouvoirs entre salariés et les actionnaires. Les premiers apportent le travail et les compétences, les seconds le capital. L’équilibre qui était visé n’a pas pour autant été atteint.

Unsa // Florence Dodin, secrétaire générale adjointe en charge des IRP : « Une entrée dans la culture de négociation »

Les lois Auroux ont permis de créer le CHSCT, ce qui a réduit le nombre d’accidents, amélioré la protection des salariés et responsabilisé les employeurs sur la santé des travailleurs. La crainte des sanctions a été aussi un facteur incitatif, qui a accéléré l’organisation et la mise en œuvre de ce dispositif. L’accès au bilan social a permis aux élus de déterminer les besoins en recrutement ou d’adaptation des conditions de travail, calculer les écarts de revenus entre hommes et femmes, tout en alimentant les négociations annuelles obligatoires. Le droit d’expression des salariés sur leur travail, son organisation et la mise en œuvre de l’amélioration des conditions de travail a été une innovation importante. Dans le secteur bancaire, il a fait émerger des propositions qui ont réduit les risques. Il n’a pas fonctionné sans doute parce que les salariés n’avaient pas cette habitude et se disaient que c’était un champ réservé aux élus. Alors que les relations sociales étaient plutôt basées sur le rapport de forces et le conflit, les lois Auroux ont fait entrer les acteurs sociaux dans une culture de négociation pour sortir du système « gagnant-perdant » et entrer dans une optique « gagnant-gagnant ». Cette dynamique perdure encore.

CPME // Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales : « Un dialogue social renforcé et étoffé »

La disposition des lois Auroux qui a eu le plus d’impact dans la vie des entreprises est sans doute le renforcement du comité d’entreprise. Non pas que le dialogue social n’existait pas dans les entreprises, mais avec cette réforme, il a été institutionnalisé et formalisé. Les lois Auroux n’ont pas facilité le dialogue social mais l’ont renforcé et étoffé sur deux points. D’abord avec le comité d’entreprise et le CHSCT. Ces lois ont décliné dans le Code du travail les principes hérités de la Déclaration des droits de l’homme, en particulier l’interdiction de toute discrimination. Ensuite avec la négociation annuelle obligatoire. Les lois Auroux ont amorcé le dialogue social français, posé les jalons du fonctionnement du dialogue social d’entreprise tels que nous les connaissons aujourd’hui, notamment en matière de financement du comité d’entreprise (devenu le CSE), de protection des élus des instances représentatives du personnel ou encore le droit de retrait du salarié en cas de danger grave et imminent. Pour autant, ces lois ont été prises dans un contexte économique et politique bien différent de celui que nous connaissons actuellement, et peuvent ainsi parfois montrer leurs limites. La CPME est évidemment favorable à un dialogue social de qualité au plus près des entreprises.

CGT // Thomas Vacheron, membre de la Commission Exécutive Confédérale : « Une ouverture aux accords d’entreprise »

Les lois Auroux ont apporté des avancées très concrètes. D’abord les négociations annuelles obligatoires qui, en imposant au moins trois réunions, poussent à la recherche d’un accord et réduisent les mesures unilatérales. Le CHSCT a été la seconde grande avancée, obtenue après une longue période de lutte et de drames. Il a permis de diminuer les accidents, de faire monter en compétences les élus, et bien des employeurs reconnaissent que c’est une instance utile pour corriger les organisations de travail, ce qui évite les accidents et prémunit des grèves. Il y a un point critique sur les lois Auroux : elles marquent le début de l’ouverture des accords dérogatoires négociés au niveau de l’entreprise. Les ordonnances Travail de 2017 marquent un très fort recul avec la suppression du CHSCT mais aussi des délégués du personnel, une conquête sociale qui date de 1936, et la réduction des moyens accordés aux élus. Avec la fusion des instances, les élus doivent traiter tous les sujets. La négociation est complètement tronquée et la pression est telle que les élus finissent par craquer. Récemment, un négociateur patronal a dit : « Vous avez eu les lois Auroux, nous avons eu les ordonnances Travail. » Je crois que la formule est éclairante sur l’état du dialogue social.

FO // Yves Veyrier, secrétaire général : « Le risque de la décentralisation de la négociation collective »

Les lois Auroux sont ambivalentes. Elles ont accordé des moyens aux représentants du personnel, assuré leur formation, créé le budget de fonctionnement du comité d’entreprise, ouvert l’accès aux informations économiques de l’entreprise, et créé la consultation du CE sur les évolutions économiques. Mais, dès 1982, nous avons malgré tout émis des réserves car ces lois ont ouvert la possibilité de négociations dans l’entreprise avec la possibilité de déroger aux dispositions générales, même si un droit d’opposition majoritaire était prévu. Ce dispositif n’a pas vraiment été actionné mais le processus était amorcé et il y a eu depuis plusieurs changements de législation qui ont confirmé cette évolution : en 2004, en 2008 avec la réforme sur la représentativité des organisations patronales et syndicales, puis en 2016 avec la loi Travail et en 2017 avec les « ordonnances Travail ». Aujourd’hui, les employeurs peuvent faire valider part des référendums des accords minoritaires ou, dans les entreprises de moins de 21 salariés, des propositions unilatérales de l’employeur. Nous avons contesté la logique de décentralisation de la négociation collective car nous pressentions ce risque lorsque les lois Auroux ont été votées. C’est maintenant un problème qui touche tous les pays européens puisque l’Union européenne a remis en cause les dispositifs conventionnels nationaux afin de décentraliser la négociation collective.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins