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La réforme des allocations-chômage va-t-elle résoudre la pénurie de main-d’œuvre ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2021 |

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La réforme des allocations-chômage va-t-elle résoudre la pénurie de main-d’œuvre ?

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Reporté en raison de la crise, le durcissement du calcul des allocations-chômage a finalement pris effet le 1er octobre. Mais si le gouvernement, qui veut « encourager le travail » – et faire de cette réforme un marqueur fort du quinquennat prend comme argument officiel l’évolution favorable de la situation de l’emploi, les avis divergent. Il reste à savoir si le nouveau mode de calcul encouragera réellement ce retour à l’emploi souhaité. Et, de façon plus générale, une question se pose…

Gilles Mirieu de Labarre : Président de Solidarités nouvelles face au chômage

Face au récit ambiant de « pénurie de main-d’œuvre », il faut distinguer ce qui est d’ordre structurel, résultant d’un décalage entre une offre et des besoins de qualifications (ainsi la France compte deux fois plus d’emplois sous qualifiés que l’Allemagne) et ce qui est d’ordre conjoncturel, lié à une reprise économique et à des pertes d’emploi dans le sillage de la crise sanitaire. Par ailleurs, les difficultés de recrutement touchent différemment les organisations d’un même secteur et d’un territoire donné. Par exemple, au sein du secteur des hôtels-restaurants, ce sont les petites structures qui rencontrent le plus de problèmes. En proposant un récit visant à généraliser le problème et à le faire porter sur les institutions encadrant le marché du travail, on évite de poser les questions sur les régulations internes aux branches professionnelles et aux organisations. Dès lors, la réforme de l’assurance-chômage peut-elle résoudre ce problème ? L’assurance-chômage n’influe que marginalement sur les emplois vacants : d’une part, 55 % des chômeurs ne sont pas indemnisés, et d’autre part, certaines professions ne sont pas concernées (comme les intermittents du spectacle) et enfin, certains chômeurs indemnisés ne sont pas disponibles (en formation…). Comme l’indique Bruno Coquet, la réforme ne concerne donc en fait qu’un tiers des chômeurs. Il reste à prouver que la réduction des droits incite les allocataires à reprendre un emploi, d’ailleurs de nombreuses études internationales démontrent le contraire. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’elle rend beaucoup moins attrayant le cumul allocation et salaire et, par conséquent, la reprise d’emploi ! Enfin, aucune étude d’impact n’a été réalisée pour mesurer l’effet de transfert de la réforme vers le RSA qui, pour des personnes peu qualifiées ou en contrats courts sera plus incitatif et rémunérateur que ne le sera l’assurance chômage (cumul intégral pendant trois mois, prime d’activité plus élevée…). C’est pourquoi il est urgent de s’intéresser au fameux « halo » du chômage et de comprendre pourquoi les personnes en faisant partie ne reprennent pas un emploi. Solidarités Nouvelles face au Chômage y consacrera son prochain rapport annuel.

Henri Sterdyniak : Les Économistes Atterrés

Les difficultés de recrutement sont normales en phase de reprise de l’emploi. Et 44 % des industriels en déclarent – mais ils étaient 58 % en janvier 2001 et 50 % en juillet 2019. Dans certains secteurs, les entreprises prétendent ne pas trouver de personnels qualifiés, mais elles sont trop exigeantes, n’ont pas anticipé leurs besoins et ont perdu l’habitude de former les nouveaux salariés. Dans d’autres (informatique…), il y a effectivement un manque de personnes ayant la formation et l’expérience adéquates. Enfin, dans d’autres, c’est le niveau des salaires mais surtout les conditions de travail et la nature des contrats qui sont en cause.

Les gouvernements successifs ont favorisé la précarité de l’emploi en libéralisant les CDD. Les économistes libéraux ont prôné l’activation des prestations, donc la possibilité du cumul salaire-prestation chômage pour inciter les chômeurs à les occuper. Maintenant, ils prétendent que ce cumul est trop avantageux, que les entreprises et les précaires s’entendent pour préférer les activités réduites au détriment de l’Unédic. Contrairement aux mensonges gouvernementaux, un salarié gagne toujours plus en travaillant qu’en étant chômeur, même en activité réduite. Les contrats courts sont imposés par les entreprises à des chômeurs qui ne peuvent les négocier. La réforme ne peut faire apparaître les actifs dont les compétences font défaut ; elle peut décourager des chômeurs de prendre des emplois précaires, qui, sans cumul, leur rapporteront peu et diminueront leurs droits à prestation chômage. Outre l’objectif financier, le Gouvernement veut surtout obliger les chômeurs à accepter des emplois ne correspondant pas à leurs compétences, ou avec de faibles salaires et de mauvaises conditions de travail.

Ce qu’il faut retenir

// Croissance et créations d’emplois en hausse

Toutes les prévisions concordent, celles du gouvernement, de la Banque de France et de l’OCDE : l’économie française sort de la crise et renoue avec une croissance soutenue. Récemment révisée à la hausse, la progression du PIB devrait atteindre 6,3 % cette année. La banque centrale a aussi nettement relevé ses anticipations de créations nettes d’emplois, désormais attendues à 289 000 en 2021 (au lieu de 163 000 initialement). Mais le taux de chômage devrait stagner autour de 8,1 % d’ici à 2023… Reste enfin la question des emplois non pourvus, au nombre de 300 000 selon les chiffres officiels. « Un gâchis » pour le premier ministre Jean Castex… Mais si, en juillet dernier, la Banque de France relevait que près de la moitié des entreprises du bâtiment, 41 % de celles du secteur des services et un quart des sociétés industrielles peinaient à recruter et se déclaraient limitées dans leur production en raison du manque de main-d’œuvre, « ces proportions relativement élevées sont toutefois inférieures aux points hauts de 2018-2019. Elles vont de pair avec la vigueur de l’emploi salarié privé au deuxième trimestre », nuançait l’Insee.

// Des syndicats vent debout…

Après avoir, en juillet dernier, saisi en référé le Conseil d’État, qui leur a donné raison en suspendant l’entrée en vigueur des nouvelles règles de calcul de l’allocation-chômage, prévues pour le 1er juillet, les syndicats ont déposé, une semaine après son entrée en vigueur, un nouveau recours pour obtenir la suspension de la réforme, en attendant un jugement au fond sur son contenu. La décision du Conseil d’État pourrait intervenir dans les tout premiers jours de novembre, alors que les premières allocations calculées selon les nouvelles règles doivent être versées à partir du 5 novembre. Et si la reprise est bien là, les syndicats estiment que l’amélioration de la conjoncture ne profite pas à tous… D’ailleurs, le nombre de demandeurs d’emploi alternant travail et chômage (catégories B et C), ceux-là mêmes que cible la réforme, n’a pas baissé pour l’instant, font-ils remarquer. Enfin, ils critiquent le décalage entre la réforme des allocations-chômage et l’application du bonus/malus aux entreprises pour leur usage excessif des contrats courts, qui module le taux de contribution d’assurance-chômage en fonction du nombre de contrats, longs et courts, pratiqués. Certes, le système de bonus/malus a pris effet au 1er juillet 2021, et certaines entreprises vont être surveillées jusqu’au 30 juin 2022, mais la première application financière n’est prévue que le 1er septembre 2022. Ainsi, pour les chômeurs, pas de période d’observation, le nouveau calcul des allocations prenant en compte l’activité passée des demandeurs d’emploi et non celle à compter de la rentrée… Enfin, « même si en théorie, ils pouvaient bénéficier du chômage partiel, nombre de CDD se sont retrouvés au chômage tout court pendant la période et ont donc dû utiliser leurs droits à indemnisation », a fait valoir Patricia Ferrand, de la CFDT, par ailleurs vice-présidente de l’Unédic, dans Les Echos du 15 octobre.

// … Et des économistes sceptiques

Le 30 septembre, dans les colonnes du quotidien « Le Monde », une centaine d’économistes, dont Thomas Piketty, Aurélie Trouvé, Henri Sterdyniak et Dominique Plihon, ont dénoncé l’entrée en vigueur, le lendemain, d’une réforme qu’ils jugent « inefficace, injuste et punitive ». De fait, selon une évaluation de l’Unédic, parue en avril dernier, jusqu’à 1,15 million des personnes ouvrant des droits dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la réforme toucheraient une allocation mensuelle plus faible, de 17 % en moyenne (avec, dans le même temps une « durée théorique d’indemnisation » allongée à 14 mois en moyenne contre 11 avant la réforme). Les signataires de la tribune parue dans « Le Monde » estiment ainsi que « l’effet d’une telle dégradation serait de contraindre les chômeurs à accepter n’importe quel emploi au plus vite, à bas salaire et aux mauvaises conditions de travail, au mépris de l’efficacité économique et sociale ». Enfin, ils rejettent « le mythe des emplois vacants non pourvus », mis en avant par le Gouvernement et les entreprises. « Pôle emploi comptabilise 300 000 offres d’emploi non pourvues, ce qui est très peu », argumentent-ils, alors que la France compte 5,88 millions de demandeurs d’emploi de catégorie A, B et C (incluant ceux qui ont une activité réduite). D’ailleurs, si le chômage n’a pas explosé pendant la crise, il « perdure à un niveau particulièrement élevé », soulignent-ils. Et ils soupçonnent, comme d’autres observateurs, que la raison fondamentale de la réforme n’est pas tant d’encourager le retour à l’emploi que de réduire les dépenses… Bref, selon eux, « rien ne justifie la mise en œuvre de cette réforme. Elle a pour seul objectif de faire des économies – plus de 2 milliards d’euros – au prix d’une augmentation de la pauvreté des chômeurs et de leurs familles », concluent ces économistes.

Chiffres

1 350

C’est, en euros et en moyenne, le revenu total mensuel des allocataires qui cumulent allocations-chômage et emploi sur des contrats de moins d’un mois (dont 770 euros bruts de salaire et 580 euros d’allocation), selon l’étude menée par Claire Vivès et Mathieu Grégoire, du Centre d’études de l’emploi et du travail, intitulée « Les salariés en contrats courts : chômeurs optimisateurs ou travailleurs avant tout ? ». Il est donc inférieur au Smic et davantage constitué par les revenus du salaire que par les allocations.

Source : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03224270/document

30 %

C’est la perte, pour une femme qui aura été arrêtée six mois pour congé maternité et arrêt maladie. Elle touchera une allocation-chômage de 457 euros par mois, contre 654 euros pour celle qui aura continué à travailler, selon le chiffrage de l’Unédic demandé par FO, pour deux salariées au Smic dans une situation d’emploi identique. Avec la réforme, en effet, tous les jours de la période de référence sont pris en compte pour calculer le montant de l’allocation, y compris ceux non travaillés. Les jours d’arrêt maladie, de congé maternité ou d’activité partielle ne sont donc pas neutralisés.