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Idées

Suspension du contrat et passe sanitaire

Idées | Juridique | publié le : 01.10.2021 |

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Suspension du contrat et passe sanitaire

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Le droit a coutume de distinguer trois phases dans un contrat : la formation, l’exécution et la rupture. Le contrat de travail en contient une quatrième : la suspension. Les cas de suspension du contrat de travail sont nombreux et couvrent généralement des absences justifiées, que ce soit lié à la personne du salarié ou dicté par le fonctionnement de l’entreprise : activité partielle, maladie, grossesse, grève, congés divers, mises à pied, etc. À ces cas de suspension, il faut en ajouter un depuis le 30 août 2021 : l’absence de passe sanitaire pour certains salariés en contact avec le public.

Le choix de la suspension

Lorsque le législateur a eu à trancher les conséquences du défaut de présentation du passe sanitaire sur le contrat de travail, le réflexe naturel a été de s’orienter vers le licenciement. Sanction peu adéquate car irrémédiable s’agissant d’une crise que l’on peut espérer éphémère. La technique de la suspension répondait mieux à ce souci du provisoire, même si la loi sur le passe sanitaire n’a fixé aucune limite de durée à ladite suspension. Elle doit être notifiée au salarié le jour même de son refus de présenter son passe, sauf à ce qu’il utilise ses congés payés ou pose des jours de repos, et ne prend fin que le jour où le salarié présente ses justificatifs ou à la date d’expiration du dispositif du passe sanitaire, actuellement le 15 novembre 2021. Seul moyen mis en place pour endiguer la suspension : un entretien à l’issue du troisième jour suivant la suspension destiné à examiner avec la personne concernée, les moyens de régulariser sa situation, par exemple en lui proposant d’être affecté sur un autre poste ou de travailler à distance lorsque c’est possible. Faute de reprise du travail actée lors de l’entretien, la suspension poursuit son cours sine die.

Le choix de la suspension était sans doute celui de la raison, mais pas celui de la simplicité tant l’équilibre entre la suspension des obligations des contractants et le maintien du lien du salarié à l’entreprise est délicat à établir.

La subordination en suspens

La suspension du contrat implique, d’abord, que le salarié n’est pas, pendant ce laps de temps, sous la subordination de son employeur. L’employeur ne peut donner d’ordres et de directives à son salarié qui n’est pas supposé travailler et, pour reprendre l’expression de la Cour de cassation, « poursuivre une collaboration avec l’employeur ». De son côté le salarié n’est ni rémunéré ni indemnisé avec une vigilance à avoir dans le calcul de la retenue de salaire, tout impact sur la rémunération qui ne serait pas strictement proportionné à l’absence de fourniture de travail tombant sous le coup de la prohibition des sanctions pécuniaires. Vigilance d’autant plus grande que contrairement aux causes classiques de suspension, celle liée au passe sanitaire ne vaut que pour les lieux impliquant le passe sanitaire, avec, précise le ministère, une suspension au prorata du temps de travail que le salarié aurait dû effectuer dans ces lieux.

Parmi les complexités inhérentes au régime de suspension du contrat figure l’impact sur le droit à congés payés. Il faut distinguer selon que l’absence est assimilée (congés maternité, paternité ; absence pour maladie professionnelle ou accident du travail notamment) ou non (mise à pied, grève, maladie non professionnelle entre autres) à du temps de travail effectif. Au vu du texte d’août 2021, on est clairement dans le second cas, ce qui signifie que l’absence n’entraîne aucun droit à congés payés.

Le maintien du lien à l’entreprise

Toute la subtilité de la suspension tient au fait que le lien d’emploi n’est pas rompu, et qu’ainsi le salarié doit respecter une obligation de loyauté à l’égard de son employeur. Cette obligation a plusieurs traditions concrètes, qui ont aussi vocation à s’appliquer au salarié suspendu pour défaut de passe. Premièrement, le salarié ne peut refuser de communiquer les informations nécessaires à la poursuite de l’activité de l’entreprise, notamment les codes d’accès au matériel informatique. Le dosage est subtil car la restitution de documents ne doit pas nécessiter, pour l’intéressé, l’accomplissement d’une prestation de travail, ce qui peut être le cas lorsque l’entreprise lui demande de restituer de très nombreux documents. La question la plus délicate tient aux activités que le salarié peut effectuer en période de suspension. Pas de difficulté concernant l’exercice d’un mandat de représentation des salariés, compatible avec une suspension du contrat de travail, y compris pour défaut de passe sanitaire sous réserve que le mandat puisse s’exercer, au moins partiellement, à distance ! Pour ce qui est de l’exercice d’une activité professionnelle autre que celle effectuée pour le compte de son employeur, la ligne tracée par les tribunaux est la suivante. Impossible d’effectuer une activité concurrente de celle de son employeur, que ce soit pour son propre compte ou pour celle d’un autre employeur. En revanche, l’activité professionnelle qui ne concurrence pas l’entreprise est tolérée, dès lors qu’elle ne porte à celle-ci aucun préjudice. Condition malheureusement assez floue !

À propos des activités d’agrément, la jurisprudence fait preuve de souplesse. Il est jugé que ne constitue pas un motif de licenciement, mais seulement une violation des obligations vis-à-vis de la sécurité sociale, le fait pour un salarié d’effectuer un voyage d’agrément dans un pays étranger pendant un arrêt maladie. Le salarié, en voyage en Yougoslavie, avait été jusqu’à envoyer une carte postale à ses collègues et contre toute attente, il avait été jugé qu’il ne pouvait être licencié pour ce motif. La solution est la même pour le salarié qui pratique le rallye automobile pendant son arrêt de travail alors que cet arrêt était justifié par une maladie affectant ses deux mains.

Le fait que, contrairement à la plupart des causes de suspension du contrat de travail, le passeport pour travailler ne s’applique qu’à certains types d’activité et en certains lieux pose des questions très spécifiques. L’employeur est-il tenu d’affecter le salarié à un poste qui ne nécessite pas ledit passe, que ce soit dans l’entreprise ou en télétravail ? Aucun principe juridique ne le lui impose. Inversement, sur la question spécifique du télétravail et tant que l’employeur peut se prévaloir de circonstances exceptionnelles, celui-ci devrait pouvoir imposer aux salariés dont le poste est éligible au télétravail d’y recourir. Avec une épineuse question, qui s’était déjà posée à l’occasion de la négociation de l’ANI de 2020 sur le télétravail : qu’est-ce qu’une « circonstance exceptionnelle » et, appliquée à l’épidémie de Covid-19, jusqu’à quand (délai, nombre de contaminations, existence d’une « vague » ou non, de cycles – à l’instar de la grippe – ou non, etc.) peut-on encore parler de « circonstance exceptionnelle » ?

Licencier malgré tout ?

Le choix du législateur de la suspension plutôt que du licenciement paraît exclure que l’absence de passe sanitaire (pour les salariés soumis à l’obligation du passe) soit en soi un motif de rupture du contrat. Il n’exclut pas, en revanche, que les conséquences de l’absence du salarié justifient son licenciement. Pour le comprendre, il faut avoir à l’esprit que le droit français reconnaît une zone grise entre, d’un côté les licenciements pour motif personnel (faute, insuffisance professionnelle pour l’essentiel), de l’autre les licenciements pour motif économique (difficultés économiques, sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, cessation d’activité de l’entreprise et mutations technologiques). Cette zone est constituée de licenciements dont la cause est constituée par le trouble objectif causé à l’entreprise par le comportement du salarié. Un premier exemple, sans lien avec la suspension du contrat, concerne des faits de vie personnelle qui ne peuvent pas constituer des fautes mais peuvent justifier un licenciement lorsque leurs conséquences causent un trouble au fonctionnement de l’entreprise, à l’instar des vols commis par un salarié dans sa vie personnelle qui portent atteinte à la réputation de l’entreprise. Un second exemple est constitué par le licenciement pour absences prolongées ou répétées. Généralement appliqué à l’absence du salarié pour maladie, il peut être transposé à la situation du salarié dont le contrat est suspendu parce qu’il refuse le passe sanitaire.

Deux conditions sont exigées. Il faut en premier lieu des absences prolongées ou répétées qui désorganisent l’entreprise, par exemple parce qu’elles provoquent un retard des livraisons, une surcharge de travail pour les autres salariés ou une atteinte à l’obligation de sécurité du fait de l’absence du salarié à son poste de travail. La jurisprudence se montre rigoureuse car c’est l’entreprise qui doit être désorganisée, et pas seulement l’agence ou le magasin auquel le salarié est affecté, à moins que ce magasin soit une entreprise autonome. Doit être en second lieu caractérisée la nécessité du remplacement définitif du salarié qui implique que le salarié ait été effectivement remplacé par un salarié en CDI dans un délai raisonnable. Le remplacement du salarié suspendu par un salarié en CDD, tout à fait possible (le remplacement en CDD est uniquement exclu pour les salariés grévistes), ne permet pas de licencier un salarié pour absence répétée ou prolongée. En tout état de cause, si le passe sanitaire s’achève au 15 novembre 2021, comme cela est prévu à l’heure où ces lignes sont écrites, il est peu probable que les licenciements soient nombreux. S’il ne faut pas non plus exclure des démissions de la part de salariés qui, privés de rémunération, trouvent un emploi dans un secteur n’impliquant pas le passe, ou encore des ruptures conventionnelles, toujours possibles en période de suspension du contrat, celles-ci ne devraient pas non plus être légion.

Quel que soit le jugement qui peut être porté sur l’utilité du passe sanitaire, les difficultés juridiques sont nombreuses, sans compter celles que génère à la mise en œuvre concrète du contrôle du passe dans les entreprises. Une autre voie pouvait-elle être suivie pour rendre effectif le passe sanitaire sur le lieu de travail ? Rien n’est moins sûr…