logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Dialogue social et égalité hommes-femmes : des progrès à confirmer

Dossier | publié le : 01.01.2022 | Dominique Perez

Image

Dialogue social et égalité hommes-femmes : des progrès à confirmer

Crédit photo Dominique Perez

 

La route est encore longue, mais la négociation collective sur l’égalité femmes-hommes semble prendre corps dans des entreprises, avec des partenaires sociaux qui se professionnalisent sur le sujet.

L’obligation de négociation est ancrée, et bien ancrée, dans la loi. Depuis le 1er janvier 2012, et tous les quatre ans au minimum, les partenaires sociaux doivent se réunir autour de la table pour élaborer un accord ou à un défaut un plan d’action pour mettre en oeuvre l’égalité professionnelle, obligatoire pour les entreprises de plus de cinquante salariés. à défaut, une pénalité qui peut aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. Une spécificité française, comme le souligne Nicolas Moizard, juriste, directeur de l’Institut du travail de Strasbourg (Unistra). « Dans les autres pays européens, seule la voie juridique donne obligation aux employeurs d’appliquer l’égalité professionnelle. » Mais, depuis 2012, quels sont les véritables bénéfices de cette contrainte sur les inégalités hommes/femmes ? « Elles persistent, constate Kenza Tahri, coordinatrice du pôle égalité hommes/femmes du think tank Terra Nova. Avec notamment une sous-représentation des femmes dans les plus hautes fonctions, et, à poste égal, selon la dernière évaluation du Ministère du travail, un écart de 9 % des rémunérations. Ce qui fonctionne vraiment est d’abord ce qui est imposé. Pour preuve, l’instauration d’un quota de femmes dans les conseils d’administration suite à la loi Copé Zimmerman en janvier 2011 a permis de les faire passer de 10 % à 44 % aujourd’hui. « Quelle place, et donc quel intérêt, a la négociation collective ? « L’obligation de négocier doit constituer un socle pour dynamiser le dialogue social sur ces questions, poursuit-elle. Les partenaires sociaux ont intérêt, au-delà des constats, travailler sur les raisons pour lesquelles on constate les écarts de salaire par exemple, en prenant en compte la non-mixité des métiers, le temps de travail… » Un travail de fond qui n’est pas suffisamment effectué, selon Sophie Binet, responsable confédérale à la CGT des questions d’égalité femmes-hommes. « Le compte n’y est pas. Dès que les entreprises ont un score de plus de 75 sur cent à l’index de l’égalité salariale, elles considèrent qu’elles n’ont plus rien à faire. Or, en fonction de la manière dont on analyse les données, la note change. Il faudrait aussi considérer toutes les discriminations indirectes, comme le temps partiel, dévolu majoritairement aux femmes. » Certains accords récemment signés prouvent cependant une maturité montante sur le sujet, et une volonté d’analyser en profondeur les inégalités dans leur ensemble pour mettre en place des actions correctives. Témoin la Matmut, dont le dernier accord, signé le 3 décembre 2021, prévoit un budget spécifique de 850 000 euros sur trois ans (2022-2024) pour des augmentations individuelles, afin de corriger les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. » La question de la rémunération fut longuement discutée, reconnaît Véronique Jolly, directrice des ressources humaines et des relations sociales. Nous avons réalisé des grilles d’analyse des écarts, en créant des panels homogènes et comparables en termes de situations salariales dans un premier temps et dans un deuxième temps en effectuant des analyses individuelles afin de voir si ces écarts sont justifiés ou justifiables, avec l’engagement de superviser 100 % des situations en trois ans. » Un travail de diagnostic préalable qui seul permet de mesurer véritablement les avancées.

Un sujet transversal

Effet pervers de l’index égalité ? « Il existe une crainte que les négociations perdent de leur importance face à l’ index de l’égalité salariale et que la réalisation de l’égalité professionnelle ne soit évaluée qu’à travers lui », reconnaît Nicolas Moizard. Si la question de réduction des écarts salariaux reste un des grands sujets à la table des négociations, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes concerne un grand nombre d’autres domaines, ce qui peut complexifier le travail des négociateurs. Il faut veiller à ne pas avoir trop d’accords qui se chevauchent, au risque de complexifier le travail au niveau juridique. Le risque de « dilution « est mis exergue par Nicolas Moizard. « Dans quelles thématiques placer les négociations ? Egalité, discrimination, diversité ? Dans tous les cas, les accords d’entreprise qui peuvent toucher leur but doivent choisir des thèmes pris des domaines d’actions prioritaires dans l’entreprise. Plus on se focalise sur la situation spécifique d’une organisation, mieux on va progresser. » Pour Jean-Baptiste Obeniche, Responsable du pôle Innovation Diversité et Performance au Travail du groupe EDF, entreprise qui a conclu, ce mois de décembre, son cinquième accord, 2021-2025, intitulé Pour la mixité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour EDF SA, il s’agit d’un sujet qui englobe différentes thématiques avec des dispositifs spécifiques. Rémunération, formation, diversité, qualité de vie au travail (équilibre vie personnelle/vie professionnelle), question du genre… EDF accompagne les évolutions de la société pour intégrer toutes ces thématiques aux négociations sur l’égalité femme – homme. »

Des enjeux nouveaux

Pour les représentants syndicaux, veiller à ce que la question de l’égalité professionnelle s’impose dans un maximum d’accords de branches est une préoccupation. « La négociation collective n’est pas obligatoire sur ce sujet en tant que tel, précise Mireille Dispot, secrétaire nationale confédérale de la CFE CGC. Nous sommes en train de travailler à l’élaboration d’un outil pédagogique pour pouvoir l’intégrer dès que l’on entre en négociation, aussi bien sur des sujets de qualité de vie au travail, de santé, de télétravail… » Une nécessité, d’autant que, des problématiques telles que les violences sexistes et sexuelles ou le harcèlement frappent à la porte d’entreprises et de syndicats qui ne peuvent rester sourds. « Ce sont des questions que l’on porte depuis 2014-2015, estime Sophie Binet. Nous demandons que soit introduit dans les négociations un volet sur les violences, que ces thématiques deviennent obligatoires et que le code du travail les incluent. Mais nous avons réussi à les faire avancer dans des grandes entreprises, comme La Poste, EDF ou la SNCF, et la liste grossit. » Dans l’accord « en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de la mixité » signé début novembre dernier, la SNCF a notamment renforcé son plan d’action contre le sexisme. « Nous avons renouvelé le baromètre permettant de mesurer la perception du sexisme dans l’entreprise et prévu notamment la formation de 100 % des membres du comité de direction sur ce sujet, détaille Marc Bourgain, dirigeant du pôle qualité de vie au travail, égalité professionnelle et diversité à la SNCF. Nous allons poursuivre le travail, en concertation avec les partenaires sociaux sur la procédure de signalement des agissements sexistes et de faits potentiels de harcèlement pour en améliorer le suivi. » Des notions complexes, qui nécessitent de trouver des terrains d’entente notamment sur les termes : « Ce ne sont pas les sujets qui ont posé difficulté mais les terminologies et l’usage des mots qui ont évolué avec la société. Car l’entreprise s’est professionnalisée et globalement, nous partageons la même expertise de ces thématiques avec les partenaires sociaux, estime Jean-Baptiste Obéniche. C’est le fruit d’un dialogue constant : ce sont les organisations syndicales qui nous ont incités à utiliser le terme « violences faites aux femmes », alors que l’usage du terme « sexisme » a été proposé par la direction avant même son introduction au code du travail. »

Au chapitre des avancées, la question même du suivi des violences conjugales émerge ainsi dans certains accords : « entre 2019/2020, nous avons accompagné au sein d’EDF 250 personnes victimes de ces violences, détaille Jean-Baptiste Obéniche. Cela peut aller du changement d’un numéro de téléphone, d’un compte bancaire, jusqu’à l’aide au relogement des personnes identifiées comme victimes. » Mais ces progrès, s’ils prouvent que le chemin est possible, ne démontrent pas que le but est atteint, pour Nicolas Moizard. « Sur le cadre juridique et l’habitude de se réunir et de discuter, c’est certain, le mouvement est engagé. Sur le reste, les avancées sont encore peu mesurables globalement. » Cependant, « le niveau d’acceptation des inégalités a tendance à baisser, et les nouvelles générations de partenaires sociaux évoluent, constate Michèle Forté, enseignant-chercheur en économie à l’Unistra1. Dans les stages que nous proposons, nous recevons de plus en plus de jeunes syndicalistes ouverts sur ces questions, informés. » Pour les entreprises engagées de longue date, la connaissance progresse effectivement : « Nous sentions un peu de suspicion de la part de responsables syndicaux lors des premières négociations sur le sujet, reconnaît François Nogué, DRH de la SNCF. Ils avaient des doutes sur notre capacité à ancrer réellement nos engagements dans des actions concrètes et avaient des attentes sur la manière dont on pouvait avancer ensemble. Aujourd’hui, nous les avons associés à nos travaux, que ce soit sur les questions du recrutement, du plafond de verre ou de l’accueil des collègues féminines dans les établissements. »

(1) L’institut du travail de Strasbourg a notamment publié une étude pour le compte du Bureau international du travail ( BIT) un rapport intitulé : Les résultats des négociations sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en France auxquels ont notamment collaboré Michèle Forté, économiste, et Nicolas Moizard, juriste.

Auteur

  • Dominique Perez