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Idées

Entreprises, branches et rémunérations : série française à rebondissement

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.12.2021 | Antoine Foucher

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Entreprises, branches et rémunérations : série française à rebondissement

Crédit photo Antoine Foucher

En redonnant aux branches professionnelles le pouvoir indirect d’assujettir les entreprises aux primes de toute sorte, le Conseil d’État vient sans doute d’écrire, le 7 octobre 2021, le dernier épisode de la saison 1 d’une des séries préférées du monde social français : la hiérarchie des normes en matière de rémunération. Résumé.

Épisode 1.

Dans le monde d’avant 2004, en application du principe de faveur, toutes les obligations créées par les branches, dont les compléments de salaire comme les primes, s’imposent aux entreprises. Pour redonner à ces dernières la liberté de fixer elles-mêmes la nature et le niveau de ces primes, le législateur permet aux branches, avec la loi du 4 mai 2004, de créer des primes non obligatoires : celles-ci ne seront contraignantes que si et seulement si la branche le décide explicitement. Résultat ? Les branches n’accordent aucune nouvelle marge de manœuvre aux entreprises : toutes les primes restent obligatoires.

Épisode 2.

Tirant les leçons de 2004, les ordonnances du 22 septembre 2017 distinguent clairement d’un côté les salaires minima hiérarchiques, qui continuent d’être imposés aux entreprises, et de l’autre les compléments de salaire, dont les primes, qui deviennent tous (sauf pour les travaux dangereux et insalubres) supplétifs. Cette fois, le législateur contraint les branches à respecter la liberté des entreprises.

Épisode 3.

Effrayés par cette indépendance accordée par l’État à leurs adhérents, plusieurs organisations patronales s’empressent, avec la complicité logique des organisations syndicales, d’intégrer diverses primes devenues supplétives dans les salaires minima hiérarchiques, pour contourner la logique des ordonnances et les rendre à nouveau obligatoires. Lorsque ces branches soumettent à l’extension ce tour de passe-passe, l’administration n’est pas dupe : elle rappelle que c’est illégal, car contraire au principe de supplétivité des primes posé par les ordonnances.

Épisode 4.

Pour convaincre le juge de reprendre aux entreprises l’autonomie accordée par le législateur, une faille est identifiée dans la rédaction des ordonnances. Les salaires minima hiérarchiques n’ont pas été définis par le texte du Gouvernement : c’est donc qu’il parlait des bons vieux minima de branche, dans lesquels on peut comptabiliser les primes pour vérifier que ces minima sont atteints par les entreprises, et non des salaires de base. Pour inféoder à nouveau les entreprises aux primes de branche, il suffira donc à celles-ci de les absorber dans leurs salaires minima hiérarchiques ainsi interprétés. Et nous voilà quasiment revenus à la case départ : les entreprises auront certes la possibilité, par accord majoritaire, de remplacer des primes désuètes par d’autres adaptées à leurs besoins, mais à la condition de respecter les nouveaux minima de branches, qui pourront être fortement relevés via l’intégration de primes qui n’y figuraient pas avant, condamnant la liberté des entreprises à n’être que théorique. Exit, à nouveau, la liberté des entreprises en matière de structure et de niveau de rémunération de leurs salariés.

Conclusion de la saison 1 ?

C’est en renforçant les conditions de légitimité des partenaires sociaux de la branche qu’on garantira la liberté des entreprises. Car après tout, si ces acteurs représentent de façon incontestable les entreprises de la branche et leurs salariés, ils ont toute légitimité à éradiquer les marges de manœuvre de leurs adhérents. Mais si ce n’est pas le cas, alors l’intérêt général exige de défendre ceux qui ne sont pas représentés, entreprises comme salariés, contre des normes contraignantes et pourtant dépourvues de légitimité. Nous aurons donc une saison 2, autour de la restructuration des branches et de la représentativité des acteurs qui la constituent.

Auteur

  • Antoine Foucher