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Dans les Hauts-de-France, Proch’emploi se cherche encore

Décodages | Politiques de l’emploi | publié le : 01.12.2021 | Judith Chetrit

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Dans les Hauts-de-France, Proch’emploi se cherche encore

Crédit photo Judith Chetrit

 

C’était l’un des grands chantiers que Xavier Bertrand avait inscrit à l’agenda de son programme de candidat à la présidence des Hauts-de-France en 2015. Proch’emploi devait constituer un réseau de plateformes au plus près des bassins d’emploi chargé de faire le lien entre chômeurs et entreprises susceptibles de les embaucher. Un mandat régional plus tard, le bilan est mitigé.

Le marché du travail ferait-il naître un enthousiasme guerrier insoupçonné ? Dans les discours politiques, tant locaux que nationaux, il n’a jamais été autant question de monter au front et de remporter la « bataille de l’emploi ». Et à cet égard, les offres vacantes qui peinent à attirer des candidats sont plus que jamais devenues un réservoir de munitions. Dans les Hauts-de-France, le conseil régional subventionne ainsi le fonctionnement d’une bonne vingtaine de petites équipes vouées à améliorer la détection et la circulation d’offres d’emploi émanant de petites et moyennes entreprises qui peuvent connaître des difficultés de recrutement. Car, au niveau régional, même si elles connaissent un recul avec 572 000 demandeurs d’emploi, les statistiques du chômage sont supérieures à la moyenne nationale. 9,3 % contre 7,8 % au second trimestre 2021. Difficilement chiffrables, une multitude d’annonces sont pourtant annulées et dépubliées faute de candidats ou pour plusieurs autres raisons : manque de suivi, rareté de profils, faible attractivité des salaires proposés ou conditions de travail jugées trop difficiles. En campagne pour la présidence de la toute nouvelle région en 2015 avec le travail pour slogan, Xavier Bertrand, l’ancien ministre du Travail de Nicolas Sarkozy, rappelait à l’envi ce paradoxe auquel il promettait de répondre en misant sur une plus grande interaction entre demandeurs d’emploi et besoins des entreprises. Pas les plus grandes, mais celles qui sont le plus souvent dépourvues de services RH et dont les offres pouvaient jusqu’alors uniquement trouver preneur grâce au bouche-à-oreille.

Vingt-trois cellules, bientôt vingt-six.

Six ans plus tard, quelques 70 salariés de « plateformes » baptisées Proch’emploi, assorties d’un numéro vert régional, sont déployés pour proposer leur expertise et leur proximité avec le tissu économique local. Davantage que de plateformes, il serait plus juste de parler de « cellules ». Au nombre de vingt-trois – bientôt vingt-six – et animées par deux ou trois personnes en fonction des bassins d’emploi, ces cellules multiplient les contacts sur site et à distance avec des entreprises pour leur dispenser une aide gracieuse au recrutement ou identifier – voire déclencher – les intentions d’embauche. « Il y a des entreprises qui les contactent en ayant déjà analysé leurs besoins. D’autres nécessitent qu’on leur prenne davantage la main pour rédiger l’offre et cibler les profils », décrit Laurent Rigaud, vice-président emploi et formation de la Région qui, bien que satisfait de cette « très belle réussite », travaille actuellement sur « une seconde version de Proch’emploi » après la réélection de Xavier Bertrand à la tête de la collectivité lors des régionales de 2020. Une prospection qui se nourrit également d’une mise en réseau avec des associations de chefs d’entreprise, des organismes de formation ou des fédérations patronales auprès desquels il a fallu se faire connaître et surtout reconnaître parmi tous les services déjà existants. « Dans le cadre d’un contrat de branche signé avec la région, nous en faisons la promotion auprès des employeurs », indique Anne-Sophie Claverie, responsable emploi au sein de l’équipe picarde de l’Union des industries et métiers de la métallurgie. « Près de 60 % des employeurs ont refait appel à nos services après un premier recrutement », détaille Didier Collet, responsable de Proch’emploi dans le Cambrésis. Des rencontres régulières en petit comité entre demandeurs d’emploi et entreprises sont également organisées par le biais d’ambassadeurs et de chefs de file métiers dans les différents secteurs : « Cela permet parfois de démystifier le monde de l’entreprise pour des candidats éloignés de l’emploi ou d’offrir aux chefs d’entreprise la possibilité d’élargir leurs critères de recrutement », souligne Pierre Lobry, à la tête de Logista Hometech, une société de maintenance immobilière, et co-président de Proch’emploi dans le grand Arras. Lui-même a fait appel à la plateforme pour recruter des conseillers relations client en CDI dans ses centres intégrés et des techniciens pour les systèmes de chauffage, plomberie et climatisation. « Ce type d’opérateur est utile lorsqu’on sait à quel point l’énergie que les employeurs dépensent pour recruter est plus importante qu’avant », ajoute-t-il. D’ailleurs, missionné par l’État, la région et la rectrice régionale, Philippe Lamblin, DRH retraité du groupe Avril, a même été promu délégué bénévole aux emplois pour aider les acteurs locaux à mieux travailler ensemble sur le recrutement des métiers en tension.

À vrai dire, dans l’ancienne région Nord-Pas de Calais, l’architecture de Proch’emploi n’est pas si éloignée de celle d’un précédent programme lancé en son temps par feu Pierre de Saintignon, ancien compétiteur socialiste de Xavier Bertrand aux régionales de 2015. Mis en place sous l’égide de celui qui était alors vice-président du conseil régional en charge du développement économique, le « pacte pour l’avenir et l’emploi des jeunes », uniquement tourné vers les moins de 26 ans, assurait déjà un lien avec des entreprises grâce notamment à l’hébergement de ses conseillers dans des maisons de l’emploi portées par des intercommunalités ou des chambres de commerce et d’industrie. La mise en place du dispositif « Proch’emploi » a élargi l’accès à l’ensemble des demandeurs d’emploi, tous âges confondus, et étendu l’implantation de plateformes dans le territoire de l’ex-Picardie. Dans la foulée, des aides à la garde d’enfants ou à la mobilité avec la location de voitures ont été développées pour maximiser les opportunités de retour à l’emploi.

Marché caché.

Au-delà des secteurs en tension, ce sont surtout les offres du « marché caché » de l’emploi qui sont dans le viseur des équipes. D’après une étude Randstad Smart Data, diffusée dans « La Voix du Nord », ce système de recrutement « invisible » qui fonctionne grâce aux candidatures spontanées ou à la cooptation par le biais des relations personnelles représenterait la moitié des embauches dans les Hauts-de-France. Particulièrement parce que les secteurs économiques les plus dynamiques localement, comme l’hôtellerie-restauration, le transport-logistique ou le bâtiment y font beaucoup appel. Le critère principal d’une offre qui vient s’ajouter aux portefeuilles des chargés de Proch’emploi ? Ne pas avoir fait l’objet d’une annonce sur Pôle Emploi qui, parallèlement, étoffe les effectifs de ses conseillers dédiés aux services aux entreprises pour en compter en moyenne quatre à six par agence. Une fois formalisée, faute de disposer d’un listing ou d’un premier lien direct avec des demandeurs d’emploi, chaque proposition dénichée est relayée aux différents partenaires comme Pôle Emploi, les missions locales, les plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE), Cap Emploi et les agents du département accompagnant les bénéficiaires du RSA. En plus d’un sourcing réalisé sur des job-boards comme Indeed, ces différentes structures leur adressent des candidatures. « Nous nous chargeons ensuite de les préqualifier », explique Stéphanie Vanbelle, une ancienne consultante RH devenue responsable du Proch’emploi, calaisien, adossé à la chambre de commerce et d’industrie Littoral Hauts-de-France. Entretiens téléphoniques, vérifications de compétences, les méthodes de travail varient et le degré de sélectivité aussi. Jusqu’à identifier des profils aux compétences transférables dans d’autres secteurs. C’est ce qui est arrivé à Kathleen, une habitante de Cambrai de 28 ans. Avec une précédente expérience dans la gestion locative, elle avait initialement postulé à une offre de vendeuse en bijouterie avant qu’une chargée de recrutement de Proch’emploi ne revienne vers elle avec un CDD de six mois chez Action Logement. En une semaine, elle était recrutée. Pour des candidats déçus qui ne sont pas retenus, certains peuvent être intégrés dans une « lettre à l’emploi » pour promouvoir leur profil au reste du réseau.

Sur le terrain, la portée et la force de frappe de ce circuit-court dépendent de l’étroitesse de liens tissés entre ces différents agents ainsi que de la rapidité dans la recherche des candidats adéquats. « Nous sommes facilitateurs et complémentaires, nous ne faisons pas à la place de », assure Ellen Van Den Broek, la directrice de Proch’emploi. Chaque trimestre, celle-ci fait d’ailleurs le point avec les équipes de Pôle Emploi. Car, dès ses débuts, le dispositif s’est vu accusé de marcher sur les plates-bandes de l’ex-ANPE dont Xavier Bertrand, militant d’un pilotage régional des politiques de l’emploi, déplorait l’organisation « trop centralisée » ainsi que le manque de « réactivité » et de « souplesse ». En 2016, la première mouture de Proch’emploi invitait les demandeurs d’emploi à contacter un numéro vert régional… lequel nécessitait la mobilisation d’un grand nombre d’agents volontaires pour faire passer des premiers entretiens dans les quinze jours suivants. Depuis, le numéro vert existe toujours, mais l’essentiel de son action a été recentré autour des entreprises.

23 000 bénéficiaires.

Si l’intention est louable, les objectifs, très ambitieux du dispositif se sont heurtés au mur des promesses de campagne chiffrées et non exécutées. Xavier Bertrand a lui-même fini par reconnaître que tabler sur un retour rapide en poste ou en formation de 60 000 chômeurs au bout d’un an de mandat – l’objectif initial du dispositif – était une erreur. En quasiment six années d’activité, seul un peu plus d’un tiers de ce but aura été atteint. 23 000 personnes ont, à ce jour, bénéficié de l’intermédiation de Proch’emploi, dont la moitié pour aboutir sur un CDD, 30 % sur un CDI, 10 % sur un parcours d’alternance et 10 % sur une formation. En guise de réponse, une élue syndicale de la région se contente de renvoyer un calcul coût-efficacité au regard des 2,7 millions d’euros attribués annuellement par la région pour le fonctionnement (à hauteur maximale de 80 %, le reste étant assuré par les structures porteuses, NDLR) des plateformes auxquel il faut rajouter les 2 millions d’euros destinés à financer la la direction régionale chargée d’assurer la coordination du dispositif et les espaces d’information sur la formation. Si l’on se fie à la promesse de départ, ce bilan mitigé a même été en partie traité par un rapport de la Cour des comptes, rendu en février 2021, sur la mobilité et l’accès à l’emploi dans les Hauts-de-France. Concernant les aides globales de la région : « Le nombre de personnes y ayant eu recours apparaît réduit au regard du public potentiellement bénéficiaire. » Au sujet de l’articulation avec les autres acteurs : « Le dispositif impliquerait une coordination des acteurs qui n’est pas prouvée sur le terrain. » Interrogée sur sa collaboration avec Proch’emploi, la direction régionale de Pôle Emploi n’a pas souhaité répondre aux questions de « Liaisons Sociales Magazine »… et a passé la consigne à ses directeurs d’agence de ne pas communiquer dessus ! Sur le terrain, on explique pourtant que si une offre n’est pas pourvue au bout de 39 jours, des agents des deux structures se réunissent pour discuter avec l’entreprise et réfléchir à d’éventuels recours à la formation pour y répondre. Questionnée quant à la pérennité des postes proposés et la durabilité de l’insertion professionnelle – le rapport de la Cour des Comptes regrettait l’absence d’indicateurs pour en mesurer l’impact –, Ellen Van Den Broek rétorque qu’un tel suivi exigerait des ressources plus importantes, « mais que les bénéficiaires et les entreprises en question ont tendance à recommander leur accompagnement ». Et de renvoyer la question : « Est-ce que Pôle Emploi le fait ? Et les missions locales ? » Presque une querelle de clochers au pays des beffrois…

Auteur

  • Judith Chetrit