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Idées

Réinventer le langage du travail

Idées | Livres | publié le : 01.12.2021 | Lydie Colders

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Réinventer le langage du travail

Crédit photo Lydie Colders

 

Que signifie réellement le mot travail ? Dans ce bel essai, la sociologue Marie-Anne Dujarier interroge une pensée construite au fil des siècles, reflet des transformations du capitalisme. Et propose de changer de vocabulaire face aux « troubles dans le travail » actuels. Une réflexion subtile.

Qu’on en vante la valeur, comme « la société du travail » d’Emmanuel Macron en 2017, qu’on le brandisse en étendard dans les luttes sociales, le travail est devenu le pilier de notre société. Qu’il s’agisse de le défendre, de le réformer ou de le réinventer, « ce mot hante les discours politiques de tous bords », constate Marie-Anne Dujarier. Mais que recouvre-t-il exactement ? Un salarié travaille en échange d’un revenu, mais est-ce le cas pour une femme qui s’affaire à l’entretien domestique ? Peut-on dire qu’un youtubeur bénévole qu’il travaille, ou même pour de l’argent ? Ces questions n’ont rien d’anodines, car « penser » le mot même du travail en dit long sur « les transformations sociales des capitalismes », souligne la sociologue. Son essai fouillé offre donc un voyage historique au cœur même de sa signification, révélateur des usages sociaux et de domination au fil des siècles. Convoquant linguistes, historiens et sociologues, elle ausculte son évolution, « de l’idéologie chrétienne de l’acceptation du labeur » au Moyen-Âge à sa mutation en « devoir moral » lors de la révolution industrielle. La chercheuse tire le fil d’un discours moraliste du travail, plus tard teinté « d’utilité sociale » et « de coût ». Des bases politiques toujours actuelles.

Sortir du cadre

Faudrait-il revoir « ces catégories de pensées » aujourd’hui ? Marie-Anne Dujarier le pense. Elle critique l’accumulation « de zones grises » du travail sous l’effet du néolibéralisme et du numérique. En particulier le terme « d’employabilité » qui renforce l’effort gratuit à fournir dans un chômage de masse : ce travail bénévole (elle y range la formation, « le marketing de soi » des jobbers sur les sites) signe « une hypocrisie la norme salariale ». Notre société actuelle est caractérisée par des emplois inutiles, voire nocifs à notre subsistance. D’un côté, des revenus importants sont obtenus sans rien faire, de l’autre « le travail n’est plus gagne-pain pour tous ». Plutôt de guerroyer sur ces bases, si l’on se libérait « de cette pensée normative » ? suggère la sociologue. Changer de vocabulaire donnerait un nouveau cadre de pensée et d’action : on pourrait parler d’un « contrat de subordination » encadré « par un Code des devoirs de l’employeur ». Le temps de travail pourrait se traduire au choix « par temps subordonné », « rémunéré » ou « d’activité ». Et si l’on place la question de l’environnement et de l’activité au premier plan, rien n’empêche d’imaginer « des politiques publiques de l’emploi des vivants et des robots » ou « un droit de l’emploi des arbres » illustre-t-elle. « Les progressistes pourraient ainsi continuer à promouvoir et à défendre la solidarité ou les conditions de subordination ou d’activité ». Mais aussi réfléchir « une production réellement utile » à notre subsistance. Mine de rien, les mots ont un pouvoir. Et ce livre en atteste.

« Troubles dans le travail ».

Marie-Anne Dujarier, Puf, 352 pages, 22 euros.

Auteur

  • Lydie Colders