Avec la révolution numérique, les salariés vont-ils perdre leur emploi ou en trouver de nouveaux ? Les entreprises vont-elles en profiter pour se réinventer ou beaucoup vont-elles en périr ? Dans leur ouvrage, les sociologues Marie Benedetto-Meyer et Anca Boboce se départissent de cette approche macro-économique aussi anxiogène que déterministe.
Partant d’observations concrètes (cas d’école anonymisées) et de recherches académiques poussées, les auteurs soulignent tout au long de l’ouvrage la complexité des dynamiques à l’œuvre dès lors qu’on aborde les usages du numérique en entreprise au niveau micro-économique. Passant en revue la variété des outils numériques qui améliorent la communication, la gestion ou la collaboration, les auteurs explorent ainsi les tensions que ces outils génèrent, entre autonomie et contrôle, nouveaux collectifs de travail et isolement, travail présentiel et distanciel. Ils s’interrogent également de manière concrète sur l’impact des outils numériques sur la flexibilité, l’autonomie et la réactivité des organisations, les effets des politiques de formation, des pratiques managériales sur la réduction de la fracture numérique. L’impact du numérique sur la recomposition de la fonction RH fait l’objet d’un chapitre entier qui balaie tant les processus de recrutement, de mobilité professionnelle que la formation professionnelle. Les auteurs y pointent ainsi que le développement du sourcing cohabite avec des pratiques plus traditionnelles de recrutement. Cette hybridation permettrait aux DRH « d’atténuer la normalisation des usages que cherchent à imposer les outils, voire la réification des candidatures et profils ou leur réduction à des informations chiffrées et codées ». Ils décortiquent les causes des échecs relatifs qu’ont pu connaître certains outils de pointe comme cette application d’IA (intelligence artificielle) qui devait favoriser la mobilité interne. D’une manière générale, les humains tendent à résister à la standardisation imposée par des outils numériques. Ceux-ci peuvent en effet heurter leurs habitudes de travail, bonnes ou mauvaises, en les engonçant dans des processus chronophages, contraignants (il faut absolument remplir des cases) qui brident la créativité. Un ouvrage complet et solidement documenté donc, qui appelle dans sa conclusion à mieux accompagner sur le plan humain les transformations numériques que vivent les salariés.
Marie Benedetto-Meyer et Anca Boboce, Armand Colin, 25 euros
